Propositions

Propositions de loi

PL n° 1633 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes

présentée par Mesdames et Messieurs les député-e-s :
Marie-George BUFFET, François ASENSI, Alain BOCQUET, Jean-Jacques CANDELIER, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE et Nicolas SANSU,
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les violences masculines à l’encontre des femmes ne constituent pas un problème privé. Au contraire, elles représentent le symbole le plus brutal de l’inégalité existant dans notre société. Il s’agit de violences qui sont exercées sur les femmes en raison de leur simple condition de femmes, en raison d’une prétendue infériorité, parce que leurs agresseurs considèrent qu’elles sont dépourvues des droits élémentaires de liberté, de respect, de sûreté et de capacité de décision.
Les violences à l’encontre des femmes bafouent le principe d’égalité énoncé dans le préambule de la Constitution française de 1946 et dans celui de la Constitution de 1958, qui garantit aux femmes, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes.
L’Organisation des Nations unies a reconnu, lors de la 4e conférence mondiale de Pékin en 1995 que les violences à l’encontre des femmes constituaient un obstacle dans l’atteinte des objectifs d’égalité, de développement et de paix. Celles-ci enfreignent et portent atteinte à la jouissance des droits humains et des libertés fondamentales.
Par ailleurs, elle les a définies comme une manifestation des relations de pouvoir historiquement inégales entre les femmes et les hommes.
Dans la réalité française, les violences à l’encontre des femmes font l’objet d’une plus grande prise de conscience que par le passé, grâce, en large mesure, à l’effort considérable mis en œuvre par les organisations féministes pour lutter contre toutes les formes de violences à l’encontre des femmes et organiser l’accueil, le soutien, la solidarité et l’hébergement de celles qui en sont victimes. Il s’agit moins que par le passé d’un délit ou d’un crime invisibles mais d’un méfait qui commence à susciter un rejet collectif. Il doit devenir une alarme sociale évidente.
Les pouvoirs publics ne peuvent pas être étrangers aux violences à l’encontre des femmes qui constituent une des attaques les plus flagrantes aux droits fondamentaux comme la liberté, l’égalité, la vie, la sûreté et la non-discrimination. Ils sont même tenus de prendre des mesures afin de veiller à ce que ces droits soient réels et effectifs en éliminant tous les obstacles qui empêchent ou entravent leur plénitude.
Le droit français a enregistré ces dernières décennies des progrès législatifs en matière de lutte contre les violences à l’encontre des femmes. Ces lois ont évidemment une incidence dans les sphères civiles et pénales. Mais elles sont incomplètes, notamment dans le domaine de la prévention qui est indigente, du soutien à apporter aux victimes et même en matière pénale. En outre la volonté politique de tout faire pour que ces violences s’arrêtent n’est pas toujours d’une lisibilité parfaite.
La tolérance sociale est malheureusement encore grande.
La présente loi cherche à assumer les recommandations des organismes internationaux en prenant en compte l’ensemble des violences faites aux femmes et en y apportant une réponse globale. On peut citer à cet égard : la convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (convention CEDAW) de 1979, la déclaration des Nations unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes proclamée le 20 décembre 1993 par l’Assemblée générale, les résolutions de la dernière conférence mondiale de Pékin de septembre 1995, la résolution WHA49.24 de l’assemblée mondiale de la santé qui fait de la violence le problème prioritaire de santé proclamée en 1996 par l’OMS, le rapport du Parlement européen de juillet 1997, la résolution de la commission des droits de l’homme des Nations unies de 1997 et la désignation de 1999 comme année européenne de lutte contre la violence de genre et la décision 803/2004/CE instaurant le programme Daphné II (2004-2008).
La présente proposition de loi s’appuie également sur la résolution (2004/2220 (INI)) adoptée le 2 février 2006 par le Parlement européen, et particulièrement sur ses considérants D, F, R et S, ainsi que ses recommandations, particulièrement 1.a), 1.b), 4, 19 et 20.
Le cadre de cette loi couvre aussi bien les aspects préventifs, éducatifs, sociaux, d’assistance et de suivi des victimes que les aspects législatifs civils et pénaux, les aspects procéduraux que d’organisation judiciaire. Elle établit des mesures de protection intégrale afin de prévenir, sanctionner et éradiquer ces violences. Elle se veut une réponse globale.
Il ne s’agit pas d’envisager le problème des violences à l’encontre des femmes d’une façon plus répressive, de faire encore plus de sécuritaire mais de dégager d’importants moyens humains et financiers pour réduire ces phénomènes de société.
L’article 1er du présent texte vise à donner une définition des violences à l’encontre des femmes. Il s’appuie pour cela sur l’article premier de la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1993. Il énumère ensuite ce que sont ces violences et inclut ainsi des violences non énoncées en tant que telles dans le code pénal : les mutilations sexuelles qui sont nommées en tant que telles, les crimes d’« honneur » dont nous savons maintenant qu’ils sévissent sur notre territoire, la lesbophobie qui disparaît sous le terme générique homophobie, la prostitution qui, loin d’être un métier comme l’affirment les thèses réglementaristes, est une violence dont aucun partisan du réglementarisme ne souhaite voir sa fille embrasser la carrière, la violence qui émane de l’État.
L’article 2 énonce le fait que cette proposition de loi a un caractère global de prévention afin de faire disparaître les violences, et de soutien auprès des victimes.
