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Motions de censure

Motion de censure - PLFSS pour 2024 - 2ème partie

« Ma chère maman, merci pour l’article que tu m’as envoyé. Il est vrai qu’au moment où je t’écris, la guerre continue de déferler, provoquant la mort de femmes, d’hommes, d’enfants, détruisant les maisons, les routes ou les oliviers, semant la désolation, plongeant l’humanité dans un terrible cauchemar. Je sais bien que cette situation t’inquiète et te révolte, et je pleure avec toi toutes les victimes et les prisonniers. Ma préoccupation la plus vive est que se déploie une action politique intense pour arrêter le massacre, en finir avec le déni du droit international et du droit des peuples, arrêter la colonisation et construire la paix – la justice et la paix. Cette volonté doit pouvoir se faire entendre dans les villes de notre pays.

Pourtant, il faut quand même continuer à s’occuper des affaires plus ordinaires et des choix politiques pour l’année qui vient. Je dois monter demain à la tribune de l’Assemblée, à l’occasion de la discussion d’une motion dite de censure contre le Gouvernement, afin de contester le budget de la sécurité sociale, dont on nous explique que c’est le meilleur budget de tous les temps, de toute l’Europe, de tout l’univers visible et invisible – cela, c’est moi qui l’ai ajouté.

Je dois t’avouer que je ne sais plus vraiment comment leur dire ce que je ressens. Tu n’imagines pas à quel point ils se trouvent formidables. Ils voudraient que nous le reconnaissions et que nous le leur disions : « si votre ramage se rapporte à votre plumage… » (Sourires sur les bancs du groupe GDR-NUPES.) Mais, en fait, nous sommes en désaccord – si, cela est possible !

Ne t’inquiète pas, je répondrai dans la foulée au message des cousins. »

« Chers cousins, la description de votre quotidien est, en effet, très préoccupante. Je partage votre colère et celle de votre syndicat. L’hôpital s’enfonce dans la crise et on continue. L’objectif national de dépenses d’assurance maladie est annoncé à 3,2 %, c’est-à-dire une augmentation inférieure à celle de l’année dernière, qui était en dessous de l’inflation et inférieure à l’augmentation naturelle, estimée aux alentours de 4,5 %, alors même que, ces dernières années, le budget ordinaire a déjà été beaucoup réduit. De surcroît, on veut nous faire approuver une compression encore plus forte pour les années qui viennent. C’est insensé, alors que les personnels tirent la sonnette d’alarme.

Il faudrait donner de l’air à l’hôpital, et plus largement à notre système de santé, et permettre à ses actrices et acteurs de prendre un nouvel élan. Quant aux rémunérations, à la reconnaissance du travail et des métiers, à la déprécarisation, elles sont décisives pour l’avenir. Vous pouvez compter sur moi pour porter ces messages.

En effet, il y a un désaccord fondamental, notamment sur le choix d’un tel niveau d’exonérations de cotisations sociales, qui finit par les délégitimer et qui conduit à sous-financer la sécurité sociale, alors que nous avons besoin de socialiser des ressources pour nous protéger mutuellement. Il faut faire face aux besoins de santé ; or, cette année, 2,5 milliards d’euros d’exonérations ne seront pas compensées. Et en plus, ils vont piquer dans la caisse des retraites complémentaires et dans celle de l’Unedic, et ils trouvent ça normal. (Mme Anne-Laure Blin s’exclame.) Le poids de la dette publique liée au covid a été transféré sur la sécurité sociale, ce qui est un bien mauvais calcul social et financier. L’an dernier, j’avais pourtant réussi à faire adopter un amendement record à 18 milliards d’euros qui contestait ce choix.

Le Gouvernement dit avoir tout fait pour « trouver des points d’accord ». Bien sûr, on peut être d’accord avec certaines dispositions – tant mieux. Tel est le cas de la prévention contre le papillomavirus ou de la gratuité des préservatifs, qui sont les deux nouvelles mesures mises en avant. Mais cela ne constitue pas une politique sanitaire et sociale digne de ce nom.

Le Gouvernement propose enfin des mesures pour venir au secours du don du sang ; elles semblent néanmoins bien insuffisantes pour faire face aux difficultés. Du reste, un amendement de dernière minute relatif aux médicaments issus du plasma semble aller en sens inverse, alors même que cet enjeu éthique et sanitaire est décisif.

La suppression de la tarification à l’activité annoncée ne se traduira que par une faible diminution des dépenses. De plus – je sais que vous êtes sensibles à la question –, aucun effort visible n’est programmé pour les soins palliatifs alors que, depuis vingt ans, 150 000 personnes qui pourraient y prétendre en sont privées chaque année. Le dispositif Mon soutien psy, dont l’échec est avéré, n’est pas remis en question. Il y a parfois plus d’un an d’attente pour obtenir un rendez-vous dans un centre médico-psychologique. Dans une société angoissée et fracturée, il aurait fallu des mesures fortes pour la santé mentale.

