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MRC : PLFR pour 2012

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean Mallot. Et bien sûr, les députés UMP quittent l’hémicycle !
M. Jean-Pierre Brard. Je voudrais d’abord saluer nos collègues de l’UMP, arrivés avec retard, et je félicite Christian Jacob pour son autorité puisqu’il a réussi à mobiliser sa troupe. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Ne vous excitez pas, monsieur Jégo. Le fait que je vous tende le miroir pour vous montrer vos insuffisances…
M. Yves Jégo. Tournez-le vers vous et vous verrez toutes les vôtres !
M. Jean-Pierre Brard. …devrait au contraire vous satisfaire puisque je vous encourage à militer plus ardemment au sein de votre groupe.
Monsieur le ministre, la manière dont le Gouvernement soumet au Parlement ce nouveau plan d’austérité, le troisième en moins d’un an, n’est pas acceptable. Nous n’avons eu que quatre jours pour prendre connaissance d’un texte qui a vocation à revenir sur le fondement de notre protection sociale. À moins de soixante-dix jours de l’échéance présidentielle, aucune urgence ne justifiait un tel texte.
Quant au fond de ce projet de loi de finances rectificative, ce qui choque, c’est le décalage entre votre discours et ce que vivent la grande majorité de nos concitoyens. J’en veux pour preuve la déclaration de Mme Pécresse, mercredi 1er février, dans cet hémicycle : « Jamais un gouvernement n’a autant fait pour les plus fragiles. Nous avons fait un véritable bouclier social ». C’est vrai, jamais le nombre des plus fragiles n’a été autant augmenté.
Une vague de précarité frappe le pays : le chômage touche 5 millions de nos concitoyens, la France compte 8,2 millions de pauvres en 2011, triste record pour votre majorité.
M. Yves Bur, rapporteur pour avis. C’est mieux que dans la majorité des pays européens !
M. Jean-Pierre Brard. Pour vous faire descendre de votre tour d’ivoire où vous êtes enfermée depuis maintenant presque cinq ans avec vos amis les repus, les riches et les privilégiés, je vous invite vivement à m’accompagner dans mon département…
Plusieurs députés du groupe UMP. Avec Voynet ?
M. Jean-Pierre Brard. …pour rencontrer des habitants de Montreuil et de Bagnolet, dans la cité des Grands Pêchers ou dans le quartier des Coutures. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Christian Jacob. Nous en avons parlé avec Mme Voynet.
M. Jean-Pierre Brard. Vous entendrez la souffrance de nos concitoyens, et le fait que vous émettiez un grand nombre de décibels pour couvrir ma voix me fait plaisir. C’est l’hommage du vice à la vertu.
M. le président. Monsieur Brard, puisque vous avez la parole et le micro, ne laissez pas couvrir votre voix et poursuivez votre propos.
M. Jean-Pierre Brard. Vous ne pensez pas, monsieur le président, que je vais me laisser faire…
M. le président. Je vous invite à poursuivre sans vous laisser perturber.
M. Jean-Pierre Brard. …par des collègues qui veulent bâillonner la voix de la France profonde.
Tous sans exception, qu’ils soient chômeurs, commerçants, ouvriers, employés ou fonctionnaires, vous diront que leur situation n’a fait qu’empirer depuis que vous êtes au pouvoir. Leur pouvoir d’achat a baissé, leurs frais médicaux sont de moins en moins remboursés et leurs services publics n’ont plus les moyens de fonctionner correctement.
M. Yves Bur, rapporteur pour avis. Les statistiques disent le contraire !
M. Jean-Pierre Brard. C’est vrai même en Alsace, monsieur Bur.
M. Yves Bur, rapporteur pour avis. Non ! Vous nous racontez une fausse histoire !
M. Jean-Pierre Brard. Ce nouveau projet de loi de finances rectificative est une ultime gesticulation de la part d’un gouvernement aux abois, visant à poursuivre toujours plus loin la casse du modèle social français. En vous entendant tout à l’heure, monsieur Baroin, je me disais que vous mériteriez d’être capitaine de grand bateau, parce que vous au moins seriez le dernier à quitter le bateau au moment où il coule, alors que certains d’entre vous, mes chers collègues, avaient déjà déserté la passerelle cet après-midi, ne vous en déplaise.
