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Pt habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises

La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Le projet de loi d’habilitation dont nous débattons ce soir est le premier wagon du train de mesures annoncées à l’issue du troisième comité interministériel pour la modernisation de l’action publique en juillet dernier. Ces mesures constituent en quelque sorte la première étape du volet entrepreneurial du choc de simplification annoncé en mars par le Président de la République.
Je voudrais d’ailleurs m’arrêter un instant sur les usages répétés de ce terme de « choc ». Après le choc de compétitivité d’il y a quelques mois, voici venu le temps du choc de simplification.
L’emploi de ce terme, s’il est bien dans l’air du temps, n’a rien d’innocent. Il participe de cette phraséologie libérale dans laquelle les États ont moins vocation à protéger la société et les populations qu’à leur administrer des chocs, les sidérer pour mieux leur faire avaler la pilule des faux remèdes libéraux. Il n’est qu’à voir l’instrumentalisation dont fait l’objet la question de l’endettement public pour imposer les politiques de rigueur partout en Europe. Nous sommes de ceux qui pensent que la gauche devrait bannir de son vocabulaire ce terme de choc, hérité de l’école de Chicago, et de Milton Friedman en particulier, et si bien analysé par Naomi Klein dans son remarquable ouvrage sur la stratégie du choc.
Comme tous les partisans des chocs en tous genres, vous nous expliquez qu’il y a urgence à agir, au nom de la compétitivité de nos entreprises. Nous sommes bien évidemment favorables, comme chacun sur ces bancs, aux mesures qui peuvent faciliter le dialogue entre les administrations et les entreprises, simplifier les démarches administratives, rendre plus efficace l’action administrative et faire évoluer les pratiques au rythme des évolutions technologiques.
Nombre de mesures proposées par ce texte, inspirées directement par le rapport de Thierry Mandon, vont dans le bon sens. Mais si nous adhérons au principe de simplification et de facilitation des procédures administratives, il ne nous semble pas justifier le recours aux ordonnances.
En matière de simplification de l’environnement juridique des entreprises, l’urgence n’est pas avérée, non plus que pour la plupart des dispositions de ce projet de loi, à l’exception peut-être de celles concernant le Grand Paris Express.
Vous tentez de légitimer le recours aux ordonnances par la « méthode collaborative » mise en œuvre pour établir la liste de ces mesures, notamment une « large concertation entre les entreprises, les administrations concernées et les préfets de région ». C’est une curieuse conception de la démocratie parlementaire que de prétendre que la méthode collaborative mise en œuvre par l’exécutif vaut contournement des procédures d’examen parlementaire ou que le travail d’un député, aussi exemplaire et exhaustif soit-il, vaut approbation de l’ensemble de ses collègues.
J’évoquerai enfin la mise en œuvre de deux expérimentations, relatives en particulier au droit de l’environnement. La première réside dans la délivrance de certificats de projets économiques, opposables à l’administration et aux tiers, qui ont vocation à agréger et cristalliser les autorisations relevant du code de l’environnement, du code de l’urbanisme, du code forestier et du code rural et de la pêche maritime. La seconde teste une nouvelle procédure d’autorisation unique, intégrant l’ensemble des autorisations relevant de la compétence des préfets de département et applicable aux parcs éoliens et aux installations de méthanisation. Après la suppression des zones de développement de l’éolien terrestre, il s’agit donc aujourd’hui de lever les derniers obstacles en s’attaquant à la procédure des ICPE, les installations classées pour la protection de l’environnement. Et la première étape consiste à dessaisir le Parlement pour avoir les mains libres !
L’objectif annoncé du Gouvernement est de rationaliser le droit applicable à l’implantation d’éoliennes et de favoriser l’industrie éolienne en regroupant droit de l’urbanisme, droit de l’environnement et droit forestier. Voilà qui est louable mais ne saurait en tout état de cause justifier le dessaisissement du Parlement. La création d’un permis unique pour l’implantation d’éoliennes ne saurait en d’autres termes être confiée dans la précipitation à la seule compétence du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et aux pressions des lobbies. Le certificat de projet envisagé à l’article 13 du projet de loi n’est-il pas également de nature à figer de façon excessive la situation juridique, en particulier la décision de recourir ou non à une étude d’impact ? Est-il sage de rendre opposable le certificat de projet, au mépris du droit des tiers, portant ainsi un nouveau coup au droit de recours des citoyens, des collectivités territoriales et des associations environnementales ?
