Interventions

Discussions générales

Pt organique sur la programmation et la gouvernance des finances publiques

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, le projet de loi organique que nous examinons cet après-midi serait selon vous un texte technique et respectueux des prérogatives du Parlement. Il en serait d’autant plus respectueux que ce projet de loi organique présente pour le Gouvernement un double avantage, il faut bien le dire.
Celui d’éviter l’inscription de la règle d’or dans le marbre constitutionnel, tout d’abord. C’est ce que souhaitait l’ancienne majorité, et que nous refusions tous ensemble, dans l’opposition, avant les élections présidentielles. Accessoirement, le choix de la loi organique confère au refus d’organiser un referendum un semblant de fondement juridique. Ce refus est en effet strictement politique, dès lors que l’article 11 de la Constitution permet au Président de la République de soumettre à referendum tout projet de loi tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur les institutions.
Le second avantage que présente ce projet de loi organique pour le Gouvernement, c’est de faire reposer l’essentiel du durcissement de la discipline budgétaire non pas sur des mécanismes de sanctions automatiques, mais sur la détermination et la volonté politique du Gouvernement et de sa majorité de se conformer eux-mêmes à une stratégie de rigueur. Bref, si l’on isole le texte de son contexte, on peut essayer, comme le fait le Gouvernement, de soutenir que le projet de loi organique ne bouleverse pas notre ordre juridique ni ne porte atteinte à la souveraineté budgétaire du Parlement. Une telle argumentation présente elle-même l’avantage d’entretenir le flou, à dessein et au détriment du débat que nous avons cet après-midi, sur les conséquences exactes de la transposition des dispositions de l’article 3 du traité dans notre droit interne. Ce flou permet à la fois de répondre à la droite qui s’en inquiète que le texte est suffisamment rigide et de rassurer la gauche en prétendant qu’on y trouve malgré tout des éléments de souplesse. Cette présentation, si habile soit-elle, défendue par le ministre, par le président de la commission et par le rapporteur avec un talent que je reconnais, ne résiste pas, selon nous, à l’analyse, pour au moins trois raisons.
Tout d’abord, il ne faut pas minimiser la portée de la loi organique. Dans sa décision du 9 août 2012, le Conseil constitutionnel a clairement estimé que l’article 3.2 du traité budgétaire comportait une alternative pour faire respecter les règles relatives à l’équilibre des finances publiques telles qu’elles sont définies au paragraphe précédent. Les États doivent prendre des dispositions contraignantes et permanentes. Elles peuvent être de nature constitutionnelle, c’est ce que préfère le traité ; sinon, leur respect doit être garanti de quelque autre façon tout au long des processus budgétaires. C’est sur la base de cette deuxième option, validée par le Conseil constitutionnel, qu’a été fait le choix du projet de loi organique. Conformément à l’article 34 de la Constitution, rappelé tout à l’heure, si par nature la loi organique n’énonce que des règles de procédure, son caractère contraignant est bien réel.
M. Étienne Blanc. Bien sûr !
M. Marc Dolez. Le ministre de l’économie et des finances l’a d’ailleurs très clairement indiqué lors de son audition par la commission des finances. Si le Gouvernement a adopté l’une des deux possibilités laissées par le Conseil constitutionnel, disait-il, ce n’est en aucun cas pour s’exonérer de quoi que ce soit. Mieux vaut, selon lui, une loi organique efficace qu’une révision constitutionnelle sans portée. De fait, concluait-il, le projet de loi organique se cale très précisément sur les dispositions du traité et il n’y a aucune échappatoire ni même aucune intention d’en ménager une. On ne saurait être plus clair.
Les seules prérogatives effectivement respectées seront formelles. Elles se résument au vote annuel de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale ainsi qu’au contrôle de l’exécution des lois. Pour le reste, le Parlement exerce ses prérogatives dans un cadre toujours plus contraint.
D’après l’article 3.1 du traité, la situation budgétaire des administrations publiques, collectivités locales comprises, doit être à l’équilibre ou en excédent. À cet égard, comment ne pas partager l’inquiétude exprimée par notre collègue Jean-Luc Warsmann relative à la rédaction de l’article 4 du projet de loi organique ? Celui-ci prévoit en effet que les lois de programmation pourront comporter des règles ayant pour objet d’encadrer le recours à l’endettement de tout ou partie des administrations publiques, y compris donc des collectivités territoriales. Contrairement à M. le ministre Moscovici, nous pensons qu’il y a là atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Ce cadre toujours plus contraint découle aussi de l’article 3.1 du traité qui fixe la limite inférieure du déficit structurel à 0,5 % du PIB. L’article 