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Propositions de loi

Gestion du maintien de l’ordre depuis 2016 - n°1824

Proposition de loi constitutionnelle sur l’encadrement de la nomination des membres du Conseil constitutionnel

présentée par Mesdames et Messieurs

Stéphane PEU, Huguette BELLO, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle, et en vertu de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel : « Tous les citoyens (…) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. ». Ce principe fondamental s’applique à chaque fois qu’il est pourvu à une dignité ou à un emploi public. La capacité est le seul fondement qui justifie d’occuper de tels emplois et il appartient à l’autorité de nomination de se fonder sur la seule considération des « vertus » et des « talents » des personnes en cause. Le caractère discrétionnaire du pouvoir de nomination – c’est‑à‑dire l’absence de toute précision posée par les textes quant aux conditions d’âge, de diplôme, de compétence, de moralité – n’est pas synonyme de pouvoir arbitraire. Il est, en effet, possible de prendre en considération des éléments de nature politique ou autres mais, en fin de compte, seuls des candidats ayant un certain niveau de compétence pour occuper le poste à pourvoir peuvent être légitimement choisis. Autrement dit, le pouvoir discrétionnaire de nomination à un emploi public ne peut méconnaître le respect du principe interdisant de fonder les distinctions sur d’autres éléments que les vertus et les talents. Ceux‑ci s’apprécient à la lumière des capacités propres à l’exercice des fonctions constitutives de l’emploi public concerné.

L’article 63 de la Constitution prévoit qu’« Une loi organique détermine les règles d’organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel (…) ». Or ce texte ne pose pas la moindre condition de fond à laquelle devraient répondre les personnes nommées au Conseil : partout ailleurs en Europe (exception faite peut‑être de la Belgique), la Constitution et/ou la loi organique applicable subordonne à des conditions strictes de capacité la nomination aux fonctions de juge constitutionnel.

Il ne s’agit pas de faire montre d’un quelconque mimétisme institutionnel, mais de prendre en considération l’évolution du Conseil constitutionnel dans le cadre d’une démocratie traversée par une profonde crise de défiance citoyenne à l’égard de ses propres institutions.

L’importance prise par le Conseil constitutionnel dans notre vie publique est incontestable. En 1958, il s’agissait d’une institution secondaire et marginale de la nouvelle Constitution. Aujourd’hui, il s’agit d’une institution politico‑juridictionnelle parmi les plus essentielles au sein de notre État de droit. Outre sa compétence en matière de contentieux électoral, cette institution est surtout juge de la constitutionnalité des lois : le Conseil constitutionnel est chargé de vérifier que la loi votée ou déjà en vigueur respecte la Constitution, en général, et les libertés et droits fondamentaux, en particulier. Depuis l’entrée en application, en 2010, de la procédure dite de « Question Prioritaire de Constitutionnalité » (QPC), l’institution affiche l’apparence d’une Cour constitutionnelle. La procédure contentieuse y est appliquée : il n’y pas de place pour la politique dans le déclenchement, le déroulement et l’issue de la QPC.

Il n’empêche, ce mouvement de juridictionnalisation fonctionnelle du Conseil constitutionnel contraste avec le profil de ses membres, essentiellement d’anciens responsables politiques qui doivent leur nomination à une logique archaïque de « services rendus », de « complaisance politico‑mondaine », et qui porte atteinte in fine au crédit et à la légitimité de cette institution([1]).

La confiance dans l’institution que représente le Conseil constitutionnel – et dans les décisions importantes qu’elle rend dans le cadre de notre État de droit démocratique ‑ suppose donc d’instituer des conditions formelles et préalables en matière de compétence et de moralité. L’accès à de telles fonctions commande de vérifier un certain nombre de conditions préalables, en particulier en matière de compétence juridique et de moralité. Cette conditionnalité est justifiée à la fois par un contexte marqué par la juridictionnalisation fonctionnelle du Conseil constitutionnel et par la montée de l’impératif de moralisation des responsables publics.

