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PLF 2018 - Justice (séance)

Madame la présidente, madame la ministre, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, s’il y a une politique régalienne de l’État pour laquelle l’état d’urgence devrait être décrété, c’est bien la justice. Madame la ministre, pour reprendre certains des qualificatifs de votre anté-prédécesseur, Jean-Jacques Urvoas, la justice de notre pays « est à bout de souffle », « en état d’urgence absolue », voire « en voie de clochardisation ».
La comparaison de notre pays avec les autres États de l’Union Européenne donne la véritable mesure de la paupérisation de la justice française : avec 72 euros par habitant et par an consacrés à la justice, il pointe à la quatorzième place sur vingt-huit ; avec dix juges professionnels pour 100 000 habitants, il occupe la vingt-quatrième place. Par voie de conséquence, les procédures sont longues : en première instance, un Français devra attendre en moyenne 304 jours pour voir son cas jugé, contre19 jours au Danemark, par exemple.
Au regard de ce constat terrible, qui nous place parmi les plus mauvais élèves de l’Union européenne, c’est d’un véritable plan de rattrapage que nous aurions besoin. Or, avec 3,9 % d’augmentation et 1 000 créations de postes, c’est-à-dire moitié moins que l’an passé, ce budget ne permettra pas d’engager cet indispensable rattrapage. Il ne comblera aucun des manques, il accompagnera, tout au plus, l’accroissement du parc immobilier.
Seul point positif, l’annonce d’en finir avec les partenariats public-privé dont nous connaissons le coût exorbitant pour les finances publiques.
Il serait d’ailleurs raisonnable que les autres ministères et collectivités ayant recours à ce type de partenariats empruntent rapidement la même voie, en renonçant à cette facilité qui consiste à transférer les investissements dans les charges de fonctionnement, dégradant ainsi les finances publiques pendant des décennies.
Critique sur le plan judiciaire, la situation l’est tout autant s’agissant de l’administration pénitentiaire. Rappelons que l’état de ses prisons, comme leur surpopulation, valent à la France, aujourd’hui encore, de nombreuses condamnations devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Concernant la justice judiciaire, le budget augmentera certes de 9 %, mais un tiers sera consacré aux seuls crédits immobiliers, principalement au titre de la nouvelle cité judiciaire de Paris, implantée aux Batignolles. Nous plaidons d’ailleurs pour que ce projet pharaonique soit isolé du budget tant son coût est élevé et fausse, par conséquent, toutes ses données financières.
Par ailleurs, le recrutement programmé de 100 magistrats n’est évidemment pas à la hauteur, d’autant que si le nombre d’emplois augmente, le nombre de magistrats en activité baisse, car le nombre de postes vacants ne cesse, lui, d’augmenter.
Je dois également, madame la ministre, vous avouer mon incompréhension s’agissant du sort réservé aux services de la protection judiciaire de la jeunesse. Si leurs crédits progressent de 3,4 %, cette augmentation ne saurait remédier à la la situation de fragilité dans laquelle se trouve la PJJ depuis de nombreuses années.
Surtout – et c’est ce que j’ai le plus de mal à comprendre –, ils ne permettront pas de mettre en œuvre les engagements d’Emmanuel Macron lorsqu’il était candidat à la présidence de la République. Il avait alors déclaré : « La justice des mineurs est une de nos grandes priorités, car c’est là que se joue l’avenir des enfants en difficulté. » On peut donc s’étonner, non seulement que la justice des mineurs ne bénéficie pas d’une forte augmentation de crédits, mais qu’elle ne fasse pas non plus l’objet de l’un des grands chantiers de la justice que vous avez récemment présentés devant notre commission, madame la garde des sceaux.
Enfin, je ne peux m’exprimer sur ce sujet sans évoquer la situation catastrophique de la Seine-Saint-Denis, où la justice et le tribunal de Bobigny, le deuxième tribunal de France, sont exsangues. C’est au point que l’État vient d’être condamné pour déni de justice pour avoir imposé aux justiciables des délais anormalement longs et pour avoir manqué à ses devoirs de protection juridictionnelle.
Madame la garde des sceaux, vous avez eu l’occasion de visiter, la semaine dernière, le tribunal de grande instance de Bobigny et, de votre propre aveu, ce que l’on voit dans ses couloirs est inacceptable. Malheureusement, les annonces que vous avez faites ne répondent pas aux attentes : à part les quelques crédits pour réparer l’étanchéité et colmater les fuites d’eau, il n’y a rien qui puisse redonner de la dignité aux personnels du tribunal et permettre aux habitants de la Seine-Saint-Denis d’espérer une égalité d’accès aux droits devant la justice de notre pays.
Puisqu’il faut conclure, je vous annonce que le groupe communiste votera, en toute logique, contre votre budget.

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Stéphane
Peu

Député de Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)

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