Plans de sensibilisation, prévention, formation, détection des situations de violences faites aux femmes
La lutte contre les violences faites aux femmes doit devenir un impératif national. À l’heure où toutes les oppressions, toutes les discriminations sont remises en cause, il est consternant de constater que par exemple, selon l’Enveff, seules 8 % des victimes de viol de 20 à 59 ans osent porter plainte. Même, si ces dernières décennies s’est déchiré le voile du silence concernant ces violences à l’encontre des femmes, grâce aux luttes des féministes qui nous ont bousculés, elles jouissent encore d’une certaine tolérance sociale et les victimes se réfugient paradoxalement dans la honte et la culpabilité. Il est nécessaire que notre pays rattrape son retard en la matière, retard indigne du pays des droits de l’Homme.
C’est dans cet esprit que l’article 3 ajoute un chapitre VIII au titre Ier du livre Ier du code de l’action sociale et des familles afin que la lutte contre les violences faites aux femmes soit hissée au même niveau d’importance que « la lutte contre la pauvreté et les exclusions » ou les « personnes handicapées ».
Pour combler notre retard les pouvoirs publics devront lancer au plus vite un vaste plan d’urgence d’information, de sensibilisation, et de formation pour les professionnels qui insistera sur les valeurs d’égalité hommes femmes et qui devra prendre en compte la façon de s’adresser à tous les publics. Ce plan sera contrôlé par une commission indépendante.
Des campagnes allant dans le même sens seront par la suite pérennisées car en matière de prévention, de sensibilisation et de formation, l’expérience prouve qu’il ne faut jamais relâcher ses efforts.
Ces campagnes concernent aussi les femmes en situation prostitutionnelle. En effet, la France qui a signé le protocole de Palerme et vient de réaffirmer le 6 décembre 2011 sa position abolitionniste par le vote d’une résolution unanime à l’Assemblée nationale ne respecte pas ses engagements. Elle alloue des moyens insuffisants pour lutter contre la traite des femmes et des enfants et contre les réseaux proxénètes. La situation est d’ailleurs paradoxale, de tolérance voire de complaisance pour les uns, et de punition pour les autres, victimes du système prostitutionnel (article 225-10-1 du code pénal réprimant le racolage, y compris passif). La prostitution est une violence qui doit être traitée comme toutes les autres violences, elle nécessite un effort de sensibilisation orienté vers tout acheteur potentiel de service sexuel et vers toute demande, ce qui, jusqu’ici, n’a été fait par aucune politique nationale. La pénalisation du client de la prostitution est un moyen pédagogique d’atteindre cet objectif.
La sensibilisation et la formation dans le domaine éducatif
La prévention par l’éducation, pour modifier les comportements sociaux
C’est dès le plus jeune âge que les petites filles et les petits garçons doivent être formés aux valeurs de respect mutuel et d’égalité entre les sexes. La loi actuelle a bien intégré la notion de mixité et d’égalité mais il ne suffit pas de les « favoriser ». Bien plus, ne peut-on pas dire que jusqu’à maintenant le système éducatif a échoué dans sa volonté de mixité ? Les chiffres de l’orientation sexuée en sont, par exemple, une démonstration flagrante.
Ou les violences contre les filles qui parfois sont perpétrées au sein même des établissements scolaires. Il faut donc redoubler d’efforts. Le système éducatif doit vraiment viser à atteindre ces principes de respect mutuel et d’égalité des sexes. L’article 4 le réaffirme avec force.
L’article 5 promeut l’égalité entre les hommes et les femmes comme une priorité nationale. Pour s’en donner les moyens, dans tous les lieux de formation, des enseignements obligatoires et comptant pour l’évaluation seront dispensés de façon hebdomadaire. Les programmes seront élaborés en collaboration entre les acteurs de l’Éducation nationale et les actrices de la lutte pour les droits des femmes, au niveau institutionnel comme associatif.
Ceci apparaît comme la seule solution pour atteindre cet objectif. Une ou deux séances annuelles sont vite oubliées, ne traitent pas les choses en profondeur et ne marquent pas les esprits. L’égalité hommes femmes doit devenir une chose naturelle, coulant de source comme l’apprentissage de la lecture ou des quatre opérations. Le changement des mentalités commence par une véritable révolution éducative.
Depuis bien des années les mouvements féministes réclament l’élimination des stéréotypes sexistes des manuels et autres matériels scolaires. Effectivement il arrive que les manuels scolaires donnent encore une image traditionnelle et même caricaturale du rôle des femmes dans la famille. Maman à la cuisine et papa devant la télévision sur le canapé. Ces représentations vont à l’encontre des principes énoncés à l’article 5.
En outre, les couples sont toujours composés d’un homme et d’une femme alors que, de plus en plus, d’autres modèles, d’autres compositions émergent. Le nombre de familles monoparentales ne cesse de s’accroître, de même que les familles homoparentales. Nos enfants ne vivent pas en dehors de notre temps, en dehors de la réalité actuelle. L’article 6 vise donc à éliminer tous ces stéréotypes.
L’article 7 inclut les principes de l’éducation non sexiste développés dans l’article 5 dans le code de l’éducation.
Les enfants de femmes victimes de violences quittent le plus souvent le domicile avec leur mère. Si cela les protège d’être affectés par les traumatismes d’un climat familial pesant et destructeur, ils ne doivent pour autant subir les méfaits d’une déscolarisation temporaire qui porterait préjudice à leur future insertion sociale et professionnelle. L’article 8 prévoit cet inconvénient et répond à l’obligation scolaire. C’est en effet par une rescolarisation immédiate et dans des sections similaires ou connexes qu’ils seront le moins pénalisés et déstabilisés. Les autorités rectorales et départementales sont les garantes de cette rescolarisation.
