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Pt adaptation de la législation économique et financière au droit de l’UE

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho.
M. Patrice Carvalho. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, ce projet portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière correspond à un exercice rituel, malheureusement bien connu des parlementaires. Certes, formellement, il s’agit seulement de traduire sous la forme législative des normes européennes adoptées à Bruxelles. Reste que cette opération, juridiquement obligatoire, demeure politiquement critiquable. En effet, les représentants de la nation sont mis au service des institutions européennes, exerçant ainsi à l’occasion de cette opération de transposition de directives une compétence liée, notion juridique qui exprime bien l’idée d’absence de toute liberté. Pour notre part, nous refusons de voter mécaniquement ce type de projet de loi de transposition, qui mérite, comme les autres projets de loi, d’être débattu par la représentation nationale. Cela posé, derrière son apparence technique, la transposition de ces trois directives européennes revêt un intérêt certain.
Tout d’abord, conformément à la directive de septembre 2009 sur la monnaie électronique, le projet de loi prévoit la création d’une nouvelle catégorie d’acteurs dans le secteur des moyens de paiement : les établissements de monnaie électronique. Ils seront habilités à émettre de la monnaie électronique à destination de leurs clients. La directive autorise en effet des entreprises à émettre cette monnaie sans avoir à prendre le statut très lourd de banque, plus précisément d’établissement de crédit. Ainsi, le capital minimum exigible sera plus bas, de même que leurs fonds propres, et les normes de gestion à respecter seront plus légères.
La mise en place de la monnaie électronique pour les achats de faible montant s’inscrit dans le cadre d’un dispositif plus large relatif au développement du commerce électronique. Or force est de constater que la monnaie électronique, une forme de dématérialisation de la monnaie métallique ou fiduciaire, singulièrement de la menue monnaie, n’a pas connu le succès escompté. Les Français n’ont pas souhaité changer leurs habitudes en la matière et ont exprimé par là une volonté dont il faut tenir compte. Les évolutions sociales et sociétales ne se décrètent pas, d’autant que le manque d’enthousiasme pour le porte-monnaie électronique repose sur des raisons pour le moins compréhensibles. Ainsi, la gratuité justifiée des chèques bancaires et la généralisation des cartes de crédit, utilisables même pour des montants d’opération limités, sont de nature à ne pas faciliter ce type de monnaie pour faire face aux dépenses quotidiennes.
M. Christophe Caresche, rapporteur. Absolument.
M. Patrice Carvalho. Il n’est pas question de revenir sur la gratuité des chèques et sur leur validité même. Il y a lieu néanmoins de s’interroger sur un phénomène de plus en plus répandu, à savoir que nombre de commerçants refusent le paiement par chèque bancaire ou postal, une pratique incompréhensible pour le consommateur moyen dont la bancarisation a été très vivement encouragée dans les années 60-70 aux fins de substituer à nombre d’opérations en espèces des opérations par chèque ou par virement. D’ailleurs, la volonté affichée de relancer l’usage du porte-monnaie électronique risque de se heurter, dans certains cas, aux mêmes réticences, d’autant plus que la directive n’est pas de nature à changer la donne puisqu’elle oblige à rembourser la monnaie électronique sans préciser les modalités du remboursement.
La vraie question porte sur la sécurité du mode de paiement. La directive vise à développer l’offre de services disponible en la matière, ce qui ne peut que nous conduire à nous interroger sur l’absolue fiabilité de tous les opérateurs qui vont demander à intervenir sur le marché français. L’intention affichée du texte est de faciliter le développement de ce type de services — qui ne rencontre que peu de succès et est essentiellement utilisé à partir du Luxembourg avec le service Paypal —, mais les exigences prudentielles indiquées sont tout de même un peu limitées pour que tout opérateur de monnaie électronique soit fiable à 100 %. L’un des problèmes de la monnaie électronique est sans doute qu’elle va favoriser une certaine forme de création monétaire sans contrepartie immédiate, ce qui ne peut manquer d’éveiller l’attention et la vigilance du consommateur comme du législateur : il serait regrettable que les placements des opérateurs à partir des sommes passées sur leurs écritures soient l’objet de pertes diverses mettant en question la contrepartie de l’utilisateur.