M. André Chassaigne. En l’espèce, le recours aux ordonnances est d’autant plus problématique, comme l’a souligné le rapporteur pour la commission des lois Jean-Michel Clément, que le délai accordé à la commission pour examiner le texte d’habilitation était très insuffisant. Il l’était d’autant plus que, contrairement aux deux lois d’habilitation déjà adoptées par notre assemblée au cours de la présente législature, ce texte comporte des dispositions extrêmement hétérogènes portant sur des domaines aussi variés que le droit des sociétés, le droit du travail, le droit bancaire et financier, le droit du sport, le droit de l’environnement, le droit des professions juridiques réglementées et j’en passe… Le rapporteur pour avis de la commission du développement durable, Philippe Noguès, n’a pas caché son irritation, ou son agacement, je ne sais, en s’abstenant « de plaider un quelconque enthousiasme à l’égard d’un projet de loi qui, au moins sur la forme, ne permet pas de mener un travail législatif de qualité. »
M. André Chassaigne. La précédente majorité utilisait pour la simplification le véhicule de la proposition de loi, qui avait au moins le mérite de laisser place au débat et de mettre à contribution la réflexion des parlementaires. Le gouvernement actuel, lui, réclame des parlementaires un blanc-seing pour le moins problématique. Il eût été préférable, selon nous, de déposer sur le bureau de notre assemblée un projet de loi en bonne et due forme. Cela aurait en tout état de cause permis de lever les ambiguïtés dont souffrent certaines dispositions. En effet, si de nombreuses mesures n’appellent pas de remarques particulières, d’autres peuvent faire débat en raison du manque de lisibilité des intentions du Gouvernement.
M. André Chassaigne. Nous en prendrons deux exemples. Ainsi, le sixième alinéa de l’article 1er prévoit de simplifier les obligations faites aux employeurs en matière d’affichage et de transmission de documents à l’administration tout en préservant la bonne information des salariés et le contrôle de l’inspection du travail. Fort bien. Mais pour ce faire, l’ensemble des dispositions relatives aux obligations d’affichage et de transmission de documents seront examinées, celles qui seront jugées obsolètes supprimées et la mise à disposition des documents préférée à leur transmission ! Une telle rédaction laisse planer un doute sur la protection des intérêts publics. En effet, préférer la mise à disposition à la transmission implique une moindre détection des irrégularités par l’administration.
M. André Chassaigne. Second exemple : l’article 10, qui prévoit d’autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure visant à moderniser la gouvernance des entreprises dans lesquelles l’État détient une participation, majoritaire ou minoritaire, afin d’améliorer l’efficacité et la souplesse de la gestion de ces participations. Si nous comprenons bien votre projet, monsieur le ministre, il s’agit de bien davantage qu’une mesure de simplification : il vise en réalité à aligner plus encore la gestion des entreprises publiques sur celle des entreprises privées, en raisonnant uniquement en termes de capitaux à rentabiliser et de rendement financier à assurer aux actionnaires, dont l’État. Une telle orientation fait problème, et devrait faire débat entre nous ! Peut-on laisser entendre que les entreprises nationales sont des entreprises comme les autres, alors qu’elles ne sont pas la propriété de l’État mais avant tout celle de la nation ? Peut-on, en matière de participations de l’État, perdre de vue l’objectif de démocratisation et d’appropriation sociale des choix stratégiques et de la gestion de ces entreprises ?
M. Jean-Pierre Vigier. C’est vrai !
M. André Chassaigne. Nous avons le sentiment, monsieur le ministre, que votre projet de loi, de façon délibérée ou non, prend tout le monde de court, les représentants de la nation comme les acteurs de la société civile, syndicats et associations. Nous considérons dès lors que nous ne sommes pas en position de l’adopter.
M. Jean-Pierre Vigier. Excellent !
M. André Chassaigne. En conséquence, et contrairement au texte de simplification des relations de l’administration et du public, que nous avons voté, les députés du front de gauche se prononceront par un vote d’abstention sur le présent texte, voire un vote d’opposition si des amendements réduisant encore davantage les droits du Parlement, en particulier dans le domaine environnemental, étaient adoptés.

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