Les futures Écoles Supérieure du Professorat et de l’Éducation sont chargées de la formation de nos professeurs.
L’enseignement sur les principes d’égalité hommes femmes et sur la lutte contre les violences n’étaient en général pas inscrits dans les programmes de formation des IUFM au même titre que les mathématiques ou le français. Leur enseignement est laissé à l’initiative des bonnes volontés individuelles, ce qui signifie que bien souvent il n’est pas assuré. À l’heure où, de plus en plus, nos enseignants sont investis d’une multiplicité de tâches éducatives, ceci n’est plus possible.
L’article 9 prévoit donc les mesures qui s’imposent dans la formation initiale des professeurs.
Les articles 10 et 11 prévoient d’adjoindre obligatoirement dans les Conseils d’administration des collèges et des lycées une personne au moins qualifiée dans le domaine de l’égalité hommes femmes et dans celui des violences à l’encontre des femmes. Celle-ci sera personne ressource et garante des mesures prises obligatoirement au sein des établissements scolaires pour viser à l’égalité réelle et détecter les violences à l’encontre des filles.
L’article 12 fait de même au sein des Conseils d’administration des universités qui se voient, entre autres, attribuer le rôle d’encourager la recherche sur l’égalité hommes femmes et la lutte contre les violences à l’encontre des femmes.
L’article 13 vise à modifier la composition du Conseil supérieur de l’éducation. Il y adjoint des représentant-es institutionnel-les et associatives qui auront pour rôle d’impulser au sein de cette structure la volonté de défendre les droits des femmes et de lutter contre les violences.
Pour clore ce chapitre sur le domaine éducatif, l’article 14 confie à l’Inspection générale le soin de prendre en compte et de vérifier l’application de cet ensemble de mesures.
La publicité et les autres moyens de communication
Ce chapitre concerne à la fois les contenus diffusés par les médias et la publicité, qu’elle soit présente dans ou hors des supports médiatiques.
Ce chapitre étend les possibilités de saisine par les associations, il intègre la lutte contre les contenus sexistes aux compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel, et complète les dispositifs de contrôle administratif des contenus audiovisuels.
Des rapports ont déjà été rendus sur l’image des femmes dans la publicité et les médias. Le dernier en date est celui de Michèle Reiser. Cette image pose effectivement problème, car en associant un corps de femme à un produit on en fait un objet, et en associant délibérément désir sexuel et consommation – qui est un acte unilatéral –, on sape le principe du consentement à l’acte sexuel. La publicité, à laquelle toute personne est exposée plusieurs centaines de fois par jour dans l’espace public et les médias, est un des vecteurs des représentations sexistes qui entretiennent la domination masculine et banalisent les violences à l’encontre des femmes. Une véritable prévention des violences ne peut se dispenser d’une attention accrue à la lutte contre les images sexistes, notamment dans la publicité.
La violence de certains films pornographiques pose un problème différent. Certaines images relèvent sans conteste des atteintes à la personne définies par le code pénal, et de l’article 24 de la loi sur la liberté de la presse réprimant l’incitation à la violence. Il n’est donc question ici ni de créer de nouvelles infractions, ni d’alourdir les peines existantes. Mais on se doit de constater que certains matériels, en particulier les DVD pornographiques, échappent à tout regard administratif sur leur contenu.
Alors que les films reçoivent un visa préalable à leur exploitation cinématographique, et que le CSA contrôle les programmes audiovisuels, les films pour adultes, y compris ceux présentant une violence sexiste extrême, sont commercialisés sans aucun contrôle du contenu. Certains de ces films font explicitement l’apologie des violences conjugales, voire du viol, et en tirent leur argument commercial, comme en attestent des intitulés de rayonnages de magasins spécialisés (sex-shops). La création d’une autorité administrative permettra un contrôle a posteriori, afin d’éviter de laisser se développer une production reposant sur l’incitation à la violence contre les femmes.
Description des articles
Articles 15 à 17 : publicité sexiste
L’article 15 ajoute à l’article 121-7 du code de la consommation un 121-7 bis qui crée et définit une nouvelle catégorie de publicités illicites présentant les femmes de manière attentatoire à la dignité.
Les articles 16 et 17 qui modifient respectivement les articles 421-1 et 421-2 du code de la consommation, prévoient les sanctions et les modalités par lesquelles les associations de défense des droits des femmes peuvent s’y associer.
Articles 18 à 19 : Conseil supérieur de l’audiovisuel
L’article 18 qui modifie l’article 15 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, précise la compétence du Conseil supérieur de l’audiovisuel, en définissant les programmes à caractère sexiste, dégradants et attentatoires à la dignité des femmes.
Cet article ajoute que la lutte contre les programmes sexistes deviendra partie intégrante du cahier des charges des diffuseurs. En cas de non-respect de cette clause contractuelle, le CSA pourra faire usage de son pouvoir de sanction.
Article 19 : Création d’une autorité administrative indépendante sur les contenus pornographiques.
L’article 25 crée une nouvelle autorité administrative indépendante. Remplaçant une commission administrative du ministère de l’intérieur communément appelée « commission des DVD », l’autorité ainsi créée a pour mission de compléter les dispositifs administratifs de vérification de contenus audiovisuels mis à disposition du public (CSA, commission de classification des œuvres cinématographiques du Centre national de la cinématographie).
L’autorité ainsi créée visionne les contenus, notamment les DVD, qui ne sont pas du ressort du contrôle des deux organismes précédemment cités. Elle vérifie, après leur commercialisation, leur conformité à la législation en vigueur. En cas d’infraction, elle a le pouvoir de suspendre la commercialisation, et doit faire état de ses constatations à la justice, qui pourra le cas échéant engager des poursuites.
La composition, les modalités de nomination et de fonctionnement, les moyens, sont renvoyées à un décret en Conseil d’État, procédure déjà utilisée par la loi n° 2006-396 (aux articles 38 et 39) pour la création de l’ANCSEC.
Chapitre III
Cadre sanitaire et social
Détection, politique de santé, action sociale
Les femmes victimes de violences, en raison des sentiments de honte, de culpabilité, se réfugient souvent dans le silence. Elles dénoncent difficilement l’agresseur. Traumatisées, elles souffrent de crises d’angoisse, de cauchemars récurrents, de dépression. Les troubles psychologiques, psychosomatiques sont nombreux. La souffrance physique est aussi souvent présente. Les violences causent de lourds préjudices à la santé des femmes. Le rapport Henrion de février 2001 révèle l’importance des séquelles traumatologiques, insiste sur les risques sur la santé mentale.
Ces femmes ont besoin de l’intervention des professionnels de santé qui doivent être en mesure de repérer leur difficulté à vivre et à mettre en mots leurs émotions. Ceux-ci se trouvent cependant encore souvent démunis devant ce type de public.
Il est nécessaire dans ce contexte d’impulser une politique résolue et systématique en termes de santé publique.
L’article L. 1411-1 du code de la santé publique détermine les éléments de la politique de santé publique.
L’article 20 de la présente loi ajoute à la liste existante la prévention et l’ensemble des moyens mis en œuvre en cas de violence à l’encontre des femmes. Le dépistage systématique est difficile et complexe. Tous les acteurs sociaux et sanitaires qui rencontrent les populations féminines doivent recevoir la formation adéquate, initiale et continue, pour pouvoir détecter un ensemble de symptômes qui laisse présumer une situation de violence. La formation doit porter aussi sur l’accompagnement de la reconstruction. Des sessions multidisciplinaires régulièrement organisées permettront aux différents acteurs de définir des politiques d’intervention communes afin de rendre plus efficaces leurs actions.
C’est le sens de l’article 21.
L’article 22 reprend dans le code de l’éducation les dispositions de l’article 22, les rend obligatoires et soumises à évaluation.
L’article L. 1431-2 du code de la santé publique traite du rôle des agences régionales de santé qui doivent décliner au niveau régional la politique de santé publique. L’article 23 ajoute à la liste des missions prévues, celle de la prévention des violences, du dépistage, et de l’accompagnement vers la reconstruction de celles qui en sont victimes. De même, concernant « l’offre de services de santé », il stipule que l’ARS doit veiller à leur garantir l’accès aux soins et aux services psychosociaux.
Le projet régional de santé, dont il est question à l’article L. 1434-2 du code de la santé publique doit prévoir un programme relatif à l’accès à la prévention et aux soins des femmes victimes de violences.
Ce sont la Direction générale de la santé et celle de l’action sociale qui devront au plus haut niveau impulser les politiques liées à la lutte contre les violences à l’encontre des femmes. Pour ce faire, elles constitueront une Commission multipartite qui aura un rôle de planification, d’évaluation et de proposition.
Cette commission devra rendre compte annuellement du travail accompli auprès de l’Observatoire de l’État de la violence à l’encontre des femmes et au Secrétaire d’État du gouvernement de la violence à l’encontre des femmes. C’est le sens de l’article 24.
Titre II. Droits des femmes victimes de violences
Fragilisées, atteintes dans leur intégrité, toutes les femmes victimes de violences doivent jouir de droits garantis propres à favoriser un espoir de reconstruction, un véritable retour vers une totale autonomie.
Les dispositions en vue de prévenir les violences contre les femmes et de renforcer les droits des victimes concernent toutes les femmes sans discriminations, quelle que soit leur nationalité, leur situation sociale ou professionnelle, leur âge, leur orientation sexuelle, leur handicap, leur milieu culturel ou socioculturel.
S’agissant des femmes de nationalité étrangère, les droits doivent être garantis indépendamment de leur situation administrative au regard des lois régissant le séjour des personnes étrangères en France. Toutes les femmes victimes de violences doivent pouvoir déposer plainte au commissariat, à la gendarmerie ou auprès du procureur de la République sans craindre une mesure d’éloignement du territoire français. Trop de femmes encore se terrent dans leur souffrance et leur désespoir par peur de se voir imposer une reconduite à la frontière.
En outre, une femme victime de violences s’est vue privée de nombre de ses droits à l’intégrité physique et morale, à la liberté, à la sûreté, à l’égalité. Diverses mesures sont prévues ici pour tenter d’y remédier.
Les femmes victimes de violences, pour avoir accès aux droits, au soutien, aux ressources, à la possibilité de reconstruction totale dont elles peuvent bénéficier, ont besoin d’une information exhaustive sur les possibilités qui s’offrent à elles. Les administrations ont pour mission de répondre au plus près de cette demande car certaines n’ont aucun moyen de s’informer et cela devient très vite un parcours de la combattante ! Il sera mis donc un soin particulier à offrir une information accessible aux femmes souffrant de handicap et à celles qui présentent des difficultés spécifiques à avoir l’accès à l’information comme les femmes en situation d’exclusion sociale par exemple. L’article 25 prend en compte l’ensemble de cette problématique.
L’article L. 322-3 du code de la sécurité sociale donne une liste de situations limitant ou supprimant la participation de l’assuré au tarif servant de base au calcul des prestations. L’article 26 étend ce droit aux femmes victimes de violences. En effet les violences subies ont de lourdes conséquences sur leur équilibre physique et mental, sur leur état de santé général. L’OMS le chiffre en années de vie en bonne santé perdues. Ces femmes doivent pouvoir ainsi bénéficier de la solidarité de la communauté nationale pour pouvoir avoir accès aux soins. A fortiori les plus démunies, les titulaires de l’AME et de la CMU, sont aussi concernées.
L’article 27 ajoute au chapitre VIII du titre Ier du livre Ier du code de l’action sociale et des familles des articles qui définissent les prestations en direction des victimes et l’organisation des services.
Les articles L. 118-5 et L. 118-6 définissent les prestations pluridisciplinaires dont les femmes victimes de violences peuvent bénéficier.
L’article L. 118-5 insiste sur l’urgence, la permanence et la durabilité de ces services qui sont en outre spécialisés. En effet, pour se reconstruire une femme victime de violences a besoin de temps, d’empathie, d’une écoute attentive et compétente.
L’article L. 118-6 énumère les services offerts en terme de soutien aux femmes victimes. Ces services sont divers et sont en concordance avec les conséquences occasionnées par les violences sur les victimes.
L’article L. 118-7 insiste sur l’organisation interne des différents services afin de garantir leur efficacité. Il fixe aussi la coordination nécessaire, le travail en coopération entre les différents services. Ceux-ci pourront faire appel au juge en urgence avec l’accord explicite et écrit de la victime.
L’article L. 118-8 stipule que les mineurs qui vivent avec la victime bénéficieront aussi de l’intervention des services sociaux. Ceux-ci sont la plupart du temps très affectés par des violences dont ils peuvent être les témoins. Le personnel intervenant sera d’expérience et spécialement formé dans ce sens.
L’article L. 118-9 prévoit le financement par l’État auprès des régions et départements des prestations de services précédemment évoquées.
Le titre IV du livre III du code de l’action sociale et des familles traite des dispositions spécifiques à certaines catégories d’établissements. Il apparaît nécessaire d’ajouter un chapitre IX intitulé : « Création de structures permettant la reconstruction intégrale des femmes victimes de violences ». C’est le sens de l’article 28.
Il existe bien sûr à l’heure actuelle des centres qui ont pour mission l’accueil et l’hébergement des femmes victimes de violences, souvent animés par des associations féministes remplissant ainsi des missions de service public, qui rendent des services considérables. Mais il existe aussi des départements dépourvus totalement de ces centres par exemple dans l’un des départements de la région parisienne. Les femmes de ce département n’ont aucun moyen de quitter le domicile conjugal et de recevoir une aide auprès de personnels qualifiés. C’est pour cette raison qu’il faut inscrire la création de ces centres dans la loi.
Ceux-ci s’organiseront selon trois modalités pour répondre aux besoins des femmes victimes de violences.
1. Un service d’accueil, d’urgence où les femmes pourront trouver une première aide et pourquoi pas prendre un café dans un endroit convivial et chaleureux. Ces centres assureront un hébergement d’urgence.
2. Un centre de court séjour où les femmes pourront être hébergées avec leurs enfants. Elles pourront trouver une aide plus substantielle, notamment en matière de recherche de logement et le cas échéant d’emploi. Une aide psychologique, en thérapie individuelle ou en groupe de parole, leur sera proposée.
3. Pour les femmes qui en manifesteront le souhait, peut-être pour les plus fragilisées, il sera possible de séjourner avec leurs enfants dans un centre de moyen et long séjour afin de bénéficier d’un accompagnement conséquent dans le but d’une reconstruction intégrale.
Ces centres offriront des prestations spécialisées gratuites. Ils comprendront du personnel qualifié et formé qui travaillera en équipe interdisciplinaire. Ils recevront un financement multipartenarial. Il y aura dans chaque département au moins un type de chacun de ces centres. Leur nombre réel dépendra de la population du département.
Les articles L. 348-1, L. 348-2 et L. 348-3 décrivent ces centres.
L’article 29 permet aux jeunes majeurs de moins de 21 ans menacés de mariage forcé ou arrangé de pouvoir bénéficier d’un contrat jeune majeur auprès de l’Aide sociale à l’enfance sans avoir bénéficié de ses services antérieurement. Ce contrat leur permettra par exemple de financer des études.
L’article 9-2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique permet de ne pas exiger de condition de ressources pour les victimes d’atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne. L’article 30 de la présente loi étend cette mesure aux femmes victimes de violences délictuelles. En effet, même s’ils ne sont qualifiés que de délits, les femmes ressentent la plupart du temps un profond traumatisme après un harcèlement sexuel au travail ou une agression sexuelle autre que le viol qui est criminelle. Si elles engagent une procédure, elles ne comprennent pas pourquoi il leur faut payer un avocat et une consignation de partie civile. La solidarité de la communauté nationale doit s’exprimer aussi pour ces femmes-là.
L’article 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifié par la loi du 9 juillet 2010, accorde l’aide juridictionnelle aux personnes étrangères victimes de violences, sans condition de régularité de séjour en France, si elles bénéficient d’une ordonnance de protection. Or cette ordonnance ne peut être délivrée qu’aux personnes victimes de violences conjugales ou menacées de mariage forcé. L’article 31 accorde l’aide juridictionnelle aux femmes étrangères victimes de toutes violences spécifiques sans condition de régularité de séjour en France. Elles peuvent toutes être en situation très précaire économiquement et menacées de tomber totalement dans une situation d’exclusion sociale.
L’article 706-3 du code de procédure pénale prévoit un recours en indemnité pour certaines victimes de dommages à la suite d’une infraction. Il permet, pour les infractions concernées d’obtenir, sans aucune condition de ressources une compensation intégrale des dommages subis. L’article 32 intègre dans le domaine de cette indemnisation possible les infractions au sein du couple : de meurtre (221-1), d’assassinat (221-3), de tortures et actes de barbarie avec circonstances aggravantes (222-3), de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner avec circonstances aggravantes (222-8), de violences entraînant une mutilation ou une infirmité permanente avec circonstances aggravantes (222-10), de violences entraînant une ITT de plus de huit jours avec circonstances aggravantes (222-12), de violences entraînant une ITT inférieure à huit jours ou aucune ITT (222-13), d’administration de substances nuisibles (222-15), d’appels téléphoniques malveillants (222-16), de menaces de commettre un crime ou un délit (222-17, 222-18), le fait d’exposer autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente (223-1), le fait d’entraver volontairement l’arrivée de secours (223-5), et le fait d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne (224-1).
L’article 33 prévoit que les avocats bénéficieront d’une formation spécialisée sur l’aide juridictionnelle avec une formation spécifique sur les violences faites aux femmes.
L’article 34 prévoit que chaque barreau organisera une permanence hebdomadaire spécialisée sur les violences à l’encontre des femmes.
Droit d’asile, droits des femmes étrangères victimes de violences conjugales
Dans de nombreux pays, des femmes peuvent craindre ou subir des persécutions en raison de leur appartenance au groupe social des femmes (comme exemples de persécutions spécifiques, citons les mariages forcés, les viols dans un conflit guerrier, les mutilations sexuelles, les crimes « d’honneur », certaines formes d’esclavage, la prostitution) ; des femmes peuvent aussi être persécutées ou craindre de l’être en raison de leur engagement pour les droits des femmes, ou pour avoir refusé certaines coutumes lois ou pratiques discriminatoires à l’encontre des femmes, ou encore pour leurs choix de vie ou leur orientation sexuelle. Ces persécutions sont exercées par les autorités de leur pays, ou par des acteurs non étatiques, y compris leur famille, leur voisinage, des groupes politiques ou religieux, et leur État ne veut ou ne peut les en protéger.
L’article 35 vise à rendre le droit d’asile plus effectif pour les femmes en intégrant les persécutions visant plus spécifiquement les femmes dans le champ d’application de la convention de Genève.
Les femmes étrangères pouvant se voir délivrer un titre de séjour en raison de leur mariage avec un Français ou venues rejoindre leur conjoint dans le cadre du regroupement familial se trouvent en situation de dépendance.
Une disposition introduite dans les articles 313-12 et 431-2 du CESEDA permet depuis 2003 à l’autorité administrative de renouveler leur titre de séjour si la rupture de la communauté de vie est due à des violences conjugales.
Les articles 36 et 37 de cette proposition de loi obligent dans ces circonstances l’autorité administrative à renouveler ce titre.
L’article 40 concerne les dispositions générales et l’article 41 les conjointes d’étrangers entrées par le regroupement familial.
L’article 38 dispose que ces mesures bénéficieront aux ressortissantes algériennes sans qu’il soit nécessaire de renégocier les accords bilatéraux régissant l’entrée et le séjour des Algériens en France.
L’article 39 dispose que lorsqu’une condamnation définitive est prononcée contre un auteur de violences conjugales, une carte de résident est délivrée automatiquement à la personne victime qui a déposé plainte. En effet, la loi du 9 juillet 2010 accorde automatiquement une carte de séjour temporaire à la personne bénéficiaire d’une ordonnance de protection et non une carte de résident quand un auteur de violences est définitivement sanctionné par le tribunal.
Des femmes de nationalité étrangère mais résidant en France peuvent être victimes de violences dans le pays dont elles ont la nationalité, par exemple empêchées par leur famille de regagner la France, menacées de mariages forcés ou de mutilation sexuelle. Il peut en être de même pour des femmes ayant une double nationalité qui ne peuvent dans leur pays d’origine se réclamer de la nationalité française. L’article 40 vise à étendre à ces femmes l’assistance des consulats de France à l’étranger, auprès de qui elles trouveront une aide d’urgence et un soutien juridique et administratif.
L’article 41 a pour but de permettre l’accès à l’information et aux droits aux femmes étrangères ou binationales résidant en France en ce qui concerne le droit international privé et les interférences entre la loi française et la loi du pays d’origine. Ces femmes peuvent vivre en effet des situations de violences en raison de l’existence dans certains pays de lois discriminatoires en matière familiale. Des recours juridiques existent mais les démarches sont complexes. L’article 47 vise à apporter aux femmes concernées un appui spécifique.
Chapitre III
Prestations sociales et droit au logement
C’est un fait largement établi maintenant : les femmes sont les premières touchées par la précarité, premières touchées par le chômage, premières touchées par le travail à temps partiel imposé. Ce sont les plus pauvres puisqu’elles touchent en moyenne 27 % de moins que leurs collègues masculins. La situation se dégrade encore lorsqu’elles sont victimes de violences.
L’article 42 prévoit de verser des aides sociales aux femmes victimes de violences les plus démunies qui n’ont pas d’emploi, un faible niveau de formation générale, un âge déjà avancé et dont on peut présumer qu’elles auront du mal à participer aux programmes d’emploi prévus pour l’insertion professionnelle.
L’aide sera versée en une seule fois et équivaudra à six mois de salaire. Elle sera doublée si la femme souffre d’un handicap égal ou supérieur à 33 % d’invalidité.
Ces allocations seront financées par les budgets généraux de l’État. Pôle emploi devra faire un rapport stipulant que la femme ne tirera pas de bénéfice quant à son « employabilité » de l’application du programme d’emploi. La situation de violence sera attestée par l’ordonnance de protection.
Si la victime a des responsabilités familiales, l’aide pourra atteindre 18 ou 24 mois de salaire si l’un des membres de la famille cohabitante souffre d’une incapacité égale ou supérieure à 33 %.
Les femmes victimes de violences seront considérées comme prioritaires dans l’accès aux logements sociaux et aux maisons de retraite publiques.
Bien souvent le problème du logement se pose avec acuité dans les situations de violences à l’encontre des femmes, quelles qu’elles soient. Une insistance particulière devra être mise sur cet aspect-là. De la jeune fille menacée de mariage forcé qui est contrainte de quitter sa famille, à la femme victime de violences conjugales qui n’en peut plus de rester sous le même toit que son conjoint frappeur et harceleur, le problème du logement est omniprésent. Il se pose avec une urgence tout à fait particulière pour les jeunes filles victimes de viols en réunion, qui ont porté plainte et qui sont menacées de représailles dans leur quartier. Le relogement s’opérera alors sans délai.
Afin d’éviter que ce soit à la femme victime de violences conjugales et à ses enfants de devoir gérer toutes les conséquences des violences conjugales, ce qui tout de même constitue un paradoxe pour le moins étonnant, la femme non-signataire du bail qui le souhaite pourra garder le domicile jusqu’à son relogement.
Droits du travail et prestations de la Sécurité sociale
Les violences que subissent les femmes ont des répercussions sur l’ensemble de leur vie, notamment sur leur emploi salarié, quand elles en ont un. Souvent en prise à des graves difficultés psychologiques, elles ont parfois du mal à remplir leurs obligations professionnelles en terme de présence continue au sein de l’entreprise. Les violences sont une entrave au bon déroulement du contrat de travail. Ou, présentant physiquement des ecchymoses, des séquelles de coups, elles ont peur de se présenter devant leurs collègues. Ou alors, elles cherchent en changeant de ville ou de région, à fuir leur conjoint violent.
Les problèmes sont aussi aigus quand les violences sont perpétrées au sein de l’entreprise elle-même.
L’article 43 prend en compte cet état de fait : il réaménage le temps et l’espace de travail, et prend l’avis du médecin du travail. Il prévoit de surcroît la suppression du préavis en cas de démission et le retour dans l’emploi occupé au moment où il y a eu suspension du contrat de travail pour raison de violences.
L’article 44 indique que les femmes victimes de violences qui suspendent leur contrat de travail ou démissionnent auront droit aux indemnités de chômage. Cette période sera considérée comme une période de cotisation garantissant les droits sociaux.
Un droit à la démission légitime a été reconnu par les partenaires sociaux pour les femmes victimes de violences conjugales et l’Unedic l’a inscrit comme nouvel élément de protection. Ce droit doit être étendu à toutes les femmes victimes de violences.
L’article 45 protège les femmes contre d’éventuelles sanctions liées à des absences répétées ou à des horaires non respectés. La décision est prise par les administrations compétentes et l’employeur est informé dans les plus brefs délais. Ces absences sont dûment rémunérées, grâce à l’allocation journalière de l’article L. 333-1 du code de la sécurité sociale et d’un complément à la charge de l’employeur. Sont concernées aussi par cet article les travailleuses à domicile, les travailleuses saisonnières, les travailleuses sous contrat intermittent et les travailleuses temporaires, dès leur premier jour d’activité, sans condition d’ancienneté ou de volume horaire effectué. Les travailleuses indépendantes, qui cesseront leur activité à la suite de violences, seront exemptées de l’obligation de cotiser pendant six mois, sans perdre le bénéfice de leurs prestations et verront leur situation assimilée à celle d’une travailleuse active.
Le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, abrogeait la loi sur le harcèlement sexuel qui datait de 1992. Depuis longtemps déjà, les féministes réclamaient un changement de loi, celle-ci comportant une définition relevant de la tautologie (harceler = « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ») et ne permettant donc que très difficilement de dénoncer ces faits en justice. En outre, elle n’était pas du tout conforme à la Directive européenne de 2002 que la France avait toujours refusé de transposer dans le droit national. Il a fallu attendre qu’un ancien Secrétaire d’État, lui-même condamné pour des faits de harcèlement sexuel, dépose une QPC pour que le Conseil constitutionnel s’aperçoive que « les éléments constitutifs de l’infraction (n’étaient pas) suffisamment définis ». Une nouvelle loi a donc été promulguée le 6 août 2012. Bien qu’élaborée en concertation avec les mouvements féministes, et notamment l’AVFT, leurs revendications et leurs propositions de rédaction ne furent pas totalement prises en compte. Cette loi demeure donc insuffisante.