Après la réforme des retraites, après les cadeaux fiscaux qui plombent les comptes de l’État, après la RGPP qui impose le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, vous voulez désormais, à moins de soixante-dix jours de l’élection présidentielle et sans concertation avec les partenaires sociaux, bouleverser le mode de financement de notre protection sociale.
La « TVA sociale », comme vous aimez l’appeler, est en réalité une arnaque de grande ampleur visant à faire financer la protection sociale non plus par les entreprises mais par les consommateurs. En d’autres termes, cela revient à siphonner les caisses de la sécurité sociale. Vous avez exaucé les rêves du MEDEF et de Denis Kessler, son idéologue, qui a dit en 2007, dans la revue Challenges, qu’il fallait sortir de 1945 et défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance.
Les Français ne sont pas des sots, ils ont bien entendu le mot TVA dans votre bouche, ils savent qu’ils vont devoir subir une nouvelle baisse de leur pouvoir d’achat.
En 2007, Nicolas Sarkozy a menti aux Français en leur disant qu’il serait le Président du pouvoir d’achat. Savez-vous de combien a augmenté le coût du panier de la ménagère en 2011, et c’est vrai aussi bien à Montreuil qu’à Provins, monsieur Jacob ? De 4,4 %. Une baguette de pain coûte 95 centimes d’euros alors que, l’année dernière, elle coûtait 90 centimes.
Plusieurs députés du groupe UMP. Non !
M. Jean-Pierre Brard. Je vois qu’il y a chez vous des boulangers qui pratiquent le dumping ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais c’est le prix normal aujourd’hui, et vous savez bien pourquoi le prix de la baguette a augmenté ! Il y a dix ans, la baguette coûtait trois francs, c’est-à-dire quarante-six centimes d’euro. Le prix du pain de base a doublé. Cela vous fait rire, madame la ministre, vous vous esclaffez…
Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Je souris parce que je vois que vous n’avez jamais eu autant de spectateurs, monsieur Brard !
M. le président. Madame la ministre, il vaudrait mieux éviter de l’inciter à digresser !
M. Jean-Pierre Brard. Vous vous félicitez, vous aussi, que vos suppôts de l’UMP soient enfin arrivés ! Mais que ne les avez-vous incités à venir dès cet après-midi ? Nous étions seuls, à gauche, à travailler pour le bien de la nation (Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC), les vôtres avaient déserté ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et SRC.)
M. le président. Monsieur Brard, je m’inquiète du temps de parole qui vous reste !
M. Jean-Pierre Brard. Je vais continuer à égrener la réalité telle qu’elle est. Autre exemple d’augmentation des prix, les pâtes : en dix ans, le paquet de spaghettis a augmenté de 162 %, passant de soixante-seize centimes d’euro en 2001 à deux euros en 2011.
Les gens qui nous regardent sur leurs écrans, sur internet, auront vu à quel point le fait que l’on rappelle ce qu’il en est des conditions de vie des Français est insupportable aux députés de l’UMP.
M. Yves Bur, rapporteur pour avis. La TVA ne va pas augmenter sur ces produits ! Ni sur le pain, ni sur les pâtes.
M. Jean-Pierre Brard. Quant à ceux du Nouveau Centre, ils se tiennent cois car ils sentent bien que, s’ils veulent avoir une chance d’être réélus, il ne faut pas trop coller aux fesses de l’UMP !
Pendant que les prix augmentaient, qu’avez-vous fait, madame la ministre, monsieur le ministre, pour le pouvoir d’achat des Français ? Vous l’avez abaissé. Vous avez toujours refusé d’augmenter substantiellement les salaires. Lors de ce quinquennat, le SMIC mensuel n’a augmenté que de 78 euros, soit 9 %. D’après les chiffres de la CGT Finances, l’inflation a été sur la même période de 17 %. Aujourd’hui, le SMIC net est de 1 100 euros.
