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Discussions générales

Santé : protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques (2ème lecture)

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si ce projet de loi a été amélioré en première lecture, aussi bien dans cet hémicycle qu’au Sénat, il n’en demeure pas moins un très mauvais texte.
Des députés comme des sénateurs n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts, mais ils se sont heurtés à l’obstination du Gouvernement qui n’a permis que quelques modifications à la marge.
Nous avons notamment obtenu l’obligation pour le directeur de l’établissement d’informer le patient sur l’évolution de sa prise en charge, ce qui pourrait sembler aller de soi mais ne figurait pas dans la version initiale du texte.
Nous sommes également parvenus à faire adopter l’organisation par l’agence régionale de santé d’un dispositif de réponse aux urgences psychiatriques et l’introduction d’un « droit à l’oubli » pour les personnes reconnues pénalement irresponsables ou ayant séjourné en unités pour malades difficiles.
Après un épisode inédit à la commission des affaires sociales du Sénat, qui n’a pas approuvé le texte qu’elle avait profondément amendé, le Sénat n’a pu également procéder qu’à quelques améliorations marginales. Ainsi, la formule « sans son consentement » a systématiquement été remplacée par la formule : « auxquels la personne n’est pas à même de consentir du fait de ses troubles mentaux ». Le délai au-delà duquel s’exerce le droit à l’oubli a été fixé à dix ans et le contentieux en matière d’hospitalisation sous contrainte – jusqu’alors éclaté entre le juge administratif, compétent pour examiner la seule régularité de la procédure d’admission en soins, et le juge judiciaire, compétent pour statuer sur le bien-fondé de la mesure d’hospitalisation sous contrainte – sera d’ici à 2013 unifiée sous l’égide du juge judiciaire.
Si nous ne mésestimons pas ces avancées, elles ne suffisent évidemment pas à modifier notre opinion générale négative sur ce texte ; elle ne tient effectivement pas à quelques aspects de son contenu, elle tient à son essence même.
Tout d’abord, je considère toujours qu’il s’agit d’un texte plus sécuritaire que sanitaire. Comment pourrait-il en être autrement, puisqu’il s’inscrit dans la suite de la circulaire des ministères de l’intérieur et de la santé du 11 janvier 2010 relative aux sorties d’essai des patients hospitalisés sous contrainte, qui demande aux préfets d’« apprécier les éventuelles conséquences en termes d’ordre et de sécurité publics » avant d’autoriser ces sorties ?
Cet aspect sécuritaire transparaît dans le fait que ce projet de loi accorde toujours une place prépondérante au préfet, et ce malgré la décision du Conseil constitutionnel dont il devait être la transcription. Certes, il y a bien eu judiciarisation, mais a minima, en quelque sorte sous contrainte, puisque le juge des libertés et de la détention n’intervient qu’à la marge, seulement au bout de quinze jours d’hospitalisation. C’est toujours le préfet qui décide de l’hospitalisation et du protocole de soins, qui peut s’opposer à l’arrêt des soins sans consentement, qui peut transformer les soins ambulatoires en hospitalisation et vice versa, et qui donne son aval aux sorties de courte durée.
Notre opposition à ce texte se fonde également sur le fait qu’il est inapplicable en raison de l’état dans lequel se trouve la psychiatrie de secteur. Aujourd’hui, de trop nombreux secteurs psychiatriques manquent de tout : de psychiatres, de psychologues, d’infirmiers. Comment pourront-ils suivre demain les patients faisant l’objet de soins sans consentement en ambulatoire, alors qu’ils ne parviennent déjà pas à suivre les patients qui consentent à se soigner ? Je connais très bien cette situation dans mon département des Hauts-de-Seine.
Il est inapplicable du fait de l’état de nos hôpitaux publics que vous ne cessez de fragiliser. Les obligations administratives et les nombreux certificats médicaux qu’impliquera cette loi incomberont ainsi à des médecins déjà débordés. Or je n’ai pas cru entendre que ce gouvernement envisageait d’augmenter les effectifs du personnel des hôpitaux.
Au Sénat, vous avez, madame la secrétaire d’État, balayé cet argument en affirmant que les députés avaient voté un objectif national des dépenses d’assurance maladie hospitalier en progression de deux milliards d’euros. La belle affaire ! La Fédération hospitalière de France, dirigée par notre collègue Jean Leonetti, a fait remarquer que la progression de l’ONDAM ne suivait même pas l’augmentation naturelle des charges des hôpitaux, liée à la hausse statutaire des salaires dans la fonction publique hospitalière, à la hausse du prix de l’énergie et à la hausse de quelques coûts de fonctionnement.