De façon générale, je suis inquiet des phénomènes de financiarisation qui se développent dans le monde de la santé, phénomènes contre lesquels il faudrait déployer une action vigoureuse. Or je ne crois pas que les modifications apportées à la contribution des entreprises du médicament aillent en ce sens. La création d’un pôle public du médicament rassemblant production et recherche devient un besoin criant.

Je ne vous parle même pas du droit à l’autonomie, toujours repoussé à plus tard faute de volonté politique.
Il est nécessaire d’accélérer dans le domaine de la prévention – laquelle suppose un changement de nos modes de vie, de production et de consommation – et de se doter de meilleurs outils ; je pense à la santé au travail. Or la seule chose que le Gouvernement trouve à faire, c’est de donner la main au médecin diligenté par l’employeur pour contrôler les arrêts de travail, shuntant ainsi la sécurité sociale et son médecin-conseil. Objectif : 300 millions d’économies. Mais on ne s’interroge pas sur les causes des arrêts maladie. Et encore avons-nous réussi à faire supprimer une nouvelle disposition qui visait à réformer de manière complètement injuste l’indemnisation d’un préjudice en cas de faute inexcusable de l’employeur.

En fait, si l’on veut résumer, ce sont toujours les mêmes qui trinquent, comme en témoigne la probable augmentation à venir des franchises. Sans compter que ce budget est le premier à mettre en œuvre la réforme des retraites, qui n’en finit pas de ne pas passer.

Voilà ! Je vais désormais essayer d’écrire mon intervention pour cette motion de censure bien méritée. Je n’avais pas encore de costume pour Halloween, mais un déguisement de paillasson, non merci ! » (M. Sébastien Jumel s’esclaffe.)

« Cher ami,

vous m’interrogez sur le sens de cette nouvelle motion de censure. Elle est nécessaire pour marquer non seulement notre refus de ce budget de la sécurité sociale – qui sonne creux, n’est absolument pas à la hauteur des besoins et nous est imposé par 49.3 – mais aussi, au début des débats budgétaires, notre opposition résolue à l’abaissement du Parlement, dans une République où le Gouvernement tient désormais sa légitimité tout entière du Président de la République, qui est à peu près ministre de tout.

En effet, alors que le débat sur les recettes n’avait même pas commencé, Mme la Première ministre est montée à la tribune avec un grand sourire pour nous expliquer qu’elle se passerait de notre avis. Les députés de la majorité minoritaire se sont levés pour applaudir. Je ne comprends pas comment on peut applaudir un 49.3. S’y résoudre, à la limite, mais l’applaudir, ça me dépasse !

Le 49.3 est un aveu d’échec pour ceux qui le déclenchent. Mme la Première ministre en renvoie la faute aux méchantes oppositions face au gentil Gouvernement responsable. L’argument employé par celui-ci pour clore le débat, la semaine dernière – après avoir procédé de la même façon sur le budget de l’État –, consistait à expliquer qu’il n’y a pas d’autre possibilité puisque les oppositions ne sont pas d’accord entre elles. Je dois reconnaître que c’est un progrès par rapport à l’année précédente, puisqu’ils avaient alors joué un petit jeu dangereux en pointant du doigt une alliance imaginaire et, à nos yeux, infamante.

Mais il s’agit toujours de se défausser de ses responsabilités. Or l’absence de majorité absolue devrait obliger davantage encore le Gouvernement à consentir des efforts dont il se dispense désormais avec une certaine désinvolture. Non seulement il n’a pas véritablement fait évoluer le texte sur les points de désaccord, mais il y a ajouté une poignée d’amendements discutables qui n’ont pas été examinés en commission.

À l’Assemblée, je m’efforce de faire entendre des aspirations et des réalités que le Gouvernement laisse dans l’ombre ; je m’efforce de faire résonner une autre voix, une autre vision et de rendre crédibles et possibles d’autres choix, des solutions alternatives. La nouvelle manière d’utiliser le 49.3 vise à l’empêcher en mettant fin au débat avant même qu’il n’ait commencé. Elle marque ainsi une dérobade complète. Elle vient matérialiser un exercice et une conception du pouvoir qui ne laissent même pas au Parlement l’espace de discuter. Le débat sur la santé et la protection sociale, qui a lieu une fois par an, est pourtant un rendez-vous essentiel. Une société où le Parlement ne débat plus est une société où la démocratie ne va pas bien. »

Chères et chers collègues, pardon d’avoir partagé avec vous le contenu de mon courrier, mais je crois qu’il permettra d’expliquer, ici et au-delà de ces murs, pourquoi les députés communistes et ultramarins du groupe Gauche démocrate et républicaine voteront en faveur de la censure du Gouvernement : pour son mauvais budget de la sécurité sociale, pour ses mauvaises manières à l’égard du Parlement et pour l’ensemble de son œuvre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

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