M. Patrick Lemasle. Pour un temps plein !
M. Jean-Pierre Brard. Avec 1 100 euros par mois, personne ne peut vivre sans être dans la gêne. C’est à peine plus que le seuil de pauvreté, qui est de 954 euros par mois.
Par pédagogie, je vais vous donner un exemple concret, car tous les jours, comme l’ensemble de nos collègues, je côtoie des gens qui souffrent. Il y en a qui font semblant de ne pas les voir, tandis que d’autres discutent avec eux et les écoutent.
Je vous donnerai l’exemple de Mme Duru, qui vit dans le quartier Le Morillon à Montreuil. À soixante-dix ans, sa retraite ne lui suffisant pas, elle a été obligée de retrouver un travail. Voici ce qu’elle doit dépenser : six cents euros pour le loyer, soixante-sept euros pour le gaz et l’électricité s’il ne fait pas trop froid, quatre-vingt euros pour la mutuelle, et cela va augmenter cette année à cause de vous et de la façon dont vous avez taxé les mutuelles, soixante-dix euros pour ses différentes assurances, cent cinquante euros pour l’essence car elle travaille, à son âge, comme livreuse de journaux et doit donc utiliser sa voiture tous les jours, et, enfin, trente-trois euros pour le téléphone. Au total, 1 052 euros de dépenses ; il ne lui reste que 162 euros pour se nourrir et tenir le reste du mois. Est-ce vivre ou survivre ? Pour y arriver, elle doit parfois s’endetter.
Par contre, ceux que vous servez avec zèle et abnégation, les tenants du capital…
M. Charles de Courson. Du grand capital !
M. Jean-Pierre Brard. …et les privilégiés s’en sont mis plein les poches grâce à vous. Le grand capital, nous rappelle Charles-Amédée de Courson, et il sait de quoi il parle ! (Rires.) En 2011, les profits des entreprises du CAC 40 ont atteint la somme faramineuse de 86 milliards d’euros. La moitié de ces 86 milliards a été distribuée aux actionnaires. Les travailleurs, ceux qui se lèvent tôt…
M. Jean Mallot. Ce n’est pas le cas des députés UMP, qui n’arrivent pas à être en commission à dix-sept heures !
M. Jean-Pierre Brard. …et qui travaillent dur, comme disait Nicolas Sarkozy quand il voulait piper leurs voix, n’en ont pas vu la couleur.
Grâce à des niches fiscales, comme la niche Copé qui coûte 5 milliards d’euros par an à l’État, les entreprises du CAC 40, qui réalisent des bénéfices record, sont assujetties à un taux d’imposition moyen de 7 %, alors que les très petites entreprises et les PME le sont au taux de 33 %. Pire, l’entreprise Total, par exemple, a réalisé un résultat net de 10 milliards d’euros en 2010 et n’a pas payé un centime d’euro d’impôt au fisc. En 2011, son résultat net serait de 12 milliards d’euros et Total ne paierait que 1,2 milliard d’euros d’impôt, soit un taux d’imposition de 10 %.
Vous avez également multiplié les cadeaux fiscaux pour les plus riches. Contrairement au bouclier social, le bouclier fiscal, lui, a bel et bien existé ! Vous l’avez traîné comme un boulet pendant quatre ans. En juin dernier, vous avez fait mine de le supprimer mais, en réalité, vous l’avez habilement remplacé par la réforme de l’ISF. Celle-ci nous fait perdre chaque année 1,8 milliard d’euros, qui vont directement dans la poche des nantis. Cela permet à madame Bettencourt, par exemple (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP),…
M. Yves Vandewalle. Vous l’aimez vraiment !
M. Jean-Pierre Brard. …qui doit 100 millions d’euros au fisc, je tenais à vous le rappeler, de ne payer que 10 millions d’impôts cette année, contre 42 millions l’année dernière.