Surtout, quand le Gouvernement alloue des moyens supplémentaires aux hôpitaux psychiatriques, c’est principalement pour mettre des barreaux aux fenêtres.
M. Guy Lefrand, rapporteur. Au contraire, on laisse les patients sortir !
M. Roland Muzeau. L’enfermement sécurisé et les chambres d’isolement seront-ils, faute de personnels suffisants, l’avenir des hôpitaux psychiatriques ? En fait d’avenir, cela ressemblerait fort à un préoccupant retour en arrière.
Enfin, ce texte est inapplicable parce que la notion même de soins en ambulatoire sans consentement, qui en est le pivot, pose d’insolubles problèmes aussi bien en termes thérapeutiques qu’en termes judiciaires.
Peut-on imposer un traitement psychiatrique, sauf à le réduire à un traitement médicamenteux et à abandonner la psychothérapie, qui est pourtant la base de la psychiatrie ? Peut-on, légalement, forcer un individu libre à se soigner, qui plus est dans l’intimité de son domicile ? Comment le suivi du traitement en ambulatoire sera-t-il contrôlé, sachant que la tentation d’arrêter son traitement est un trait commun à tous les patients, et pas seulement à ceux qui souffrent de troubles psychiatriques ? L’arrêt du traitement signifiera-t-il le retour à l’internement ? Cela conduirait à une situation juridiquement très bancale, puisque cette privation de liberté serait motivée non pas par des faits objectifs, par la détérioration de l’état de santé du patient, par un comportement délictueux ou dangereux, par des troubles à l’ordre public, ni même par des menaces avérées de tels comportements, mais uniquement par le fait de n’avoir pas pris ses pilules ; c’est un peu court pour justifier une privation de liberté, c’est même tellement peu convaincant que cela peut s’assimiler à de la détention arbitraire.
Troisième raison pour laquelle nous nous y opposons, ce texte n’aborde qu’un aspect de la psychiatrie, celui des soins sans consentement, qui ne concernent que 12 % des patients. Or, ce dont la psychiatrie a besoin dans notre pays, comme d’un préalable qui rende applicables ces dispositions sur les soins sans consentement, c’est avant tout d’une grande loi de santé mentale faisant l’objet d’une large concertation et d’un débat dans cet hémicycle, non pas d’un simple plan de santé mentale concocté dans le secret des cabinets ministériels.
Par ailleurs, on peut raisonnablement s’inquiéter, à la suite des propos que vous tîntes la semaine dernière en commission, du contenu à venir de ce plan de santé mentale. Vous avez effectivement déclaré, madame la secrétaire d’État, que vous n’envisagiez pas une grande loi de santé mentale parce que vous ne sauriez pas quoi y faire figurer. Si nous prenons acte de l’ignorance du Gouvernement, nous ne saurions accepter que vous y associiez les professionnels. Selon vous, ils n’auraient, eux non plus, aucune proposition à formuler. Comment peut-on aujourd’hui prétendre cela ? N’avez-vous donc pas lu, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs de la majorité, les rapports d’Hélène Strohl, d’Édouard Couty et d’Alain Milon que nous avons cités lors de l’examen de ce texte en première lecture ?
M. Guy Lefrand, rapporteur. Si, justement ! Le texte en est issu !
M. Roland Muzeau. Avez-vous pris connaissance des conclusions des états généraux de la psychiatrie qui se sont tenus en 2003 ?
Vous voulez des pistes ? En voici quelques-unes. Cette loi de santé mentale pourrait, pour commencer, chercher à adapter l’organisation territoriale de la psychiatrie aux besoins sanitaires de la population, en redéfinissant les rôles et les moyens des différentes composantes de la psychiatrie de secteur et en renforçant les coopérations entre les différents professionnels de santé mentale. Elle pourrait également créer une formation spécifique pour les infirmiers psychiatriques.
Les arguments en faveur d’une telle loi mettent cruellement en lumière les insuffisances du présent projet. Non seulement il n’aborde à aucun moment les conditions de la prise en charge des patients mais il va, au contraire, aggraver encore la situation actuelle.
Aujourd’hui, faute de moyens suffisants, les hôpitaux psychiatriques fonctionnent à flux tendu. Les demandes d’hospitalisation libre ne peuvent être satisfaites dans des délais raisonnables, ce qui oblige nombre de personnes en détresse psychique à biaiser, y compris en allant jusqu’à se faire hospitaliser à la demande d’un tiers. Dans ce cas, les directeurs d’hôpitaux ne peuvent refuser l’hospitalisation ; ils libèrent alors les lits nécessaires en faisant sortir prématurément des patients qui auraient dû rester hospitalisés.
