Interventions

Motions de censure

Motion de censure

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, le moment est grave, grave d’abord et avant tout pour le Gouvernement.
Ce débat porte en effet sur l’aveu d’un échec, son échec. Au terme de semaines de débats au sein et en dehors de notre hémicycle sur le désormais célèbre projet de loi Macron, le Gouvernement s’est retrouvé dans une impasse politique. C’est le constat de cet échec qui vous a amené, monsieur le Premier ministre, à engager la responsabilité du Gouvernement sur la version du projet de loi issue des débats.
Pourtant, le sens des responsabilités et la voix de la raison auraient dû conduire le Gouvernement à retirer un texte indigeste sur la forme comme sur le fond, un texte qui, indubitablement, ne pouvait pas obtenir l’adhésion d’une majorité de députés de gauche et ne pouvait être adopté qu’avec les voix de la droite.
Plutôt que de le reconnaître et d’engager sa responsabilité, l’exécutif a décidé de passer en force, envers et contre tous, y compris contre une partie des élus de sa propre majorité.
Vous avez voulu ainsi faire une démonstration de force, mais cela ne fait que démontrer votre profonde faiblesse.
Le choix que vous avez fait est d’abord un déni de démocratie. Le recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution a pour seul but d’empêcher la représentation nationale de se prononcer sur un texte qui a été discuté durant près de 200 heures en commission et en séance publique. Le recours à cet artifice constitutionnel est bien l’aveu d’un échec car, au-delà de ce texte, c’est la politique gouvernementale dans son ensemble qui est contestée. Il est vrai que ce projet de loi symbolise à lui seul la dérive libérale d’une majorité qui était pourtant censée incarner une alternative à la politique de Sarkozy et mener une guerre contre la finance.
La voie que vous avez choisie est en effet celle du reniement permanent, et le projet de loi Macron n’en est que la consécration. Auparavant, vous avez imposé une série de réformes régressives qui ont porté autant de coups de butoir à notre modèle social. Qu’il s’agisse de la ratification du traité budgétaire européen, véritable péché originel, de l’accord national interprofessionnel, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ou du si mal nommé « Pacte de responsabilité », la ligne a toujours été dictée par les dogmes de l’archéo-libéralisme et de l’austérité budgétaire.
Avec ce nouveau projet de loi, vous avez confirmé votre incapacité à entendre la voix du peuple et de sa représentation pour succomber aux sirènes du MEDEF et aux injonctions de Bruxelles.
Car telle est bien la réalité : contrairement à son intitulé, le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ne créera ni activité ni emploi. Il est simplement calibré pour répondre aux exigences de Bruxelles. Son objectif est d’envoyer à nos partenaires européens le signal que notre pays se réforme, c’est-à-dire, selon votre définition, ouvre un peu plus ses portes aux marchés financiers et aux investisseurs avides de profits et de rentes confortables.
Cela explique très certainement votre intransigeance et pourquoi vous êtes prêts à tout faire pour que cette loi passe, y compris, sans hésiter, user d’une pirouette constitutionnelle aussi archaïque que les mesures du projet de loi.
L’archaïsme est d’abord dans les mesures de régression qu’accumule ce projet de loi, un texte aux apparences de fourre-tout mais dont l’ultralibéralisme est le fil conducteur : abandon du ferroviaire au profit de sociétés d’autocars, abandon du service public de la justice au profit de banques, de cabinets anglo-saxons ou de tout autre investisseur qui voudra s’offrir le sceau de la République, abandon des commerces de proximité au profit des grands groupes, risque de marchandisation du corps humain, privatisation de la gestion de nos aéroports, pourtant rentables, allégement fiscal des actions gratuites au profit des dirigeants du CAC 40, recul des obligations patronales en matière de licenciement économique, et j’en passe…
Vous le savez, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir, les députés du Front de gauche n’ont jamais choisi d’adopter une posture leur interdisant d’examiner objectivement les textes qui leur étaient soumis.
Cependant, nous avons beau scruter ce texte à la recherche d’une mesure de progrès social, nous ne trouvons pas une ligne qui soit porteuse d’une quelconque avancée.