M. Patrick Lemasle. Et pourtant, c’est une femme généreuse !
M. Jean-Pierre Brard. Madame Pécresse, vos oreilles finissent par être écorchées, car je crois que c’est aujourd’hui la trentième fois que je vous en parle, mais vous vous en êtes toujours sortie jusqu’à présent en invoquant le secret fiscal. C’est quand même bizarre comme le secret, la confidentialité protègent les privilégiés, alors que les autres peuvent être passés aux rayons X dès lors que vous le décidez !
Que fait le Gouvernement face aux bénéfices incroyables de la Bourse ? Pas grand-chose, même s’il se vante de vouloir enfin faire adopter une taxe Tobin à la française, au terme de cinq années de pouvoir, alors que les monstres ou les requins de la finance… – madame Pécresse, ne me regardez pas comme ça : je vois que vous êtes effrayée par l’image que je donne de votre politique, bien qu’elle n’en soit qu’un reflet fidèle !
M. Yves Jégo. Cela fait longtemps que vous ne faites plus peur à personne, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. On en reparlera !
Vous avez privilégié ceux qui possèdent les fonds de pension et les traders, qui n’ont pas eu la pudeur d’attendre pour s’en prendre aux finances de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne ou de l’Italie.
La droite nous propose, en guise de taxe Tobin, une usine à gaz législative. La complexité du dispositif, qui fera la joie des cabinets d’avocats fiscalistes chargés de comprendre les subtilités de cette loi, s’explique uniquement par votre volonté de n’appliquer cette taxe qu’à une infime partie des échanges spéculatifs. C’est ce que vous avez oublié de nous dire, tout à l’heure ; certainement était-ce pour ne pas allonger les débats !
C’est ainsi qu’une centaine seulement de titres d’entreprise seront concernés par votre taxe, alors que la France compte 770 entreprises cotées au CAC 40. Monsieur Mancel, vous faites bien de m’écouter avec attention car les ministres n’ont rien dit de cette réalité. Ils veulent tromper l’opinion et faire croire que l’on taxera vraiment les mouvements financiers alors qu’ils ont choisi quelques victimes, qui seront à peine égratignées, pour mieux préserver la quasi-totalité des entreprises concernées.
Cette taxe sur l’acquisition de certaines actions n’est qu’un effet d’annonce. Vous voulez nous faire adopter un mécanisme au rabais. Une telle contribution ne rapportera au pays que 1,1 milliard d’euros par an, alors que le volume des échanges financiers en 2010 a atteint en France, écoutez bien, chers collègues, 146 000 milliards d’euros. Ce n’est pas un horrible gauchiste qui le dit mais votre ami – encore qu’il ait des amitiés changeantes, je le reconnais – Philippe Douste-Blazy (Rires et exclamations sur quelques bancs du groupe UMP),dans un rapport publié en septembre 2011. Ne le reniez pas, il fait partie des vôtres !
Votre proposition n’est bel et bien qu’un simulacre de taxe Tobin. Je tiens à vous rappeler que la proposition de taxation des transactions financières défendue conjointement le 1er décembre 2011 par les députés du Front de gauche et les députés allemands, nos camarades de Die Linke, permettait d’apporter 15 milliards d’euros de ressources supplémentaires à l’État. Soit 14 milliards d’euros d’écart : la différence est sensible entre une taxe Tobin réelle et un pastiche de cette taxe.
Ce n’est un secret pour personne, Nicolas Sarkozy a les yeux de Chimène pour Angela Merkel : il ne jure que par le modèle allemand.
Un député du groupe UMP. C’est mieux que le modèle soviétique !
M. Jean-Pierre Brard. Et cette dernière le lui rend bien, affectueusement, n’hésitant pas à proposer ses services pour chauffer la salle lors des prochains meetings de campagne de Nicolas Sarkozy. Vous voyez Angela Merkel en DJ, pour que ça chauffe !
M. Michel Piron. C’est du Jérôme Bosch !
M. Yves Bur, rapporteur pour avis. Ne fantasmez pas, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Bur, vous êtes jaloux !
Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée ; nous verrons ce que ça donne.
