Interventions

Discussions générales

Modulation des contributions des entreprises

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le pacte de responsabilité présenté par François Hollande en janvier dernier constitue la nouvelle feuille de route du Gouvernement. Ce pacte nous préoccupe, car il confirme le tournant libéral engagé avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la loi dite de « sécurisation de l’emploi » ou encore la réforme des retraites. Présenté comme un instrument de redressement de l’économie, ce nouveau plan de réduction des cotisations et de compression des dépenses publiques repose sur le postulat suivant : « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Il vise à permettre aux entreprises d’accroître leurs profits dans l’espoir de stimuler l’investissement et la création d’emploi.
Pourtant, comme le rappelait récemment l’économiste Anne Eydoux dans les colonnes d’un grand quotidien national, « l’idée selon laquelle il faudrait baisser les cotisations sociales des employeurs pour baisser le coût du travail, et stimuler ainsi la compétitivité des entreprises et l’emploi, ne résiste pas à l’examen » car « la compétitivité n’est pas seulement tributaire du coût du travail. Le coût du capital pèse aussi fortement sur elle, pourtant, ce facteur est très rarement évoqué. »
Nous savons par ailleurs que le gel des dépenses pèse sur la consommation des ménages, sur la demande, et en fin de compte sur les débouchés des entreprises. Surtout, cela fait vingt ans que la France réduit, réforme après réforme, le montant des cotisations sociales. Pour quels résultats ? L’effet de ces politiques est difficile à évaluer, mais les faits sont têtus : force est de constater que les allégements de cotisations n’ont pas enrayé la montée du chômage. De plus, ils ont eu des effets pervers comme l’apparition de trappes à bas salaires. Sans oublier le coût de ces mesures, que l’on peut estimer à 75 000 euros par emploi et par an pour les seules mesures Fillon, soit bien plus que le coût des emplois aidés ou des 35 heures.
Nous ne comprenons pas le choix du Gouvernement. L’augmentation des profits des entreprises et la diminution des contraintes qui pèsent sur elles ne peuvent tenir lieu de politique économique et industrielle. Ce n’est pas en lâchant la bride aux profits que l’on produira plus et mieux ou que l’on contribuera à satisfaire les besoins en causant moins de dommages écologiques. Nous comprenons d’autant moins les orientations de la politique actuelle qu’il est possible de construire une alternative au libéralisme et de réunir la gauche autour de propositions consensuelles.
La modulation des contributions des entreprises est de celles-là. L’idée n’est pas neuve : nous la défendons depuis des années, et ne sommes pas seuls à le faire. Lors d’une visite sur le site de Gandrange, en janvier 2012, François Hollande lui-même, alors candidat à la présidentielle, avait avancé l’idée d’une modulation des cotisations sociales pour inciter les entreprises à privilégier les contrats longs plutôt que les contrats courts.
La modulation était également au cœur des engagements de campagne de François Hollande. Le chef de l’État indiquait alors qu’il « modulerait la fiscalité locale des entreprises en fonction des investissements réalisés » et qu’il opérerait une distinction entre « les bénéfices réinvestis et ceux distribués aux actionnaires ». Il disait enfin vouloir « mettre en place trois taux d’imposition différents sur les sociétés : 35 % pour les grandes, 30 % pour les petites et moyennes, 15 % pour les très petites ». Où sont passées ces bonnes intentions ?
La proposition de loi que nous présentons aujourd’hui s’inspire de ces sages préconisations. Elle n’a pas vocation à proposer des solutions toutes faites, à fournir un programme clef en main, mais à rouvrir le débat sur la modulation en prenant appui sur des propositions qui faisaient largement consensus à gauche avant les dernières échéances présidentielles et législatives. Le principe de modulation nous semble pertinent, car il repose sur le « donnant-donnant ». Ce principe nous semble plus efficace et plus crédible que le badge portant l’inscription « 1 million d’emplois » arboré fièrement par le dirigeant du MEDEF.
Il serait selon nous de bonne politique économique de baisser le taux d’imposition des entreprises qui réinvestissent leurs profits dans la recherche et l’innovation, la création d’emplois stables et la formation qualifiante des salariés. À l’inverse, il serait à la fois juste et efficace d’alourdir la contribution des entreprises qui distribuent une part importante de leurs bénéfices en dividendes ou bien délaissent l’investissement productif au profit d’investissements de croissance externe et de domination sur les marchés.