Ce projet de loi ne comporte que des reculs pour les droits des salariés, les services publics et les services de proximité. Les dispositions portant sur l’extension et la banalisation du travail du dimanche illustrent à elles seules le détricotage de notre modèle social.
À l’opposé, et vous ne vous en cachez pas, le Gouvernement assume pleinement une position, celle du tournant libéral que la droite appelle de ses vœux. Certaines propositions de ce projet de loi s’inspirent d’ailleurs directement du rapport commandé par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était Président de la République à la commission pour la libération de la croissance française, au sein de laquelle Emmanuel Macron siégeait comme rapporteur.
D’autres propositions sont issues des recommandations faites explicitement par la Commission européenne, ce qui est de nature à rendre les Français toujours plus perplexes sur l’identification et la localisation du pouvoir politique en France : qui décide et au nom de quels intérêts ? La question est d’ordre démocratique et idéologique.
À Bruxelles comme à Paris, réformer c’est libéraliser ; un credo et une équation simple dont les éléments constitutifs s’accompagnent d’une régression sociale indigne d’un gouvernement de gauche ; un credo porté par la droite de cet hémicycle qui, sans craindre le ridicule, vient aujourd’hui critiquer la politique qu’elle rêve de mener, puissance quatre, à la place du Gouvernement.
Certains socialistes ont dénoncé le projet de loi dès le départ : Martine Aubry a qualifié le texte de « régression » et Pierre Joxe s’est dit « éberlué » et « stupéfait » d’un texte où on trouve des dispositions « ahurissantes ». Ils savent, comme nous, les résultats auxquels ont abouti les politiques de Thatcher, Blair ou Schröder. Vous n’échapperez pas à la règle : déréglementation tous azimuts, concurrence sauvage et régression sociale seront synonymes pour notre pays d’une hausse inexorable du chômage et de la précarité.
Une telle tragédie économique et sociale a un coût politique non moins dramatique : la hausse continue du chômage s’accompagne, aux diverses élections, d’un renforcement de l’abstention et de l’extrême droite. Vous portez ici une responsabilité forte, historique, quant à ce double fléau pour la démocratie.
Malgré la force des désaveux infligés par le suffrage universel à l’occasion des élections municipales et européennes, l’obstination et le dogmatisme continuent de prévaloir à l’Élysée comme à Matignon. Dans le même temps, et de façon grandissante, les interrogations et le doute s’emparent des députés de la majorité. Nombreux sont ceux qui, bien au-delà des rangs du Front de gauche, attendent du Gouvernement un changement de cap en faveur de la relance et de l’emploi. Si nombre de nos concitoyens expriment aujourd’hui leur déception et parfois leur colère, c’est qu’ils attendent du Gouvernement qu’il se donne enfin les moyens du changement, qu’il se donne enfin une vraie ambition économique et sociale.
Or le Gouvernement est loin du compte ! Où sont les mesures attendues de revalorisation des salaires et de soutien au pouvoir d’achat des ménages ? Où sont les mesures de lutte contre les licenciements boursiers et l’avidité des actionnaires ? Où sont les mesures sociales ambitieuses en matière de santé, de retraite et d’emploi ? Où est passée la grande réforme fiscale ?
Pour les députés du Front de gauche, et je dirai plus largement de la gauche progressiste, il n’y a pas de fatalité au triomphe de la logique libérale de mise en concurrence des territoires et des peuples, il n’y pas de résignation face à la Troïka – celle-là même qui a mis le peuple grec à terre.
Le Président de la République et votre Gouvernement, monsieur le Premier ministre, ne pourront plus longtemps tourner le dos aux valeurs de la gauche. Du reste, une partie de la majorité parlementaire ne supporte plus ce reniement permanent. Elle ne supporte plus non plus votre mépris pour la représentation nationale.
Non contents d’utiliser la procédure du temps législatif programmé – qui, je le rappelle, a limité drastiquement le temps de parole des députés –, non contents d’abuser du recours aux ordonnances qui confine lui aussi au déni de démocratie, vous imposez aujourd’hui le 49-3, qui bâillonne les députés qui voulaient voter contre ce texte.