Quelle est la réalité de ce modèle dont nous sommes censés attendre monts et merveilles ? C’est celui du pays où l’on a créé le moins d’emplois depuis vingt ans. Il est aussi celui où la hausse des inégalités de revenus a été la plus élevée d’Europe ces dernières années, à l’exception de la Bulgarie et de la Roumanie. Celui encore où la part des salaires dans la richesse créée a le plus baissé, où le pourcentage de chômeurs indemnisés a le plus fortement chuté, tout comme la part des investissements dans le produit intérieur brut. Un pays où le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté atteint 17 %, contre 13 % en France. Un pays où 10 % de la population essaye d’aller à la soupe populaire pour se nourrir, d’après le chiffre que le député allemand Thomas Nord, qui était avec nous ce matin dans le groupe de travail franco-allemand, nous a communiqué. Un emploi sur trois n’y est ni à temps plein ni à durée indéterminée, un emploi sur dix est un job payé moins de 400 euros par mois. Le pourcentage des emplois à bas salaire a augmenté de six points, et 2,5 millions de personnes travaillent aujourd’hui, en l’absence de salaire minimum, pour moins de cinq euros de l’heure en moyenne – dans une fourchette de trois à sept euros, en réalité.
Voilà votre Allemagne, celle que vous idéalisez : c’est un jardin d’Éden pour le patronat !
M. Yves Bur, rapporteur pour avis. Vous avez choisi le modèle de l’Allemagne de l’Est et vous ne l’avez jamais renié !
M. Jean-Pierre Brard. Chaque fois que la droite choisit l’Allemagne comme modèle, on sait ce que cela veut dire ! Il y a eu des précédents historiques, ne vous en déplaise.
M. Yves Bur, rapporteur pour avis. Vous êtes un archéo !
M. Jean-Pierre Brard. C’est au nom de ce modèle allemand que Nicolas Sarkozy a sommé les organisations syndicales et patronales de conclure sous deux mois ce qu’il appelle des accords de compétitivité-emploi. Il oublie au passage un des principes de base du modèle social allemand : la cogestion. Dans le contexte allemand, ce système favorise la défense des intérêts des salariés dans la gestion quotidienne de leur outil de travail et laisse les organisations syndicales et patronales régler entre elles leurs conflits. Au contraire, Nicolas Sarkozy pose un pistolet sur la tempe des syndicats pour qu’ils parviennent à un accord et, au cas où les syndicats résisteraient aux pressions, il impose sa volonté à une majorité parlementaire docile votant le petit doigt sur la couture du pantalon.
Ce terme de « compétitivité-emploi » est un double mensonge. En ce qui concerne la préservation de l’emploi, la réalité est que les salariés sont obligés de travailler quarante heures payées trente-cinq. C’est le « travailler plus pour gagner moins », sans même que les salariés soient sûrs de conserver leur emploi. Parlez-en aux salariés de l’usine de pneus Continental, qui ont été licenciés brutalement par leur employeur alors qu’ils avaient naïvement accepté de troquer cinq heures de travail supplémentaire non rémunérées contre la promesse d’un maintien de l’emploi.
Le second mensonge est celui de la compétitivité. Les entreprises françaises n’obtiendront pas de nouveaux contrats grâce à ces accords, elles percevront simplement davantage de bénéfices, sur le dos de leurs salariés. Le nom exact que l’on devrait donner à ces conventions, c’est « précarité-emploi », car seul le patronat en bénéficierait.
Mais les mesures de Nicolas Sarkozy ne s’arrêtent pas à cela : Il veut nous imposer un troisième plan d’austérité en six mois. Après l’augmentation du prix des mutuelles et le déremboursement de certains médicaments au mois de septembre, après l’augmentation de la TVA sur les produits de première nécessité en décembre, il ressort un projet datant de cinq ans pour faire adopter en février une nouvelle hausse de la TVA. Cette augmentation va peser sur les budgets des couches moyennes et sur les familles les plus pauvres, ce qui aggravera encore les difficultés qu’elles rencontrent pour boucler leurs fins de mois.
