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Pt Sénat infrastructures et services de transports

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, M. Patrice Carvalho devait intervenir au nom du groupe GDR. Toutefois, des problèmes de santé le tenant encore éloigné de notre hémicycle, j’interviens ici en tant que suppléant.
Étant un ancien membre de cette belle commission du développement durable, et considérant mon implication sur la question des transports en tant que membre de la commission Mobilité 21, c’est avec intérêt que j’ai examiné le projet de loi qui nous est soumis.
Il peut paraître assez technique ; il n’en revêt pas moins une importance particulière dans une démarche engagée vers la transition écologique, à travers notamment le report modal du transport routier vers d’autres moyens de transports plus respectueux de l’environnement. « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat », disait Aragon.
Ce texte a pour ambition de commencer à rendre concrets les engagements du Grenelle de l’environnement, notamment la mise en place de l’écotaxe poids lourds.
Il est soumis à la procédure d’urgence, comme le sont d’autres, de plus en plus nombreux. Une fois de plus, cela contribue à dévaloriser le travail parlementaire et à en limiter la richesse et la qualité – même si je n’ignore pas que l’écotaxe poids lourds est soumise à un calendrier puisque sa mise en œuvre est prévue pour le 20 juillet, et que les entreprises doivent disposer du temps nécessaire pour s’y préparer.
Ce projet a le mérite d’apporter des clarifications et des précisions à la législation existante, de renforcer les capacités de contrôle de la puissance publique en matière de transport maritime et de permettre enfin la mise en place de l’écotaxe poids lourds votée en 2009.
Pour autant, il avait été prévu, lors du Grenelle de l’environnement, que les modes de transport alternatifs à la route devraient représenter 25 % du fret à l’horizon 2025. Nous sommes encore très loin du compte. Mais comme nous n’aurons pas de grand soir, il nous faut bien des petits matins. L’écotaxe poids lourds en est un. Elle a pour objet d’inciter au report modal dans la mesure où il ne concerne que peu ou pas le transport de proximité mais avant tout les longs transports routiers, ceux qui sont les plus polluants et les plus accidentogènes.
Mais pour que le report modal s’effectue, encore faut-il que les autres moyens de transports soient effectifs. La prééminence de la route dans le transport des marchandises ne connaît pas de véritable remise en cause. La tentation du « tout routier » est toujours bien réelle. Elle se déploie au détriment du rail, du ferroutage et du fluvial.
Ainsi, le transport routier assure près de 90 % du transport des marchandises et, malgré la hausse continue du prix du pétrole, le fret ferroviaire a reculé en France de près de 40 %, passant de 57 milliards de tonnes-kilomètre en 2000 à 34 milliards en 2011.
Dans le même temps, la part du transport combiné ferroviaire a diminué de 70 % environ. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la route représente 94 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports.
Nous avons pris beaucoup de retard dans le développement de la voie d’eau, quand nos partenaires européens dotés d’un patrimoine fluvial aussi important que le nôtre ont développé le grand gabarit. En France, le transport fluvial représente 7,5 milliards de tonnes-kilomètre contre 64 milliards en Allemagne, 45 milliards aux Pays Bas et 8,75 milliards en Belgique.
De ce point de vue, le report du canal Seine-Nord Europe, ce maillon manquant reliant notre pays au réseau fluvial européen, est dommageable, même si nous avons bien compris que le financement prévu et mal ficelé impliquait ce report. Il faudra cependant, quand les conditions seront réunies, mener à bien ce projet sans lequel le report modal ne serait qu’une imprécation.
Ce dossier est d’ailleurs emblématique si nous considérons l’engorgement de l’autoroute A1 et l’urgence d’agir pour développer les modes de transports alternatifs au rang desquels figure le transport fluvial.
Nous savons bien pourquoi le « tout routier » a été favorisé. La stratégie des entreprises pour éviter les stocks et développer le « juste à temps » a encouragé à privilégier la route qui garantit la livraison de porte à porte avec une réactivité assurée.
Mais ce qui est économisé à un bout de la chaîne se paie à l’autre bout, en termes de dégradation environnementale, de dangerosité de la route, de conséquences sanitaires, de conséquences en termes investissements et en entretien et, bien évidemment, en consommation énergétique.
Certes, le transport routier demeurera indispensable. Les clients sont nombreux, les lieux de livraison dispersés et, bien sûr, ni le train, ni la péniche ne déposeront ces marchandises à la porte de l’entreprise. Mais, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, l’avenir réside dans ce que l’on appelle la multimodalité.
Le rail et le fleuve peuvent délester le réseau routier d’une part importante des camions qui le sillonnent chaque jour, le transport routier n’intervenant qu’à la fin de la chaîne de livraison. Ce projet de loi doit marquer un pas dans la direction de cette complémentarité.
Le développement des autoroutes ferroviaires permet de parcourir de grandes distances, sans rupture de charge, améliore la rapidité et la sécurité des trajets, mais il exige une activité de fret de proximité avec l’utilisation du wagon isolé pour que le transport par rail ne soit pas réservé aux seules grandes entreprises capables d’affréter un train entier.
Néanmoins, il faut bien constater que les axes de développement fixés par la SNCF ne vont pas dans cette direction. Le wagon isolé représente 42 % du volume du fret ferroviaire et recèle un important potentiel de développement. Telle n’est pourtant pas l’orientation envisagée puisque cette activité est condamnée à diminuer. Quant aux velléités de substitution au fret assuré par la SNCF, il faut bien convenir que les opérateurs ferroviaires de proximité n’ont pas réussi à atteindre l’objectif recherché.