Vous avez voulu tendre un piège institutionnel pour faire entrer tout le monde dans le rang. Nous refusons ce chantage politique tant notre parole est libre. Monsieur le Premier ministre, votre calcul politicien est à court terme. Vous ne pourrez pas toujours empêcher les convergences de s’exprimer et de se renforcer en faveur d’une alternative à gauche. Vous ne pourrez pas non plus masquer ad vitam votre rapprochement avec la droite par des envolées verbales aussi artificielles que trompeuses.
Mais ce qui est plus grave aujourd’hui, c’est que la comédie politique à laquelle vous vous livrez aggrave le fossé qui se creuse entre nos concitoyens et les élus. La crise à laquelle vous êtes confronté aujourd’hui est aussi morale. La dimension parfois technique des débats ne saurait masquer l’enjeu de l’offre politique alternative et du choix de société. En cela, la crise n’est pas technique, mais foncièrement existentielle : elle interroge notre rapport à nous-mêmes, au monde et à l’Autre, au capital et au travail.
Résignés et tétanisés face à la puissante vague néolibérale et réactionnaire, certains de ceux qui se disent progressistes ont déserté le combat des idées et des valeurs pour se laisser guider par un « gestionnisme réaliste ». Comme si un destin commun s’appréciait à l’aune des seuls taux directeurs de la BCE, de la croissance, de la dette publique, des sondages – à défaut de tout socle moral, prenant en compte, avant tout, l’humain. L’humain d’abord, l’humain avant tout !
La fracture entre le peuple et les élites – politique, financière, médiatique, bureaucratique, intellectuelle – se nourrit d’un profond sentiment d’injustice, qui cultive lui-même les divisions et les antagonismes, dans une société sclérosée en son sommet, profondément inégalitaire, sous tension identitaire, et incertaine de ses valeurs communes.
Soyons clairs. Pour des députés de la gauche progressiste une censure du Gouvernement et de la loi Macron n’a absolument rien à voir avec la motion présentée par la droite ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Chacun sait bien que la droite manœuvre, sans craindre de mettre à jour ses incohérences et contradictions, puisqu’elle vote contre la politique qu’elle-même préconise !
Mesdames et messieurs les députés de droite, vous savez que votre censure est l’expression d’une simple hypocrisie politicienne pour occulter le bilan désastreux de vos années de pouvoir. Personne n’est dupe du programme destructeur qui est le vôtre et qui enfoncerait encore un peu plus notre pays dans la crise. Le seul reproche que vous avez à faire au Gouvernement, c’est d’avoir adhéré à votre propre programme économique et de l’appliquer sans vous reconnaître les droits d’auteur. Vous souhaitez censurer le Gouvernement pour exercer directement le pouvoir. Votre démarche ne s’explique donc que par des considérations de pouvoir personnel, nullement d’intérêt général, c’est-à-dire l’intérêt du peuple.
Pour notre part, c’est précisément au nom du respect du peuple et par souci de cohérence entre nos idées et nos actes que nous assumons de condamner la politique menée par le Gouvernement.
Nous avons tenté de déposer, avec des collègues d’autres bancs, notre propre motion de censure, avec notre propre argumentaire. Parce que nous combattons le texte sur lequel vous avez engagé votre responsabilité, monsieur le Premier ministre, mais aussi parce que nous sommes convaincus de l’urgence et de la nécessité de nommer un gouvernement qui puisse réunir l’ensemble des forces de gauche pour conduire une politique de progrès social et de refondation démocratique.
Monsieur le Premier ministre, nous n’avons cessé de vous mettre en garde contre la dérive de votre politique économique, toujours plus libérale. Aujourd’hui, il est temps d’en tirer les conséquences. À travers notre censure, nous adressons un message clair pour que la majorité élue par la gauche cesse de se fourvoyer dans les méandres du libéralisme économique prôné par la droite. Parfois, le retour à la raison doit être provoqué par un geste fort. Ce geste, nous l’assumons, au nom du peuple de gauche et dans l’intérêt de la gauche.
C’est dans cet esprit, celui de la conviction et de la détermination, qu’en son âme et conscience, une majorité de députés du Front de gauche se positionne sur la censure de ce Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe UMP.)

Imprimer cet article

André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques