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MRP - Pt organique sur la programmation et la gouvernance des finances publiques

M. le président. J’ai reçu de M. André Chassaigne et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. François Asensi.
M. François Asensi. Mon propos sera moins consensuel. Je crois rêver en voyant cette assemblée, où droite gouvernementale et gauche gouvernementale s’entendent à merveille…
M. Charles de Courson. C’est plus compliqué que cela !
M. François Asensi. …et où il n’y a plus aucune opposition sur le plan économique. Je constate une fusion politique entre les deux, au moins sur les questions économiques.
La construction européenne est née d’un idéal de paix, d’une volonté de progrès social et de développement économique, mais aussi d’une ambition démocratique avancée, pour permettre l’épanouissement individuel des citoyens.
À notre grand regret, cette Europe se trouve dans l’impasse. Elle dérive en une superstructure technocratique, sans âme et sans projet – une construction post-démocratique, selon la formule du philosophe allemand Habermas.
Comment susciter l’adhésion quand l’Union européenne se construit à l’écart du suffrage universel ? Comment adhérer à un projet européen qui se donne pour seul horizon l’austérité ?
Pour nos concitoyens, Union européenne rime avec mal-vie, crise et régression. Le décalage est complet entre certaines élites politiques, administratives et financières qui tirent parti d’une ouverture économique débridée et ceux qui la subissent à travers les délocalisations, la pression sur les salaires ou le dumping social.
L’attente demeure d’une Europe qui protège de la crise, qui lutte contre les inégalités et qui œuvre pour un vrai rapprochement entre les peuples. Mais cette attente s’étiole dangereusement.
Pendant ce temps, l’Union européenne n’a qu’un seul but : rassurer les marchés financiers, restaurer leur confiance. Elle n’a qu’un credo, sacrifier les dépenses publiques par une succession de mesures d’austérité dans l’hypothétique espoir de lendemains qui chantent. Mais ne voyez-vous pas que c’est au peuple qu’il faut redonner confiance, de toute urgence ?
M. Charles de Courson. On a déjà entendu cela, il y a quelques années…
M. François Asensi. La ratification à marche forcée du traité Sarkozy-Merkel plonge un peu plus l’Europe dans le déni démocratique. En bafouant en 2005 le « non » des peuples français et néerlandais à l’Europe des marchés financiers et de la libre concurrence, une fracture profonde s’est ouverte entre les peuples européens et leurs dirigeants.
Le Gouvernement ne fait que l’accentuer en refusant d’associer les Français au débat sur la construction européenne. Oui, il fallait avoir l’audace politique de soumettre ce texte à la souveraineté populaire et de se confronter aux interrogations des Français.
Pour contourner leur avis et leur souveraineté, vous avez choisi le passage par une loi organique, la voie la moins contraignante – la plus obscure, même – bien aidés en cela par la décision juridiquement acrobatique du Conseil constitutionnel.
Pourtant, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance contient des transferts de souveraineté importants, qui touchent au fonctionnement de notre démocratie et de nos institutions, puisque le Parlement verra ses pouvoirs considérablement amputés au profit de la Commission européenne et du Haut Conseil des finances publiques, deux instances non élues.
Ce que l’on nous propose, ce n’est rien de moins que la constitutionnalisation de l’austérité pour les décennies à venir. Cette potion amère ne permettra pas à l’Europe de sortir de la crise. Bien au contraire, elle ne fera que renforcer les inégalités en plongeant les États membres dans la récession.
Députés communistes du Front de gauche, nous défendons une autre vision de l’Europe. Nous voulons une Europe libérée du dogme libéral et qui s’affranchit de l’emprise des marchés financiers. Nous voulons une Europe sociale qui privilégie la solidarité sur la sanction, la lutte contre les inégalités sur le dumping et la souveraineté du peuple sur le gouvernement des prétendus experts.
La loi organique que nous examinons constitue le bras armé du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Elle transpose en droit interne la règle d’or.
Cette loi organique sert de cheval de Troie aux diktats des marchés financiers et de la Commission européenne, et promeut une nouvelle étape vers une Europe antidémocratique et antisociale.
Par les transferts de souveraineté inclus dans le traité budgétaire européen, par le reniement de la souveraineté populaire et parlementaire, cette loi organique bouleverse de manière structurelle l’équilibre des pouvoirs publics. Elle vise à créer un cadre budgétaire extrêmement contraint qui, tout en préservant les apparences, vide de pouvoir nos institutions.
Nous refusons la tentative de banalisation de ce traité, menée à gauche comme à droite. Non, il ne s’agit pas de la poursuite de la coordination budgétaire européenne programmée depuis Maastricht et le pacte de stabilité. Nous sommes face à l’émergence d’une nouvelle architecture budgétaire qui prive de son pouvoir de décision le peuple français, le législateur et les collectivités locales.
M. Christian Eckert, rapporteur. Ce n’est pas vrai !
M. François Asensi. Ces raisons justifient pleinement la motion de rejet préalable que nous présentons.
Le recours à la loi organique est juridiquement contestable. Une large partie des constitutionnalistes penchaient pour considérer qu’une réforme de la Constitution était nécessaire afin de traduire le traité et la règle d’or en droit interne, avant que le Conseil constitutionnel n’avalise le passage en force du Gouvernement. La vice-présidente de l’association des constitutionnalistes français jugeait même « incroyable » qu’une réforme constitutionnelle ne soit pas requise par les neuf sages.
Je maintiens la position que j’ai exprimée ici lors de l’examen du traité budgétaire européen : le Conseil constitutionnel a rendu le 9 août dernier une décision politique, malgré les transferts de souveraineté bien réel contenus dans ce traité et la modification du fonctionnement de nos institutions.
Comment ne pas percevoir dans sa décision une lecture pour le moins alambiquée du texte du traité qui, en tordant les mots et la syntaxe, parvient à esquiver le retour devant le peuple souverain ?
Suivant les desiderata du Gouvernement autant que leurs propres convictions idéologiques, les sages ont construit leur raisonnement juridique pour parvenir à une fin déterminée à l’avance : éviter une réforme constitutionnelle.
Un tel raisonnement a peu à voir avec un jugement en droit : c’est un jugement d’opportunité politique. Doit-on s’en étonner, de la part d’une institution composée d’anciens membres de la Commission européenne, d’initiateurs et de rédacteurs des traités européens ? Il n’est pas exagéré d’affirmer que, dans cette décision du 9 août, le Conseil constitutionnel était juge et partie.
Doit-on souligner que, nommés du fait du Prince par les deux formations majoritaires, ils partagent depuis des décennies une vision convergente de l’Europe et de l’économie ? Qualité et probité de ses membres mises à part, les constitutionnalistes du monde entier s’accordent pour considérer notre cour constitutionnelle comme une bizarrerie démocratique, tant dans son fonctionnement que par sa composition. Cette décision vient une nouvelle fois le prouver.
En résumé, nos institutions marchent sur la tête : le Conseil constitutionnel met de la politique là où devrait régner le droit et le Haut Conseil des finances publiques, du droit là où devrait s’exprimer le politique.
L’affaiblissement du politique et l’émergence d’un pouvoir technocratique menacent la République et notre démocratie. Il est extrêmement périlleux de construire l’Europe et de conduire la France contre les peuples et leurs représentants.
Parce que nous sommes attachés à une Europe politique, fondée sur la démocratie et le progrès social, nous refusons l’aveuglement technocratique de l’Union européenne qui dépossède les peuples de leur destinée pour la confier à des experts.
Je sais que les membres de la majorité gouvernementale puisent une partie de leurs références intellectuelles et politiques dans l’œuvre de Pierre Mendès France. Je les invite donc à relire le discours qu’il prononçait dans cet hémicycle en janvier 1957, lors du débat sur la ratification du traité de Rome.
M. Marc Dolez. Eh oui !
M. François Asensi. Bien que favorable à la construction européenne, il s’opposait à la création du marché commun et soulignait le risque de dessaisissement démocratique en gestation. Il déclarait : « l’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale ».
Ces mots résonnent dans notre actualité. Nous sommes dans ce diktat monétaire, budgétaire et finalement politique des instances européennes. On ne peut qu’admirer un esprit aussi visionnaire.
Contrairement à ce qu’affirment certains membres du Gouvernement, le traité budgétaire et sa loi organique n’ont rien d’anecdotique. Ils touchent aux modalités d’élaboration du budget du pays et, par suite, à l’ensemble des dépenses de l’État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales.
Je rappelle que l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme avec force la souveraineté du peuple en matière budgétaire : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».