On comprend bien, madame la secrétaire d’État, que les soins en ambulatoire sans consentement ne sont créés que pour faciliter ce jeu de chaises musicales en envoyant des malades se soigner tout seuls chez eux. Ce n’est évidemment pas ainsi que l’on assure un suivi correct des personnes en détresse psychique. Ce n’est pas ainsi non plus, madame la secrétaire d’État, que l’on protège l’ensemble de nos concitoyens.
Nous avions déjà abordé et développé ces quatre points en première lecture. La situation est inchangée en deuxième lecture.
Cette analyse a été confirmée entre-temps non pas seulement par des psychiatres opposés à ce texte ou par nos collègues sénateurs, de la majorité comme de l’opposition, mais aussi par des instances officielles.
Ainsi, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a rendu un avis qui soulève plusieurs questions auxquelles, madame la secrétaire d’État, vous n’avez pas répondu.
M. Guy Lefrand, rapporteur. Auxquelles le texte répond !
M. Roland Muzeau. Il souligne notamment que les préfets, amenés à se prononcer sur le prolongement ou l’interruption d’une mesure de soins sans consentement, le feront en se fondant sur des données antérieures à l’hospitalisation et aux soins qui ont pu être prodigués. Au demeurant, cela montre bien la philosophie de ce texte qui considère les personnes atteintes de troubles psychiatriques comme incurables…
M. Guy Lefrand, rapporteur. Non !
M. Roland Muzeau. …et justifie ainsi que les jugements portés sur eux restent inchangés, avant comme après les soins.
Le contrôleur souligne d’ailleurs que les craintes d’atteinte à l’ordre public, qui guident votre politique en matière de psychiatrie, ont pour effet de « maintenir à l’hôpital des personnes dont l’état, attesté par les médecins, ne justifie pas qu’elles y soient maintenues contre leur gré », leur maintien à l’hôpital conduisant en outre « à un encombrement des lits hospitaliers » et « [faisant] obstacle à l’hospitalisation de personnes qui en auraient au contraire réellement besoin ». C’est, conclut M. Delarue, « une politique à courte vue qui peut avoir des effets contraires à ceux recherchés ». Ce texte n’est donc pas seulement inopérant, il est aussi contre-productif.
Plus récemment encore, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a également rendu un avis très négatif sur ce projet de loi : « Dans un contexte de très grande dégradation de la psychiatrie, notamment de secteur, un projet de loi centré sur “certains patients susceptibles de présenter un danger pour autrui” selon la formule retenue dans l’exposé des motifs, ne manque pas d’interroger. » Elle craint que cette réforme, qui privilégie un point de vue sécuritaire, renforce, au-delà de l’indispensable, la contrainte pesant sur les malades et l’enfermement au détriment d’autres modes d’accompagnement ; elle considère que le débat en cours, dont l’objet est un texte essentiellement centré sur la protection de la société, ne milite pas en faveur d’une plus grande acceptation de la présence des malades mentaux dans la cité. Elle déplore également une concertation insuffisante et un « manque de maturité » de ce texte, une réflexion « inaboutie » et l’absence de la question des moyens pour la psychiatrie.
Le constat et les termes employés sont sévères. Avec les mêmes arguments, nous ne sommes pas parvenus à vous convaincre lors de la première lecture de ce texte. Je voudrais croire que le contrôleur général des lieux de privation de liberté et la commission nationale consultative des droits de l’homme rencontreront un plus grand succès. Las, la réalité ne m’y incite guère.
À ce niveau d’hostilité des familles, des psychiatres et des patients à ce texte,…
M. Guy Lefrand, rapporteur. Les familles y sont favorables !
M. Roland Muzeau. …avec tant d’avis négatifs formulés aussi bien par des instances gouvernementales que par des autorités administratives indépendantes ou par des sénateurs et députés de toutes sensibilités, y compris de votre majorité, il ne vous reste, madame la secrétaire d’État, qu’une porte de sortie honorable, celle que suggère la Commission nationale consultative des droits de l’homme : vous en tenir dans un premier temps à la judiciarisation dont le Conseil constitutionnel exige la mise en place avant le 1er août prochain et entamer une véritable concertation en vue d’une loi enfin globale sur la psychiatrie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Serge Blisko. Très juste !

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Roland
Muzeau

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