Dans une société en quête de repères moraux, la nette tendance des citoyens à pourfendre les atteintes à la probité marque bel et bien un recul du seuil d’acceptabilité ou de tolérance sociale à l’égard du défaut de vertu ou de moralité des responsables publics. Les citoyens sont devenus hypersensibles à l’exemplarité, signe de l’émergence d’une nouvelle culture démocratique([2]) caractérisée par l’affirmation des exigences de vertu, de probité et d’exemplarité des responsables publics, aux côtés des traditionnels impératifs de compétence, d’efficacité et d’expérience.

Aucune condition de compétence en matière juridique n’est exigée par la Constitution pour pouvoir être nommé, ce qui distingue le Conseil constitutionnel de toutes les autres cours constitutionnelles des grandes démocraties libérales européennes (à l’exception de la Belgique). Celles‑ci exigent des futurs juges constitutionnels qu’ils possèdent une certaine expérience ou une certaine qualification, juridique en général([3]).

Les fonctions dévolues aux membres du Conseil constitutionnel sont essentiellement aujourd’hui des fonctions juridictionnelles, particulièrement avec l’entrée en vigueur de l’article 61‑1 de la Constitution. Or l’exercice de fonctions juridictionnelles suppose des aptitudes particulières, comme le Conseil lui‑même l’a rappelé lorsqu’il a eu à se prononcer sur des lois portant sur l’accès à de telles fonctions. C’est ainsi que dans sa décision du 19 juin 2001, sur la loi organique relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature, il rappelle que dans l’exercice de sa compétence pour fixer le statut des magistrats de l’ordre judiciaire, le législateur organique doit se conformer au principe d’égal accès posé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et précise « qu’il résulte de ces dispositions, s’agissant du recrutement des magistrats, en premier lieu qu’il ne doit être tenu compte que des capacités, des vertus et des talents ; en deuxième lieu que les capacités, vertus et talents ainsi pris en compte doivent être en relation avec les fonctions de magistrats ». Appliquant ces règles à la création, par le texte sous examen, de nouvelles voies de recrutement de magistrats, la décision réaffirme que les règles édictées doivent notamment poser « des exigences précises quant à la capacité des intéressés », avant d’indiquer « qu’en l’espèce, dans la mesure où ni les diplômes obtenus par les candidats ni l’exercice professionnel antérieur des intéressés ne font présumer, dans tous les cas, la qualification juridique nécessaire à l’exercice des fonctions de magistrat de l’ordre judiciaire, les mesures réglementaires d’application de la loi devront prévoir des épreuves de concours de nature à permettre de vérifier les connaissances juridiques des intéressés ». Pour n’être pas des magistrats de l’ordre judiciaire, les membres du Conseil constitutionnel ne devraient‑ils pas justifier d’une « qualification juridique nécessaire à l’exercice de leurs fonctions » ? La même décision ajoute encore, après avoir relevé que les magistrats ainsi recrutés seront susceptibles d’exercer les fonctions de conseiller de cour d’appel, « que, s’agissant de personnes n’ayant jamais exercé de fonctions juridictionnelles au premier degré de juridiction, le pouvoir réglementaire devra veiller à ce que soient strictement appréciées, outre la compétence juridique des intéressés, leur aptitude à juger, afin de garantir (…) la qualité des décisions rendues, l’égalité devant la justice et le bon fonctionnement du service public de la justice ».

La décision du 20 février 2003 sur la loi organique relative aux juges de proximité, renforce encore les exigences applicables à l’exercice de fonctions judiciaires, même modestes, puisqu’il s’agit d’attributions naguère réservées aux tribunaux d’instance ou de police. « Les connaissances juridiques constituent une condition nécessaire à l’exercice de fonctions judiciaires », commence par poser le Conseil. Il est, en conséquence, prescrit au Conseil supérieur de la magistrature de « s’assurer que les candidats dont la nomination est envisagée sont aptes à exercer les fonctions de juge de proximité ». Enfin, le Conseil exige que le législateur organique « précise lui‑même le niveau de connaissances ou d’expérience juridiques auquel doivent répondre les candidats à ces fonctions, de manière à satisfaire aux conditions de capacité qui découlent de l’article 6 de la Déclaration de 1789 ». La décision indique ensuite « que l’exercice antérieur de fonctions impliquant des responsabilités… dans le domaine… administratif, économique ou social » ne révèle pas par lui‑même, quelles que soient les qualités professionnelles antérieures des intéressés, leur aptitude à rendre la justice ; qu’en définissant de telles catégories de candidats aux fonctions de juge de proximité sans préciser le niveau de connaissances ou d’expérience juridiques auquel ils doivent répondre, le législateur organique a manifestement méconnu l’article 6 de la Déclaration de 1789 ».