Ce principe est bafoué au nom de la discipline budgétaire. La Commission européenne et le Haut Conseil des finances publiques seront les gendarmes chargés de surveiller la cadence de réduction des déficits. Aucun dépassement, aucun écart à la ligne de trajectoire de réduction des déficits ne seront autorisés sous peine de sanctions, qui pourront aller jusqu’à 1 % du PIB.
En imposant l’ingérence permanente de la Commission européenne à toutes les phases d’élaboration du budget, le traité viole un des droits les plus fondamentaux des parlementaires, celui de déterminer le budget de la nation.
C’est une atteinte inacceptable à la souveraineté de la France. Encore une fois, l’Union européenne consacre la primauté d’organismes non élus sur le pouvoir du Parlement élu au suffrage universel. L’équilibre des pouvoirs, déjà dénaturé dans nos institutions par la prééminence de l’exécutif, sera plus affaibli encore avec un pouvoir législatif échappant totalement aux parlementaires.
Cette loi organique met en place un cadre budgétaire si contraint qu’elle place le législateur en pilotage automatique. Elle modifie la structure de notre architecture budgétaire pour répondre aux trois exigences du traité budgétaire : la définition en droit interne d’une trajectoire de réduction du déficit, la création d’un mécanisme de correction automatique en cas d’écart budgétaire et la mise en place d’une institution indépendante pour faire respecter cette règle d’or.
Dresser la liste des contraintes posées par la loi organique nous permettra de juger de ce qu’il reste d’autonomie parlementaire. Je les cite : détermination d’un objectif à moyen terme de réduction du déficit dans la loi de programmation ; définition des soldes structurels et effectifs annuels de l’ensemble des administrations publiques, dans chaque sous-secteur ; détermination d’un plafond de dépenses pour les crédits d’État ; justification de toute modification de l’imposition et des charges au regard de l’objectif de réduction du déficit ; définition d’un calendrier précis et exhaustif des mesures de correction budgétaire ; encadrement par la loi de programmation du budget de l’ensemble des administrations publiques ; justification des hypothèses de prévisions économiques dans les lois de finances ; avis obligatoire du Haut Conseil des finances publiques sur les prévisions économiques des lois de programmation, sur les lois de finances, sur les lois de financement de la sécurité sociale ; justification auprès du Haut conseil des finances publiques des hypothèses retenues pour les lois de finances rectificative ; avis obligatoire du Haut conseil des finances publiques sur le programme de stabilité transmis à l’Union européenne ; avis obligatoire du Haut conseil des finances publiques en cas de réduction insuffisante du déficit ; obligation pour le Gouvernement de justifier publiquement cet écart et de procéder à une correction dans le prochain budget…
Jamais la notion de corset n’aura trouvé une aussi parfaite illustration.
Certes, les dispositions issues du six-pack prévoyaient le droit d’ingérence de la Commission de Bruxelles, mais une nouvelle étape est franchie.
L’initiative parlementaire, déjà étroitement bornée par l’article 40 de la Constitution, se retrouvera réduite à la portion congrue. Toute loi de finances devra suivre une trajectoire de réduction des déficits définie par la Commission qui, en cas de dérapage des finances publiques, aura le pouvoir de retoquer certaines décisions, si elle les juge contraire à la discipline budgétaire.
La conférence des Parlements des États membres prévue par le traité n’aura aucune conséquence sur la procédure budgétaire, ne donnant lieu à aucun avis contraignant. Ce point du traité est clairement une mystification.
L’article 7 bis ajouté en commission suit la même logique : « des débats peuvent être organisés à l’Assemblée nationale et au Sénat » sur les décisions et échanges entre l’Union européenne et le Gouvernement. Le Gouvernement défend pourtant l’idée que cette loi organique est un garde-fou qui protège les droits du Parlement et qu’elle accorde des marges de manœuvre à la France.
Je vous l’accorde, le vocabulaire choisi pour cette loi organique est assez peu normatif, et l’objectif chiffré de réduction du déficit n’y figure pas. Sur ces points, la loi est en deçà des exigences du traité, mais ne nous y trompons pas : c’est sur la base du traité que notre pays pourra être traduit devant la Cour de justice de l’Union européenne et sanctionné.
