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Marché de l’Art : ventes de meubles aux enchères publiques

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi relative aux ventes volontaires aux enchères publiques, plus de trois ans après son dépôt sur le bureau du Sénat, le 12 janvier 2008. Ce texte technique et spécifique qui ne concerne – en apparence du moins – qu’un nombre limité de personnes, a pour principale ambition de transposer au procédé des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques les prescriptions de la fameuse directive Bolkestein, appelée également directive « Services ».
Comme cela avait déjà été souligné en première lecture, on peut, pour le moins, s’étonner que cette transposition ait été réalisée sous la forme d’une proposition de loi et non d’un projet de loi. Ce dernier aurait pu être accompagné d’une étude d’impact, qui aurait pu être éclairante au regard des enjeux.
L’autre objectif du texte est de moderniser les conditions d’activités des acteurs du secteur, pour leur permettre de rivaliser plus efficacement, vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux, avec leurs concurrents anglo-saxons.
Selon l’exposé des motifs, les auteurs souhaitent ainsi « introduire plus de concurrence et plus de dynamisme sur un marché qui s’est trop longtemps assoupi et qui semble encore souffrir d’une certaine langueur, sans que l’ouverture introduite par la loi du 10 juillet 2000 ait véritablement porté ses fruits ». Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites !
La réforme de 2000 avait engagé une première étape dans la libéralisation des ventes aux enchères publiques en France en mettant fin au monopole des commissaires-priseurs en matière de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Cette évolution permettait de satisfaire aux obligations résultant des principes de libre établissement et de libre prestation de services, posés par le Traité de Rome. Les textes européens présentent beaucoup d’avantages quand on veut se lancer dans un libéralisme sans contraintes !
Avec la transposition de la directive « Services » une nouvelle étape est franchie : il s’agit de limiter, voire de supprimer, les réglementations des États membres qui pourraient constituer des barrières juridiques et administratives entravant le développement des activités de services transfrontalières.
Comme en 2000, l’influence des deux grandes sociétés internationales de ventes aux enchères que sont Christie’s et Sotheby’s a été prégnante. Sous prétexte, rappelé par vous-même, monsieur le garde des sceaux, de vouloir redynamiser le marché de l’art en France et de préserver la compétitivité de cette activité, cette proposition de loi favorise en fait – mais c’est sans doute le but recherché – la domination de ces deux grandes sociétés internationales de vente aux enchères.
Bien que les sociétés anglosaxonnes, Christie’s et Sotheby’s, profitent d’ores et déjà d’une situation de large domination du marché, elles pourront désormais être mandatées pour vendre de gré à gré et viendront concurrencer, directement sur leur terrain, galeristes et antiquaires. La préservation de l’activité des ventes aux enchères publiques constitue pourtant un enjeu social, puisque les sociétés de ventes volontaires emploient 2 210 personnes dans notre pays. De plus, il existe une réelle exception française dans le secteur du marché de l’art, exception que nous estimons nécessaire, quand à nous, de préserver.
Dans ce domaine, ce ne sont pas deux grosses sociétés, que vous semblez beaucoup admirer, monsieur le garde des sceaux, qui nous préoccupent, mais 15 000 professionnels soutenant plus de 10 000 emplois et entretenant des rapports avec 60 000 artisans.
Malheureusement, la compétitivité – mot dont vous vous délectez tout autant que de celui de performance –, compétitivité que vous tenez tant à conserver, n’est pas celle de ces petites et moyennes structures nationales.
En dérégulant le fonctionnement des mises aux enchères, en démantelant toutes les protections juridiques et en niant les spécificités culturelles de notre pays, cette proposition de loi provoquera l’effet inverse de celui avancé. Le caractère puissamment spéculatif du marché de l’art s’en trouvera renforcé.
Je note d’ailleurs que mes propos ne vous surprennent pas.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est vrai !
M. André Chassaigne. C’est donc que vous êtes déjà convaincu par ce que j’affirme.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vos affirmations sont assez habituelles !
M. André Chassaigne. L’élargissement de l’autorisation des ventes de gré à gré déstabilisera complètement le marché français en faisant courir le risque d’une position de monopole des deux géants internationaux, qui réalisent déjà 27 % des ventes volontaires aux enchères publiques en France alors qu’elles ne représentent que 2 % du total des opérateurs implantés dans notre pays.
De même, est substitué au régime d’agrément des sociétés de ventes, par le Conseil des ventes volontaires, un régime de déclaration. Ainsi, les ventes aux enchères ne seront plus régulées a priori. Elles seront libres et les établissements commerciaux désirant s’y livrer auront juste à se signaler auprès d’une autorité de régulation : le Conseil des ventes, qui sera composé de membres nommés par l’exécutif. Cela permettra, comme on l’a vu dans d’autres contextes, tous les conflits d’intérêts possibles.
Il me faut reconnaître, toutefois, que quelques modifications mineures ont été apportées sur ce point.
Comme en première lecture, nous voterons contre ce texte, car il aura pour effet de déréguler un marché spécifique au profit d’une poignée de grosses sociétés. Qui plus est, il nie nos spécificités culturelles en important des techniques de vente libérales, qui ont entraîné la fermeture de 30 % des galeristes en Angleterre.
Pour conclure, ce texte d’apparence modeste et ne suscitant que peu d’intérêt de la part des parlementaires, est pour moi un symbole : celui d’une société en cours de transformation complète, où l’obsession de la dérégulation et du libéralisme entraînera des conséquences désastreuses pour notre organisation sociale, et même nos traditions républicaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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