Propositions

Propositions de loi

Instaurer un référendum d’initiative citoyenne législatif et abrogatoire - n° 2179

Proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un référendum d’initiative citoyenne législatif et abrogatoire

présentée par Mesdames et Messieurs

Stéphane PEU, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Jean‑Paul LECOQ, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’histoire nous regarde. Elle nous regarde avec l’acuité des générations futures, elles qui jugeront cette période comme l’un des tournants politiques de ce début de siècle.

En effet, jamais au cours de ces dernières années, notre pays n’a connu une crise démocratique de cette ampleur. Celle‑ci affecte principalement la légitimité des institutions traditionnelles de la représentation. Cette crise est documentée : elle génère de la défiance, inédite par son étendue, de la part des citoyens à l’égard des élus, de l’indifférence qui se traduit par l’abstention, de l’exaspération et de la radicalisation. Pour une partie de la population, il existe un rejet à l’égard du principe même de la représentation : Nuit Debout fut en cela une première alerte, le mouvement des « gilets jaunes » a confirmé cette tendance. À l’heure où le citoyen se trouve de plus en plus éclairé — accès aux études, démocratisation du savoir —, la seule prise de décision politique n’est en elle seule plus légitime.

Cette défiance citoyenne à l’égard de la représentation politique est exacerbée par notre rigidité constitutionnelle. Voulue comme telle par ses pères fondateurs, la Ve république consacre de façon disproportionnée le parlementarisme rationalisé. Le pouvoir exécutif dispose de pouvoirs sans équivalents dans les autres régimes démocratiques. Le Parlement, dans son expression, est trop souvent contraint à suivre le rythme dicté par le Gouvernement. En outre, avec l’instauration du quinquennat présidentiel en 2000 et pour corolaire, la synchronisation du calendrier électoral, les épisodes de cohabitation sont devenus beaucoup plus hypothétiques. Cela a pour effet d’amplifier davantage la prééminence du Président de la République en accentuant « le fait majoritaire », qui veut que le président élu avec la force du suffrage universel entraîne dans son sillage la formation d’une « majorité présidentielle » à l’Assemblée nationale. Pour le pluralisme politique, le tribut est lourd à payer.

Dans ce contexte, les Françaises et les Français ont le sentiment d’être réduits au silence, tout au plus consultés à l’occasion des élections présidentielles et législatives tous les cinq ans, sans que jamais ils ne puissent de nouveau intervenir dans la vie politique nationale.

Dès lors, face au spectre d’une « démocratie sans le peuple », selon la formule consacrée par Maurice Duverger, l’avenir de notre modèle démocratique ne peut se cantonner au seul jeu de la compétition électorale.

Or c’est précisément dans cette optique que le référendum d’initiative populaire ou citoyenne s’est imposé comme l’une des principales revendications du mouvement des « gilets jaunes ». Il s’agit de rapprocher les citoyens des prises de décision en les impliquant davantage dans l’élaboration des lois afin de leur permettre de s’approprier les choix politiques.

Si aujourd’hui, notre ordre constitutionnel connaît un mécanisme de « référendum d’initiative partagée », son caractère inapplicable illustre une forme de méfiance à l’égard de l’instrument référendaire comme moyen d’expression directe du peuple.

Dix ans après l’instauration de la procédure du « référendum d’initiative partagée » (insérée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 à l’article 11 de la Constitution), des enseignements méritent d’en être tirés. Il s’agissait en soi de la consécration d’un nouveau droit politique reconnu aux citoyens. Du moins en apparence, car derrière l’avancée potentielle de la démocratie participative, la difficulté de mise en œuvre de ce référendum hybride est telle qu’en réalité, il est un droit fictif.

Formellement, ce mécanisme permet d’organiser une consultation populaire sur une proposition de loi à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement (185 députés ou sénateurs) soutenue par un dixième des électeurs (près de 4,7 millions de citoyens inscrits sur les listes électorales). Non seulement il ne s’agit pas d’une « initiative populaire » proprement dite (comme cela existe en Suisse, en Italie, en Autriche ou dans l’État de Californie), mais « l’initiative partagée » consacre le primat de la volonté des parlementaires. Le déclenchement du référendum appartient en effet aux élus et non aux citoyens  ; ces derniers n’interviennent que dans un second temps, en soutien.