Ainsi, je vais prendre un autre exemple, madame la ministre, monsieur le ministre : Kamel B. et sa femme habitent dans le quartier de la Dhuys à Bagnolet, et ont chaque mois pour vivre 1 892 euros ; l’augmentation de 1,6 point de la TVA va leur coûter 24 euros par mois. Malgré l’addition des différentes dépenses mensuelles – loyer, crédit pour la voiture, budget alimentaire, la mutuelle, le gaz, l’électricité et l’essence –, cette famille parvenait tout de même à économiser en moyenne 50 euros chaque mois, qu’elle conservait pour faire face à d’éventuels coups durs. Le coup dur dorénavant, ce ne sera plus la panne de la machine à laver ou du sèche-linge, mais votre nouvelle hausse de la TVA, qui va les priver de la moitié de l’argent qu’ils économisaient ! Ne trouvez-vous pas qu’il y a une différence sensible entre le petit bas de laine de ce couple de Français moyens de Bagnolet et Mamie Liliane, qui a tellement de milliards d’euros sur son compte en banque qu’elle ne se rappelle plus avoir placé illégalement 100 millions d’euros en Suisse ?
Je vous agace, mes chers collègues de la majorité,…
Mme Pascale Gruny. Juste un peu !
M. Bernard Perrut. Vous caricaturez, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. …et j’en suis fort aise, parce que vous n’aimez pas qu’on rappelle sans cesse que vous êtes les marchepieds des privilégiés, dont vous avez beurré la tartine indécemment depuis cinq ans. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Pourquoi alors vous en prenez-vous systématiquement à la France du travail plutôt qu’à celles et ceux qui n’ont d’autres mérites que d’être bien nés ? Vous devez expliquer au peuple de France et à sa représentation pourquoi 85 % de l’effort financier de ce nouveau plan d’austérité est supporté par la France d’en bas et seulement 15 % par les plus riches.
Une chose est certaine : cette TVA usurpe le qualificatif de social. Contrairement aux effets d’annonce, elle ne permettra pas de maintenir ou de créer un seul emploi en France car elle porte atteinte au premier moteur de la croissance : la consommation.
M. Pierre-Alain Muet. Très juste !
M. Jean-Pierre Brard. Un petit exemple, madame la ministre, monsieur le ministre : si on applique votre nouvelle TVA sur le prix de vente d’une tondeuse à gazon électrique chinoise vendue 100 euros dans le commerce, le nouveau prix de vente sera majoré de 1,60 euro, et si on l’applique à une tondeuse à gazon électrique française de la marque Wolf – peut-être l’utilisez-vous quand vous tondez vos pelouses –, avec les mêmes spécificités techniques que la précédente, vendue 200 euros dans le commerce – mais certainement de meilleure qualité –, le nouveau prix de vente sera majoré de 3,20 euros. Avant la « TVA sociale », l’écart entre la tondeuse chinoise et la tondeuse française était de 100 euros. Après application de votre nouvelle TVA, l’écart de prix aura augmenté, atteignant désormais 101,60 euros. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Madame Pécresse, pouvez-vous m’expliquer en quoi la TVA sociale favorise la compétitivité des entreprises françaises ? Et même si vous réduisiez à néant les cotisations de sécurité sociale, les salariés français produiraient toujours plus cher que les salariés chinois.
Ce qui coûte cher en France, c’est la somme des intérêts versés et des dividendes payés aux actionnaires, que l’on peut appeler non pas le coût du travail mais le coût du capital, qui a été multiplié par treize depuis 1980 ! Mais je sais que, pour vous, ce n’est pas politiquement correct d’évoquer des faits aussi crus, et pourtant trop réels ! Que l’on refasse le calcul de l’impact de la « TVA sociale » sur les cure-dents ou sur les batteries de cuisine, une seule chose est certaine : les produits français n’en tireront aucun avantage de compétitivité.