À l’évidence, les conditions de nomination des membres du Conseil constitutionnel devraient s’aligner sur ces prescriptions, auxquelles l’article 56 de la Constitution ne peut être présumé avoir voulu déroger, tant est essentiel le respect du principe d’égalité, énoncé dès le premier article de notre Constitution.

De fait, les professionnels du droit sont minoritaires au sein du Conseil constitutionnel, alors que la plupart des textes régissant le fonctionnement des Cours constitutionnelles en Europe imposent une présence de magistrats et de professeurs de droit et que, dans les faits, ces professionnels sont en forte proportion. À ne comporter qu’une minorité de membres armés en vue de discussions juridiques – et d’une minorité plus restreinte encore capables de le faire sans être trop influencés par des considérations politiques – le Conseil est exposé à des risques multiples. Risque d’abord de produire des décisions juridiquement fragiles – notamment parce que les « juristes » n’auraient pas réussi à faire triompher leur point de vue face à l’opposition des « politiques » : en atteste la résistance des « politiques » face à l’invocation de la jurisprudence que doit respecter la décision à intervenir, qu’il s’agisse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou de celle d’autres juridictions, le Conseil d’État en tête.

La complexité des questions soumises au Conseil constitutionnel impose la mobilisation de compétences en droit : droit privé, droit fiscal, droit des affaires, droit public, droit international et européen, droit de l’environnement... Une expérience ou une carrière politique ne saurait se substituer à des compétences juridiques qui sont manifestement nécessaires.

C’est pourquoi cette proposition de loi propose de modifier l’article 56 de la Constitution et prévoit que ses membres disposent de compétences et d’expérience reconnues en matière juridique. Par ailleurs, elle prévoit que trois d’entre eux doivent avoir la qualité de professeur de droit des universités ou de juges ayant exercé effectivement au moins dix ans dans les juridictions supérieures administratives ou judiciaires françaises.

Dans ce même esprit d’un renforcement de l’indépendance de la juridiction constitutionnelle, l’article 1er prévoit que le Président du Conseil constitutionnel doit être désigné par ses pairs et non plus par le Président de la République. L’article 2, quant à lui, dispose que les fonctions de membres sont incompatibles avec celles d’anciens membres du Gouvernement ou du parlement dans les dix ans qui précèdent leur nomination. Ce dispositif devrait permettre d’éviter que les juges constitutionnels se voient en situation de juger la constitutionnalité d’une loi dont ils auraient participé à l’élaboration dans des fonctions antérieures ou qu’ils auraient votée, voire même combattue.

L’article premier de cette proposition de loi supprime également l’alinéa qui prévoit que les anciens Présidents de la République sont membres de droit et à vie du Conseil constitutionnel.

Enfin, les auteurs prévoient, dans l’article 56 de la Constitution, la prise en compte du respect de la parité entre les femmes et les hommes dans la composition du Conseil constitutionnel.

Des conditions d’intégrité morale devraient également s’appliquer aux propositions de nomination au Conseil constitutionnel, ce en s’inspirant des exigences posées aux concours de la fonction publique en général et à la magistrature, en particulier.