M. Marc Dolez. Très bien !
Mme Jacqueline Fraysse. L’idée d’appliquer des taux différenciés d’impôt sur les sociétés en fonction de la taille des entreprises est également une proposition de bon sens. Nous avons bâti une fiscalité des entreprises illisible et inefficace, organisée autour d’un taux unique assorti d’une myriade d’exceptions, d’exonérations, de minorations et de majorations.
Un rapport publié en 2010 par le Conseil des prélèvements obligatoires soulignait combien ces dispositifs dérogatoires aboutissent à une situation absurde : l’impôt sur les sociétés rapporte chaque 36 milliards d’euros, tandis que les mesures dérogatoires dont il fait l’objet coûtent chaque année plus de 50 milliards d’euros à l’État ! De plus, les grands groupes tirent profit de cet empilement de dispositifs qui leur permet de recourir à des techniques – légales ou frauduleuses – d’optimisation fiscale, afin de réduire le montant de leur imposition, avec les conséquences que l’on sait.
Notre architecture fiscale est profondément déséquilibrée. Non seulement elle est illisible, mais elle tient insuffisamment compte de la situation des entreprises, pénalise les plus petites d’entre elles et favorise les plus grandes. C’est un comble !
Il nous faut engager un vaste mouvement de réforme de notre fiscalité des entreprises pour qu’elle soit mieux adaptée aux différentes situations des entreprises, et pour qu’elle les incite plus à adopter des comportements économiquement et socialement vertueux. De la même manière, il nous faudrait refonder le financement de la protection sociale. Les revenus financiers des entreprises et des banques sont aujourd’hui exemptés de toute contribution sociale : les faire participer au même taux que les cotisations sociales payées par les salariés représente une première piste.
Nous proposons, dans le cadre de cette proposition de loi, une réforme structurelle du financement de la Sécurité sociale. Celle-ci serait toujours financée par des prélèvements assis sur les salaires, mais le dispositif comporterait un ratio rapportant les salaires versés par chaque entreprise à sa valeur ajoutée.
Ce dispositif a des limites, que beaucoup de nos collègues ne manqueront pas de souligner : il rivalise en complexité avec certains passages du code des impôts. L’essentiel, pour nous, est de proposer une autre forme de « donnant-donnant ». Avec notre dispositif, plus une entreprise chercherait à réaliser des profits contre l’emploi, plus elle serait pénalisée par une augmentation du taux de cotisation patronale. Elle serait encouragée à se comporter de manière inverse par une modulation révisable à la baisse du taux de cotisation.
Pour développer et orienter la production dans le sens de l’intérêt général, nous ne saurions nous en tenir aux seuls enjeux de financement. Nous devons garantir une plus grande participation des salariés à la gestion de leur entreprise. Nous devons aussi développer des outils comme la Banque publique d’investissement et mobiliser l’épargne populaire pour soutenir les secteurs industriels stratégiques.
Vous le voyez, beaucoup de voies méritent d’être explorées ensemble.
Nous voulons, avec cette proposition de loi, ouvrir la porte à la recherche de solutions dans lesquelles la gauche, dans la diversité de ses composantes, puisse se reconnaître.
Le tournant libéral opéré récemment par le Gouvernement comporte le risque d’un abandon de ce qui constituait jusqu’ici la colonne vertébrale de la social-démocratie française, à savoir l’idée que l’État a pour mission de corriger les excès du marché et de veiller à ce que se réalise un compromis entre le capital et le travail. Ce compromis a volé en éclat avec la crise financière de 2008 et le nouveau « compromis social » proposé par le chef de l’État n’a plus de compromis que le nom.
Désormais, on tente de nous faire admettre que le rôle de l’État se limite à s’assurer du respect des règles qui gouvernent l’économie de marché, en espérant que les entreprises voudront bien, un jour, relancer l’emploi, la production et l’investissement en France.
Nous récusons cette approche, car nous demeurons convaincus qu’il incombe à l’État d’être le garant et le levier d’un juste partage des richesses et d’un développement économique socialement et écologiquement responsable.
Voilà la démarche qui sous-tend cette proposition de loi, et c’est dans cet esprit que nous vous invitons tous, chers collègues, à l’adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Imprimer cet article

Jacqueline
Fraysse

Sur le même sujet

Finances

A la Une

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques