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Réforme pour la justice

Je ne sais pas si vous connaissez Orelsan, ce rappeur normand qui a grandi loin des métropoles.
Sous forme de clin d’œil, je vais vous tenir, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, un discours simple, où je vous dirai des choses simples.

Face à un service public de la justice en état d’urgence absolue, un véritable plan Marshall s’impose. De grèves reconductibles en journées mortes dans la justice, la mobilisation inédite des professionnels s’est amplifiée pour vous alerter, jusqu’à demain. « Simple ».

L’augmentation du budget d’ici 2022 et la ventilation des crédits ne sont pas satisfaisantes. La France consacre moins de 66 euros par an et par habitant à son système judiciaire, contre 122 euros pour l’Allemagne, et 48 euros seulement par an et par habitant aux tribunaux. « Basique ».

Il faut augmenter le nombre de magistrats et de personnels de la justice pour assurer l’accès de tous les citoyens au droit. Si la déjudiciarisation peut être opportune dans quelques situations, elle ne peut en aucun cas s’effectuer au profit d’opérateurs privés. Simple.

La réforme prévoit la restriction du périmètre d’intervention du juge, en limitant et en amputant des contentieux de masse. Au lieu de pallier le manque de personnel essentiel aux activités de médiation et de conciliation, votre projet de loi développe des modes alternatifs au règlement en ligne et consacre l’ouverture d’un marché du règlement des litiges. Basique.

La numérisation ne permet ni une justice de proximité ni une justice plus simple, mais elle aggrave les inégalités. Elle devrait garantir à tous les citoyens une alternative aux procédures dématérialisées. La fracture numérique, comme l’ont montré nos débats, est de nature à aggraver les difficultés d’accès au droit pour le citoyen en fonction de son origine sociale, de son handicap ou de son illettrisme. Simple.

Le projet de loi porte atteinte au principe de gratuité et d’accessibilité du service public. Il préconise la mise en œuvre de procédures dématérialisées et numériques dès le stade du pré-contentieux. Il instaure pour les litiges du quotidien, les petits litiges, une procédure entièrement dématérialisée. Il crée une juridiction nationale des injonctions de payer, qui confiera à cinq magistrats le soin de traiter annuellement 500 000 dossiers d’injonction de payer. C’est symptomatique de votre logique déshumanisée, éloignée et désincarnée. Basique.

Lorsque le contrôle du juge recule, la loi du plus fort s’installe. La pension alimentaire ayant été fixée par le juge en fonction d’une situation donnée, des besoins de l’enfant et des revenus du père ou de la mère, il nous apparaît nécessaire qu’un nouveau débat judiciaire s’ouvre entre les parties devant le juge pour modifier cette pension alimentaire. Simple.

Le Gouvernement transfère à la CAF le pouvoir de réviser le montant des pensions alimentaires. Cela constituera, nous le craignons, une entrave à l’accès au juge et rien n’indique que les CAF départementalisées seront plus rapides pour assurer un service aux usagers. Basique.

L’ordonnance de 1945 donne la priorité à l’éducatif, sans éluder le besoin de sanctions et en consacrant le rôle du juge pour enfants. Cette ordonnance exprime tout l’esprit de l’approche adoptée par notre pays dans le traitement de l’enfance en danger et de l’enfance délinquante, une approche dont nous devons être fiers. Simple.

Madame la garde des sceaux, vous annoncez subitement une réforme, sans débat au Parlement, pour accélérer les jugements des mineurs. Vous considérez les enfants comme des adultes en miniature, alors que l’ordonnance de 1945 les voit comme des adultes en devenir. Basique.

Une vraie justice de proximité implique le maintien des tribunaux d’instance comme une juridiction autonome, afin de de garantir leur rôle de médiateur social. Les juges d’instance sont spécialisés dans les contentieux sans gloire, comme nous les avons appelés, où la précarité économique et psychologique est déterminante. Cette justice populaire doit être à tout prix conservée. Cela paraît simple.

La mutualisation des contentieux au sein des TGI aboutira à la dégradation des délais de traitement, à la complexification de l’accès au juge et à une réorganisation qui videra de leur substance nos tribunaux. Basique.

Votre réforme, en un mot, est loin de répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés. Elle restreint, en pratique, l’égalité devant la loi. Un vote simple et basique : un vote contre.

(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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