Cette loi organique nous donne donc l’illusion de marges de manœuvre. Vous m’objecterez que le flou artistique entourant la définition du déficit structurel permet à notre pays d’en conserver une. Comme l’a rappelé Gilles Carrez, « son calcul est complexe et nécessitera une expertise fournie pour trancher » ; on attendra donc. Mais quelle sera la valeur juridique de la définition choisie par les autorités françaises, si la Commission européenne la juge trop restrictive ? Les autorités européennes pourront parfaitement nous demander de revoir notre copie, et la Cour de justice de l’Union européenne, en défenseur zélé du libéralisme, nous condamner pour mauvaise transposition du traité.
J’entends votre argument : il n’y aurait pas de transfert de souveraineté car le Parlement continuera à voter le budget. C’est un peu ce que différents ministres ont dit devant cette assemblée. Vous martelez inlassablement cet argument pour couper court à tout examen sérieux, ou peut-être pour vous en convaincre.
Vous le savez, l’apparence des choses est trompeuse. Certes, nous voterons toujours le budget, mais ce vote se réduira à un exercice purement formel, vidé de sa substance.
Pour mieux le faire entendre, je m’appuierai sur une comparaison : cette loi organique instituera un processus parlementaire équivalent à l’adoption du prélèvement communautaire dans le projet de loi de finances. Je rappelle, pour ceux qui n’en seraient pas familiers, que ces crédits sont soumis au vote du Parlement, mais que, même en cas de vote négatif des parlementaires, la mesure s’applique telle quelle. Pouvons nous accepter ce simulacre de démocratie ?
M. Muet, vice-président de la commission des finances, a eu une formule extrêmement révélatrice en commission : « le budget demeurera un acte politique validé par le Parlement ». Les mots ont un sens, et valider n’est pas décider.
La constitutionnalité d’un autre point soulève, je crois, de sérieuses interrogations : le corset imposé aux collectivités territoriales à l’article 4.
Notre loi fondamentale garantit leur libre administration, c’est un principe essentiel de l’équilibre des pouvoirs dans le cadre de la décentralisation. Or cette libre administration n’a aucune réalité sans autonomie financière, selon la jurisprudence même du Conseil constitutionnel.
Qu’en resterait-il aux termes de cette loi organique ? La loi de programmation serait en mesure d’« encadrer les dépenses, les recettes, ou le recours à l’emprunt » des collectivités territoriales. Le but est purement et simplement d’interdire le recours à l’emprunt pour financer une école, un équipement sportif, une crèche, et de favoriser les appétits des promoteurs privés. Les élus locaux se trouveraient pieds et poings liés par les injonctions technocratiques de la Commission de Bruxelles, relayées par le Gouvernement. Le ministre n’a pas dit autre chose en commission, en reconnaissant que les collectivités devaient participer à l’effort budgétaire.
Après la chute de 1,5 milliard d’euros des dotations aux collectivités pour 2013 et 2014, la restriction de leur capacité à investir et à faire fonctionner les services publics locaux représenterait un séisme économique et social. Dois-je rappeler ici que les collectivités assurent près de 75 % de l’investissement public en France ? Veut-on tuer ce moteur de la croissance ? Je redoute, pour les mois à venir, une crise grave du secteur du bâtiment, avec des carnets de commandes vides, et un effet domino sur l’économie qui sera dévastateur.
Par ailleurs, la loi organique précise bien que la réduction des déficits selon une trajectoire déterminée à l’avance concerne l’ensemble des administrations de l’État mais aussi le budget de la Sécurité sociale. Cela ne fait que renforcer nos inquiétudes.
Avec un déficit de la Sécurité sociale estimé à 11,4 milliards d’euros en 2013, il serait inconcevable d’imposer une réduction des déficits à marche forcée sous peine de remettre en cause un des piliers de l’État-providence. Les Français seraient à nouveau touchés de plein fouet : déremboursements de médicaments, baisse des pensions, hausse des franchises médicales, crédits en berne pour les hôpitaux. Ce traitement de choc prépare sans doute le terrain à l’arrivée en force des assurances privées et autres fonds de pension dont les lobbyistes, on le sait, tiennent le haut du pavé dans les cénacles de Bruxelles.
La Sécurité sociale, issue du programme du Conseil national de la Résistance, est un acquis social majeur, la clé de voûte de notre système de solidarité. Faire passer son budget sous les fourches caudines de la Commission européenne, serait une atteinte grave au pouvoir du Parlement, laissant présager une remise en cause de ce système protecteur. Un tel projet toucherait au cœur le caractère égalitaire, social et démocratique de notre Constitution.