Nous avons donc un problème puisque nous débattons d’un projet destiné notamment à commencer à organiser le report modal, mais, dans les faits, ceux qui sont censés y contribuer prennent des dispositions contraires.
Intéressons-nous à la voie d’eau. Quelques données chiffrées méritent d’être rappelées. En moyenne, un convoi fluvial, soit deux péniches, transporte 5 000 tonnes de marchandises. C’est autant que cinq trains complets et que 250 camions. En outre, il consomme 3,7 fois moins de carburant que la route et pollue quatre fois moins.
En termes de coût, le prix moyen d’une tonne de marchandises transportée sur 350 kilomètres revient à 12 euros sur une péniche à grand gabarit et à 21 euros par camion. Est-il besoin d’en dire davantage pour montrer que ce mode de transport doit être développé ?
Mais, là encore, nous sommes devant de singuliers paradoxes. J’ai évoqué le report du canal Seine-Nord Europe. Or dans la dernière loi de finances, 128 postes ont été supprimés au sein de Voies navigables de France et nous ne sommes pas du tout certains que soit respecté l’engagement de financer nos voies navigables à hauteur de 840 millions d’euros. Il est urgent de mettre en correspondance les intentions et les actes.
M. Jean-Marie Sermier. Très bien !
M. André Chassaigne. J’en viens à présent au cœur de ce projet de loi : l’écotaxe poids lourds.
Depuis l’adoption du principe de cette taxe, il était prévu que les transporteurs puissent la répercuter sur le chargeur. Mais les modalités de cette répercussion définies dans un décret de l’ancien gouvernement étaient tellement complexes qu’elles la rendaient difficile voire impossible à appliquer. Ce fut l’objet d’un échange quelque peu animé il y a quelques minutes.
Le présent projet de loi vise à simplifier les choses, en fondant le dispositif sur une majoration du coût de transport différenciée selon les régions. Toutefois, monsieur le ministre, il sera nécessaire de nous préciser les modalités de ces dispositifs qui doivent être fixées par arrêté et qui, pour le moment, sont assez floues, voire exigent quelques inflexions.
Second élément d’appréciation positive : l’affectation des recettes au financement du rééquilibrage modal. Moins positive est sa mise en œuvre par un partenariat public privé.
L’ancien gouvernement avait décidé de la confier à la société Ecomouv’, filiale d’Autostrade per l’Italia, qui opérera donc un prélèvement de 230 millions d’euros sur les recettes de la taxe qui devrait s’élever à 1,2 milliard d’euros. Voilà qui se révèle particulièrement coûteux pour la collectivité. Il aurait été plus judicieux de s’en remettre au secteur public et de confier cette tâche au service des douanes.
J’ajoute que cette écotaxe ne saurait suffire à tout pour réussir le report modal. Nous en reparlerons sans doute.
Par ailleurs, le secteur du transport routier bénéficie de dispositions fiscales qu’il conviendrait de remettre à plat. Elles ont concouru au « tout routier ». Je pense en particulier aux exonérations de taxe intérieure sur les produits pétroliers, qui coûtent chaque année 330 millions d’euros au budget de l’État.
Sont également posées les conditions de travail dans le secteur routier. Leur encadrement est fixé, pour l’essentiel, à l’échelon européen. La France doit s’engager à soutenir au plus haut niveau l’exigence d’une harmonisation sociale par le haut. Est-ce l’un de vos chantiers, monsieur le ministre ?
En ce qui concerne les dispositions relatives au secteur maritime, les articles concernant les navires abandonnés, la clarification des procédures applicables en matière de constitution du fonds de limitation imposée au propriétaire en cas de marée noire ou encore les visites de navires et l’enquête nautique sont utiles et n’appellent pas de remarques particulières.
Je m’attarderai, en revanche, sur l’article 23 qui concerne la régulation du cabotage maritime national.
Mme la présidente, C’est bien sûr votre conclusion, monsieur Chassaigne !
M. André Chassaigne. Bien sûr !
Mme la présidente. Alors tout va bien !
M. André Chassaigne. J’ai déposé plusieurs amendements sur cette question, en particulier concernant le problème de la Corse puisque la compagnie Corsica ferries avait raflé à la SNCM les deux tiers du trafic vers la Corse à des prix cassés. L’enregistrement sous le pavillon du premier registre français assure un haut niveau de garanties en matière de sécurisation et de droit des salariés. J’aurai l’occasion d’y revenir lors de l’examen des amendements.
J’en viens à ma conclusion.
Mme la présidente. En une phrase !
M. André Chassaigne. Il est urgent que la France porte au niveau européen l’exigence d’une législation commune et de la création d’un pavillon européen équivalent au pavillon français de premier registre avec la garantie d’une haute protection sociale aux gens de mer. C’est à ce niveau-là qu’il faut situer le débat car la filière maritime française en dépend. Sur ce point, l’article 23 du présent projet de loi n’est pas à la hauteur de ces exigences, d’où les amendements que nous avons déposés.
En l’état actuel du texte, nous attendons des éclaircissements et des améliorations notoires pour que notre appréciation globalement positive effectue sa mue vers un vote simplement favorable
Mme la présidente. Voilà qui est clair !
M. André Chassaigne. Enfin, je citerai René Char : « L’inaccompli bourdonne de l’essentiel ».

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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