L’exigence de moralité continue à inspirer des conditions d’entrée dans la fonction publique. Le fonctionnaire incarne et garantit les principes essentiels de fonctionnement du service public. Il doit donc être choisi non seulement au regard de ses mérites mais aussi compte tenu des divers éléments qui forment sa personnalité. L’ancien statut de 1959 imposait en ce sens le recrutement de fonctionnaires d’État de « bonne moralité ». L’article 5 de la loi du 13 juillet 1983 dispose que les mentions portées au bulletin n° 2 du casier judiciaire du candidat à la fonction publique ne doivent pas être incompatibles avec l’exercice des fonctions. La jurisprudence confirmée par cet arrêt du Conseil d’État du 25 octobre 2004 (à mentionner aux tables), Mme D., illustre la permanence d’une exigence qui va au‑delà de celle exprimée maintenant par l’article 5‑3° de la loi du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires d’une compatibilité des mentions du bulletin n° 2 du casier judiciaire avec l’exercice des fonctions. En effet, les qualités morales d’un candidat doivent pouvoir être appréciées au‑delà des seules mentions du casier judiciaire. Cette position ancienne de la jurisprudence, maintenue en dépit de la réécriture en 1983 des conditions d’entrée dans la fonction publique, justifie la reconnaissance par le juge d’une compétence administrative fondée sur l’intérêt du service dont les conditions d’exercice sont aujourd’hui pour partie définies par la loi. Les mentions portées au bulletin n° 2 du casier judiciaire constituent, bien sûr, la première référence à partir de laquelle l’autorité compétente se prononce. Du reste, l’obligation de produire un casier judiciaire vierge d’infractions à la probité est une condition d’aptitude de très nombreuses professions.

Pour accéder aux fonctions de magistrat, c’est la « bonne moralité » qui est une condition nécessaire. Elle est explicitement posée par l’article 16 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Dans une décision du 5 octobre 2012 le Conseil constitutionnel a d’ailleurs considéré cette condition d’aptitude conforme à la Constitution estimant que : « ces dispositions ont pour objet de permettre à l’autorité administrative de s’assurer que les candidats présentent les garanties nécessaires pour l’exercice des fonctions de magistrats, s’agissant en particulier du respect des devoirs qui s’attachent à leur état ».([4])

C’est dans cet esprit que les auteurs proposent de compléter les incompatibilités pour les fonctions de membres du Conseil constitutionnel en modifiant l’article 57 de la Constitution. C’est l’objet de l’article 2 de cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article 56 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Le Conseil constitutionnel comprend neuf membres, dont le mandat dure neuf ans et n’est pas renouvelable. Le Conseil constitutionnel se renouvelle par tiers tous les trois ans en s’efforçant de respecter la parité entre les femmes et les hommes. Trois des membres sont nommés par le Président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale, trois par le président du Sénat. Ses membres disposent de compétences et d’expériences reconnues en matière juridique. Trois d’entre eux doivent avoir la qualité de professeur de droit des universités ou de juge ayant exercé effectivement au moins dix ans dans les juridictions supérieures administratives ou judiciaires françaises. La procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 est applicable à ces nominations. Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l’assemblée concernée.

« Le Président est nommé par ses pairs. Il a voix prépondérante en cas de partage. »

Article 2

L’article 57 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec celles de ministre ou de membre du Parlement et avec celles d’ancien ministre ou d’ancien membre du Parlement dans un délai de dix ans suivant la fin de l’exercice de ces fonctions ou mandats. Aucune condamnation ne doit être inscrite au casier judiciaire des membres du Conseil constitutionnel. Les autres incompatibilités sont fixées par une loi organique. »

([1]) Dominique Chagnollaud de Sabouret, La Constitution de la Vème République, Dalloz 8ème édition, p.398.

([2]) Denis SALAS, La Croix, 31 mai 2017.

([3]) Ainsi, en Allemagne, les membres de la Cour constitutionnelle doivent avoir suivi la formation commune à tous les membres des professions juridiques. De même, en Espagne et en Italie, les juges constitutionnels doivent être des juristes expérimentés, tandis qu’en Pologne, ils doivent posséder la qualification requise des magistrats des juridictions suprêmes.

([4]) Cons. const., 5 oct. 2012, Mme Élisabeth B., n° 2012-278 QPC.

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Stéphane
Peu

Député de Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)
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