J’en viens à la création du Haut Conseil des finances publiques, principale innovation de la loi organique.
Cette instance non élue sera de toute évidence le chien de garde de l’austérité. Le Haut Conseil pourra en effet demander la mise en route du mécanisme de correction s’il considère que l’État ne réduit pas suffisamment ses déficits. Il jouera en cela le rôle de bras armé de la Commission européenne.
Cette administration indépendante ne disposera d’aucune légitimité démocratique. Composée de magistrats de la Cour des comptes, elle défendra une vision purement comptable des choix budgétaires. Ses autres membres seront nommés par les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et des deux commissions des finances. Un peu à l’image du Conseil constitutionnel, ce sera un comité dont les membres seront issus des deux formations dominantes de l’Assemblée nationale, et le consensus perdurera. Aux mains des deux partis majoritaires, ce pouvoir de nomination interdira toute expression d’une pensée autre que l’orthodoxie budgétaire.
Le Haut Conseil interviendra à tout moment dans la procédure budgétaire pour servir de caution aux futures politiques d’austérité. Le Gouvernement pourra s’appuyer sur ses avis pour procéder à des coupes sombres dans le budget de la nation.
Tout cela nous amène à penser qu’il sera désormais impossible de mettre en œuvre une véritable politique de gauche en Europe. Réduction des déficits et politiques d’austérité deviendront l’alpha et l’oméga de toute politique économique. Au déni démocratique s’ajoute donc un retournement idéologique : fondée sur la recherche du progrès social, l’Union européenne tire désormais l’ensemble des États membres vers le bas, pour répondre aux exigences toujours plus fortes des marchés financiers. À l’origine de l’Union européenne, il y avait la volonté d’étendre les marchés et d’offrir de nouveaux débouchés au capitalisme. Mais elle s’accordait avec l’idée que cette extension devait aller de pair avec un rattrapage des pays les plus avancés par les États les plus pauvres et avec une égalisation des niveaux de vie.
La création des fonds structurels européens procédait de cette logique. Ainsi, des pays comme l’Espagne, l’Irlande, le Portugal et la Grèce ont connu un fort développement depuis leur entrée dans l’Union.
Aujourd’hui, une autre logique est à l’œuvre. Depuis l’adhésion des États d’Europe de l’Est à l’Union européenne, on assiste à un alignement vers le bas des systèmes économiques et sociaux. L’Union européenne s’accommode d’un dumping social et fiscal considérable. Ainsi, le salaire minimum en Bulgarie n’est que de 123 euros par mois contre 1 425 euros brut en France. Le coût de la main-d’œuvre est lui de 280 euros par mois en Bulgarie et de 500 à 526 euros en Roumanie contre 4 900 euros en France.
Je ne parle même pas des différences de niveau de prélèvement obligatoire, que ce soit pour l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés. D’ailleurs, dans plusieurs États d’Europe de l’Est la progressivité de l’impôt n’existe même pas.
Permettez-moi de citer à nouveau Pierre Mendès France : « L’harmonisation doit se faire dans le sens du progrès social, dans le sens du relèvement parallèle des avantages sociaux et non pas, comme les gouvernements français le redoutent depuis si longtemps, au profit des pays les plus conservateurs et au détriment des pays socialement les plus avancés. » Le Gouvernement tourne le dos à cet héritage, en se ralliant désormais à la baisse du coût du travail exigée par les néolibéraux, dont le rêve est de s’aligner sur le moins-disant social, de réduire l’intervention de l’État dans l’économie et de déréglementer le droit du travail pour rendre l’Europe compétitive dans la jungle de la mondialisation. L’austérité qu’on cherche à nous imposer c’est d’abord une politique qui réduit le rôle de l’État dans l’économie.
À force de céder aux diktats de la mondialisation et des marchés financiers, je crains que nous n’en arrivions à réaliser la théorie libérale d’un État cantonné à ses fonctions régaliennes, tout le reste étant laissé à l’initiative privée. Mais les marchés financiers et leur vision uniquement court-termiste ne peuvent conduire un modèle de développement efficace socialement, économiquement, écologiquement.