Monsieur le président, je sais que le temps file, j’en viens donc à la conclusion de mon propos. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
M. Philippe Vitel. Vous auriez dû commencer par là !
M. le président. Très bien, monsieur Brard. Je vous invite en effet à respecter votre temps de parole.
M. Jean-Pierre Brard. Je sais bien, mes chers collègues, que vous aurez ensuite des regrets pour ne pas avoir été suffisamment attentifs parce que, au fond de vous-mêmes, vous savez bien que je dis des vérités désagréables, mais des vérités tout de même !
M. Philippe Vitel. Des choses désagréables, oui. Mais des vérités, non !
M. Jean-Pierre Brard. Vous verrez, après le mois de juin, quand vos électeurs vous auront rendu du temps pour réfléchir, vous comprendrez combien j’ai eu raison de vous éclairer, et vous aurez cinq ans pour vous faire une nouvelle religion.
La crise du capitalisme nous offre une formidable opportunité de changer la donne. La France a le poids pour impulser un changement profond de fonctionnement en Europe. L’enjeu fondamental est donc de rompre avec ce système et l’idéologie néolibérale qui nous oppriment et non de les rafistoler. Ce système nous opprime car en voulant les assujettir, il prive les peuples de leur souveraineté et les hommes de leur aspiration légitime à vivre dignement. Nous, le Front de gauche, nous disons à nos concitoyens qui nous regardent qu’il n’y a pas de fatalité à la précarité, car la France est un pays riche. Nous irons chercher l’argent là où il se trouve, c’est-à-dire dans la poche des privilégiés (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), chemin que vous n’avez jamais trouvé. À l’exemple du peuple grec qui résiste courageusement face au gouvernement de Lukas Papademos, ancien de Goldman Sachs comme M. Monti et M. Draghi, nous lutterons avec acharnement contre votre politique.
Le SMIC à 1 700 euros et le plafonnement de l’échelle des salaires dans un rapport de un à vingt, c’est possible, il suffit d’avoir le courage politique de le décider. Comme le disent les Grecs qui manifestaient hier : « Ce sera eux ou nous ! » Vous, vous êtes avec les popes et les armateurs ; nous, nous sommes avec les filles et les fils de l’Olympe (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) – Eh oui, monsieur Giscard d’Estaing ! –,…
M. Louis Giscard d’Estaing. Je n’ai rien dit !
M. Charles de Courson. M. Brard avec les filles de l’Olympe ? À son âge ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. …ces enfants de l’Olympe qui honorent notre civilisation et que vous trahissez aujourd’hui en étant solidaires de M. Papademos. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Regardez la Grèce : l’Europe, le FMI et la BCE lui ont imposé la semaine dernière une baisse de 284 euros du salaire minimum, le faisant passer de 876 à 592 euros, après la braderie de ses services publics.
M. Yves Bur, rapporteur pour avis. Vos collègues communistes grecs n’ont pas baissé leurs indemnités, bien au contraire : elles sont supérieures aux nôtres !
M. Jean-Pierre Brard. La réalité, madame la ministre, monsieur le ministre, est que vous avez instrumentalisé la crise. Elle est devenue un prétexte pour imposer au peuple français le même traitement de choc que celui que subit le peuple grec, un prétexte pour effacer soixante-dix ans d’acquis sociaux arrachés de haute lutte aux forces de l’argent.
Lors de ce quinquennat, Nicolas Sarkozy n’a fait que mentir aux Français.
M. Yves Bur, rapporteur pour avis. Vous les mystifiez !
M. Jean-Pierre Brard. La Constitution et les valeurs républicaines ont été bafouées comme rarement en France. Les inégalités se sont creusées. Les services publics, « le bien de ceux qui n’ont rien », disait Jaurès, sont de plus en plus attaqués.
Mes chers collègues, il faut remettre durablement l’humain au centre de l’action publique.
M. Jean Mallot. Voilà !
M. le président. Monsieur Brard, j’attends la conclusion que vous m’avez annoncée il y a trois minutes.
M. Jean-Pierre Brard. Mes chers collègues, je vous demande de voter notre motion de renvoi en commission afin de renvoyer aux calendes grecques le projet de « TVA sociale » et d’engager un véritable débat sur la répartition des richesses dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

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Jean-Pierre
Brard

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