4 stipule que, lorsque la dette publique excède 60 % du PIB, le déficit doit être réduit au rythme moyen de 5 % par an. L’article 3.1 stipule que les États devront veiller à respecter le calendrier de convergence fixé par la Commission européenne. Et d’après l’article 5 du traité, les États devront fournir à la Commission et au Conseil, dans le cadre du programme de partenariat budgétaire et économique, une description détaillée des réformes structurelle à établir. On sait ce que cela signifie, les réformes structurelles ! Je l’ai indiqué très précisément au cours du débat sur le traité budgétaire européen de la semaine dernière. On le sait d’autant plus si l’on se réfère au pacte Euro-plus. Cela signifie davantage de déréglementations, davantage de coupes sombres dans les dépenses publiques, davantage de privatisations, davantage de menaces pesant sur nos services publics ! Bref, cela signifie la remise en cause de notre modèle social, comme l’indique d’ailleurs très clairement l’article 9 du traité.
Le flou qui est entretenu sur les conséquences de la transposition de l’article 3 du traité par un projet de loi organique dans notre droit interne porte aussi sur la notion de solde structurel. Sa méthode de calcul fait en effet l’objet de débats, car il ne procède pas d’une mesure statistique directe mais de simulations modélisées. Les modes de calcul retenus par la Commission européenne tendent d’ailleurs à minimiser systématiquement l’écart conjoncturel, c’est-à-dire à proclamer que la quasi-totalité du déficit est structurelle. En 2011, le déficit structurel français a été évalué à 4,1 % par la Commission, à 3,7 % par Bercy et à 3,4 % par le FMI, soit une différence de 14 milliards d’euros, excusez du peu !
Ces modes de calcul de la Commission européenne attestent déjà que le déficit conjoncturel ne sera que très rarement détecté. En conséquence, contrairement à ce qui est indiqué, il sera quasiment impossible de jouer sur la notion d’écart conjoncturel pour introduire de la souplesse. Quoi qu’on en dise, c’est la Commission qui conduira en dernier ressort le pilotage du déficit structurel.
Le flou entretenu porte enfin sur le mécanisme de correction.
À ceux qui, comme nous, contestent ce texte au motif qu’il porte atteinte aux conditions d’exercice de la souveraineté nationale, il est objecté que ce projet de loi organique ne confère pas de caractère automatique au mécanisme de correction mais seulement à son déclenchement. Il s’agit d’un faux-semblant. Le Haut Conseil des finances publiques ne donne certes que des avis non contraignants puisqu’ils ne sont pas assortis d’un régime de sanctions ; il n’en demeure pas moins que s’il vient à constater qu’un écart important appelle une correction, l’ % du projet de loi organique s’applique selon lequel : « Il est tenu compte par le Gouvernement d’un écart important au plus tard lors de l’élaboration du plus prochain projet de loi de finances de l’année ou projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année. » Or, lors de son audition devant la commission spéciale, M. le ministre de l’économie et des finances a clairement précisé que « l’expression “il est tenu compte” dit précisément jusqu’où on peut aller et au-delà de quoi on ne peut aller ». En résumé, si le Haut Conseil « constate », le gouvernement sera « tenu ». Le gouvernement reste libre de la méthode qu’il adoptera et le Parlement demeurera libre d’en débattre, mais l’objectif ne souffrira guère de discussions ; il sera fixé et contrôlé par des instances n’ayant pas de légitimité démocratique.
C’est en ce sens que le Haut Conseil des finances publiques jouera, en quelque sorte, comme l’a dit François Asensi, le rôle de bras armé de la Commission. Doté de pouvoirs réels, le Haut Conseil, composé de conseillers non révocables, s’érigera en arbitre des choix politiques. C’est pourquoi nous croyons qu’il y a atteinte à la souveraineté budgétaire du Parlement, et nous en sommes très inquiets.
C’est en ce sens aussi qu’en application du traité budgétaire européen, le projet de loi organique dont nous débattons organise une dépossession du caractère démocratique des politiques économiques et budgétaires.
Pour toutes ces raisons, parce que nous refusons la mise sous tutelle des politiques économiques et sociales de la France, parce que nous refusons l’austérité généralisée du traité budgétaire qui va plonger l’Europe dans la récession, parce que nous voulons une profonde réorientation de la construction européenne – réorientation qui n’est absolument pas engagée –, parce que nous voulons une Europe qui soit véritablement démocratique et sociale, nous allons voter résolument contre ce projet de loi organique comme nous votons résolument contre le traité budgétaire européen. Pour ce qui nous concerne, nous n’avons pas déposé d’amendements au texte qui nous est soumis car, vous l’avez compris, nous considérons qu’il n’est pas amendable. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)

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