Les conséquences du laissez-faire économique sont terribles. On dénombre près de 60 millions de chômeurs en Europe et 115 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. En Espagne et au Portugal, 50% des jeunes sont au chômage. C’est un chiffre dramatique. Sous la férule de la Troïka, les Grecs ont dû privatiser des pans entiers de leur économie : aéroports, énergie, télécommunications, poste, l’ensemble des bijoux de famille a été ou est en passe d’être privatisé. Les fonctionnaires ont vu leurs salaires diminuer de 20 %, l’âge légal de départ à la retraite a été relevé à 67 ans et nombre d’aides sociales ont fait l’objet de coupes budgétaires drastiques. La Troïka est même allée jusqu’à préconiser la semaine de travail de six jours.
En France, le Gouvernement a clairement fait le choix de la rigueur pour respecter les exigences de Bruxelles et rassurer les marchés. Le budget 2013 porte déjà la marque de ce cadre d’austérité voulu par la Commission européenne. Il prévoit en effet 10 milliards d’économies sur les dépenses : 5 % de moins au budget du logement et de l’égalité des territoires ; 8,5 % de moins pour la santé ; 6 % pour le déjà famélique budget de la jeunesse, des sports et de la vie associative ; 4 % en moins pour la culture, quel aveu d’impuissance, pour un gouvernement de gauche, que la réduction des dépenses de cette mission emblématique et facteur d’émancipation sociale !
Des projets d’investissements essentiels sont sacrifiés sur l’autel de l’austérité. Un milliard de dotation manque à la Société du Grand Paris pour lancer les travaux du métro automatique. Or les Franciliens ne peuvent plus attendre pour enfin disposer d’un réseau de transports de banlieue à banlieue efficace et facteur de développement urbain et social.
De toute évidence, avec la consécration de l’austérité, nous connaissons un recul civilisationnel d’une ampleur inédite.
La traité budgétaire européen, en limitant les possibilités de relance de notre économie et en contraignant la volonté des parlements souverains, constitue l’acte de décès – de déclin, pourront dire certains – de la social-démocratie en Europe. La ligne de fracture est désormais claire : elle oppose ceux qui acceptent l’austérité au détriment de notre modèle social et ceux qui exigent une réorientation de l’Europe pour la débarrasser de l’emprise des marchés financiers et du principe de la concurrence libre et non faussée.
Depuis la signature de ce traité et l’élaboration de la loi organique, le contexte économique s’est profondément aggravé. Les mauvaises prévisions de l’INSEE rendent intenables les objectifs fixés par ces textes, et vous en avez, je crois, parfaitement conscience. En l’absence de croissance, ce carcan d’austérité est une ineptie, sauf à nous conduire à une récession profonde.
Les défenseurs de la camisole libérale en sont eux-mêmes conscients. M. Muet sera content que je le cite à nouveau : il s’est félicité de l’absence de l’objectif chiffré de 0,5 % dans la loi organique, qui, selon lui, « n’a pas de sens sur une très longue période et n’a donc pas à être inscrit dans la Constitution ». À ceux qui brandissent les dérogations prévues par le traité européen en cas de circonstances exceptionnelles, j’adresse cette mise en garde : selon le droit européen, seule une « grave récession » est constitutive de telles circonstances exceptionnelles. Attendrons-nous cette extrémité pour refuser d’appliquer les politiques économiques catastrophiques des néolibéraux ?
Députes communistes du Front de Gauche, nous rejetons en bloc l’orientation mortifère de l’Europe contenue dans ce traité. L’austérité est source d’injustices et de désespérance sociale. Il faut y mettre un terme. Plus que jamais, nous appelons de nos vœux une réorientation de la construction européenne dans le sens du progrès social et de l’émancipation des peuples.
Face à l’Europe des experts, nous exigeons que l’Europe respecte la souveraineté des peuples. Face au démantèlement des acquis sociaux, nous nous mobilisons pour une Europe protectrice et solidaire.
Enfin, nous souhaitons que l’Europe propose à ses citoyens des projets mobilisateurs qui créeront de l’emploi et relanceront l’économie. La politique agricole commune ou la politique des fonds structurels répondaient à cette ambition de coopération économique et de développement social.
Quels sont aujourd’hui les grands projets portés par l’Union européenne pour relancer nos économies et donner à nouveau foi en l’Europe ? La seule perspective portée par l’Union, c’est l’austérité et la discipline budgétaire.
Aussi, nous réaffirmons notre opposition totale au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Nous voterons donc contre ce projet de loi organique qui vise à introduire en droit français les dispositions inacceptables de ce traité. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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François
Asensi

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