En outre, le dispositif prévu par cette directive est quasiment dépassé par les avancées techniques en la matière. Quel intérêt dès lors à voter un texte déjà dépassé ou presque ? Le Gouvernement nous oppose l’argument de l’obligation juridique et de la menace de sanction de la Commission et de la Cour de justice européenne. Mais ce retard de transposition peut s’expliquer par l’inflation des textes européens – pas forcément nécessaires et dans des domaines de plus en plus étendus –, inflation qui affecte la qualité du travail législatif national, les parlementaires se trouvant contraints de voter un texte de transposition ou d’application, avec une épée de Damoclès au-dessus de l’hémicycle.
Le projet de loi transpose également la directive dite Omnibus I qui tire les conséquences de la création, à l’automne 2010, des autorités européennes de supervision, à savoir l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, l’Autorité européenne des marchés financiers et le Comité européen du risque systémique.
Il est piquant de remarquer comment le principe de la supervision est revalorisé et promu après plusieurs années de dérégulation et de déréglementation dans le secteur de la finance. La crise financière européenne a le mérite de déconstruire la fiction de l’autorégulation des marchés, qui a été défendue par les gouvernements comme par les institutions de l’Union. Cette crise financière a révélé des failles de trois types dans le dispositif de régulation et de supervision des services financiers et bancaires européens.
Ainsi, la supervision macro-prudentielle a parfois été insuffisante pour déceler en amont les risques liés à un contexte économique porteur de difficultés pour le système financier ou bancaire. Cela a notamment été le cas en Irlande et en Espagne où les autorités de surveillance n’ont pas prévenu l’exposition du secteur bancaire au risque d’un éclatement de la bulle immobilière.
S’agissant ensuite de la supervision micro-prudentielle, les risques encourus par certains établissements du fait de leur secteur d’activités ou de leurs stratégies financières n’ont parfois pas été détectés, par exemple dans le cas du groupe Dexia.
Enfin, la crise financière a également révélé des lacunes dans la coordination entre les autorités nationales à l’échelle européenne ; il est en particulier apparu que les différences de régulation et de supervision entre les autorités nationales, sources d’inégalités de traitement, pénalisaient le déploiement du marché intérieur et le bon fonctionnement des services financiers, services largement fournis par de grands groupes ayant des filiales dans plusieurs États membres.
Si une réaction s’imposait, la solution avancée par la directive n’est pas satisfaisante. Le groupe GDR n’est pas convaincu par la nécessité de renforcer les pouvoirs d’autorités administratives indépendantes dont l’existence tend à laisser croire qu’on surveille de près le fonctionnement des marchés alors même que rien ne change quant au fond.
Je note que l’Autorité européenne des marchés financiers, l’ESMA, a publié, à la fin du mois de septembre 2012, les principes d’application de la réglementation européenne EMIR, relative à l’infrastructure du marché. Celle-ci va désormais s’appliquer aux intervenants des marchés financiers afin de mieux contrôler et de mieux sécuriser toute la chaîne de règlement-livraison. Les autorités espèrent ainsi mieux appréhender le risque systémique. Mais l’Autorité européenne ne vise rien d’autre qu’à donner des brevets de bonne conscience à tous ceux qui continuent de spéculer, y compris et surtout contre l’euro dont on nous avait pourtant, il fut un temps, vanté les mérites anti-spéculation, et de tirer parti des régimes particuliers de traitement et d’accueil des placements financiers dans nombre de pays et territoires de l’Union, et pas des moindres !
Il convient ici de rappeler que la présidence de l’Eurogroupe est toujours dévolue au Premier ministre de l’un des pays de l’Union, le Luxembourg, qui pratique allègrement le secret bancaire et qui doit une part importante de son PIB à des services d’optimisation fiscale. C’est l’indice d’un déficit politique manifeste pour changer vraiment la donne.
Enfin, concernant la directive relative aux modalités de transaction entre personnes publiques et créanciers privés, le projet de loi prévoit un renforcement des sanctions en cas de retard de paiement des sommes dues en exécution d’un contrat de la commande publique afin de réduire les délais de paiement de la sphère publique et d’améliorer ainsi la situation de trésorerie des entreprises. On ne peut évidemment que souscrire aux principes visant à assurer une meilleure fluidité dans le règlement des prestations fournies. Cela permettra d’éviter que des entreprises ne se retrouvent en difficulté faute d’avoir été payées à temps, avec toutes les conséquences que cela implique, notamment pour l’emploi. Le texte établit enfin le taux d’intérêt pour le retard de paiement, équivalant au taux de refinancement principal de la BCE majoré de huit points.
Au regard de l’ensemble de ces considérations contrastées, notre abstention sur ce projet de loi s’impose.

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Patrice
Carvalho

Député de Oise (6ème circonscription)

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