En somme, toutes les conditions sont réunies pour se détourner de ce référendum et, de fait, depuis son instauration, il n’a jamais été utilisé.

Aujourd’hui, la pratique référendaire est tombée en désuétude. Néanmoins, le référendum n’en demeure pas moins un objet de démocratie directe. En ce sens, l’article 3 de la Constitution dispose que « La Souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. ».

Dans un grand nombre de démocraties, le référendum est fréquemment utilisé pour s’assurer de l’assentiment de la population dans les choix politiques qui sont effectués. En Suisse, la population helvète est amenée à se rendre régulièrement aux urnes, sans que cela entrave le bon fonctionnement du régime parlementaire. La France connaît une histoire plus conflictuelle avec l’outil référendaire. Rappelons que le dernier référendum en date remonte à plus d’une décennie. Il s’est soldé par le rejet de la « Constitution européenne » et le désaveu de la classe politique dans sa grande majorité. Cette dernière a décidé d’ignorer ce choix démocratique au grand dam de nos concitoyens. Depuis, le référendum est proscrit par les gouvernements successifs.

À rebours de cette crainte des classes dirigeantes, les députés communistes préconisent depuis plusieurs années la création d’un véritable référendum d’initiative citoyenne, afin de redonner un souffle nouveau à notre démocratie. Loin d’être un objet de concurrence de la démocratie représentative, le référendum d’initiative citoyenne peut s’avérer être un parfait complément du régime parlementaire, à condition d’en délimiter les contours.

C’est tout l’objet de l’article unique de la présente proposition de loi qui propose de modifier l’article 11 de la constitution, en remplaçant le référendum d’initiative partagée par un référendum d’initiative citoyenne législatif et abrogatoire, ceux‑ci se déroulant à l’initiative d’un million d’électeurs inscrits sur les listes électorales. Afin de se prévaloir de toutes dérives éventuelles, ce projet référendaire est assujetti à un contrôle a priori du Conseil constitutionnel, ce dernier étant chargé de collecter les signatures nécessaires et de s’assurer que les droits et les libertés fondamentaux sont respectés. Le présent article confie au Conseil économique, social et environnemental le soin d’accompagner la proposition de loi d’un avis susceptible d’éclairer le débat. Aussi, en cas d’adoption de la proposition de loi, le dispositif prévoit que le Parlement ne peut pas voter une disposition qui serait en contradiction avec le résultat d’un référendum datant de moins de dix ans.

Enfin, dans un dernier alinéa, il est renvoyé à une loi organique le soin de préciser les modalités d’application du référendum d’initiative citoyenne, notamment en matière de recueil des signatures, afin de s’assurer que les pétitionnaires émanent de l’ensemble du territoire et ne sont pas concentrés dans une région spécifique, ce qui serait alors contraire au caractère démocratique de la démarche référendaire.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

L’article 11 de la Constitution est ainsi modifié :

Les troisième à cinquième alinéa sont remplacés par cinq alinéas ainsi rédigés :

« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa ou tendant à l’abrogation d’une loi peut être organisé à l’initiative d’un million d’électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins de six mois.

« La proposition de loi fait l’objet d’un contrôle a priori du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel contrôle la régularité du recueil des signatures d’électeurs nécessaires au soutien de l’initiative et s’assure que la proposition référendaire ne porte pas atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Une proposition référendaire déclarée inconstitutionnelle ne peut être soumise à un référendum.

« La proposition de loi est accompagnée d’un avis du Conseil économique, social et environnemental.

« Avant l’expiration d’un délai de dix ans suivant la date du scrutin, tout projet de traité et tout projet ou proposition de loi contraire en totalité ou en partie au vote exprimé par le peuple français lors d’un référendum doit être approuvé par référendum.

« Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique. »

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Stéphane
Peu

Député de Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)
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le texte de la proposition

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