La création de deux situations distinctes n’est pas conforme à la Directive européenne.
De par le 1er alinéa, un acte unique qui porte atteinte à la dignité ou créé une situation intimidante, hostile ou offensante, ne peut être réprimé.
Le 2ème alinéa impose que le but soit « d’obtenir un acte de nature sexuelle ». Or, comme le dit l’AVFT sur son site le 24 juillet 2012 :
« Par conséquent, un employeur qui conditionnerait une promotion ou une embauche à ce qu’une salariée “passe une soirée avec lui” contre son gré ou qu’elle regarde un film pornographique avec lui ou l’accompagne dans un bar à strip-tease ne tomberait pas sous le coup de la loi car il ne s’agirait pas à proprement parler d’un “acte de nature sexuelle”. Or il est évident que la “contrepartie” attendue par le harceleur ne prend quasiment jamais la forme, de but en blanc de : “je t’embauche si tu couches”. »
Ce 2ème alinéa viendra aussi trouver sa place toute naturelle dans la chaîne des déqualifications qui est un mode plus qu’habituel de traitement des violences sexuelles en France : de viol, on passe à agression sexuelle, d’agression sexuelle à harcèlement sexuel et de harcèlement sexuel à harcèlement moral. Ce sont évidemment les victimes qui subissent les conséquences de cet état de fait puisque le préjudice réellement subi n’est que rarement reconnu.
L’article 46 reprend donc la 4ème proposition de loi de l’AVFT.
L’article 47 vise à modifier l’article L. 1153-5 du code du travail.
Dans la loi actuelle, il n’est exigé du chef d’entreprise aucune obligation de résultat. Le chef d’entreprise pourra avoir sa propre interprétation des « dispositions nécessaires ». Il apparaît plus efficace d’expliciter ces dispositions en terme de prévention, sanction, information des salarié-e-s, mise en place de procédures d’enquête et de mesures conservatoires.
En outre, dans la loi actuelle, seule la prévention est visée. La responsabilité de l’employeur doit être engagée pour mettre fin aux agissements visés par les articles L. 1153-3 et L. 1153-4 et/ou sanctionner leur auteur.
La loi actuelle ne prévoit pour le Comité d’hygiène et de sécurité qu’une proposition d’action de prévention en matière de harcèlement moral et sexuel. Cette prévention est rendue obligatoire pour s’assurer de son effectivité par l’article 48 en matière de harcèlement moral, de harcèlement sexuel et plus globalement de violences faites aux femmes ».
L’article 49 donne aux médecins du travail la mission « d’éviter toute altération de la santé des travailleurs » non seulement du fait de leur travail mais aussi des violences subies par des femmes dans ou hors l’entreprise.
Le médecin du travail est parfois le seul médecin qu’une femme victime de violences va rencontrer. Il est donc important qu’il puisse intervenir sur l’état de santé des femmes dans ce type de situations.
Dans le même ordre d’idées, l’article 50 autorise le médecin du travail à préconiser des mesures individuelles telles qu’une mutation ou une transformation de poste en raison des violences subies par les femmes dans ou hors l’entreprise.
L’article 51 prévoit que, à l’instar des autres professionnels de santé (articles 27 et 28 de la présente loi), les médecins du travail recevront une formation spécifique, initiale et continue, leur permettant de dépister les femmes victimes de violences par le biais des symptômes présentés.
L’article 52 prévoit que le contenu de la formation, initiale et continue, relative au harcèlement sexuel et plus largement à l’ensemble des violences faites aux femmes, des inspecteurs, contrôleurs et médecins du travail sera fixé par décret.
Droits des fonctionnaires
Le chapitre V concerne les droits des fonctionnaires qui sont similaires à ceux des employés des établissements privés. Il est donc nécessaire de modifier le statut général des fonctionnaires des trois fonctions publiques : d’État, territoriale et hospitalière.
L’article 53 qui modifie l’article 6 bis du titre Ier du statut général des fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales fixe le cadre des droits : même si aucune distinction ne peut être faite en raison du sexe des fonctionnaires, il faut tenir compte que les victimes de violences sont en majorité des femmes. En conséquence, aucune fonctionnaire ne pourra être sanctionnée du fait d’avoir eu à subir ou de subir dans le cadre de son travail les conséquences physiques et/ou psychologiques, motivant des difficultés de toutes natures consécutives aux violences exercées à son encontre. Le rapport présenté devant le Conseil commun de la fonction publique par le Gouvernement sur les mesures mises en œuvre pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mentionnera la prise en compte des violences subies par les femmes au travail ou à l’extérieur.
Les articles 54, 55, 56 fixent dans les titres II, III et IV du statut général des fonctionnaires les règles de mutation prioritaire pour les femmes victimes de violences qui sont contraintes d’abandonner leur poste pour se protéger ou assurer leur reconstruction.
Les articles 57, 58, 59 prévoient dans les titres II, III et IV du statut général des fonctionnaires des aménagements ou réductions d’horaires ou des réorganisations du temps de travail, à leur demande, pour les femmes victimes de violences ou ayant été victimes de violences.
Les articles 60, 61, 62 prévoient dans les titres II, III et IV du statut général des fonctionnaires que les femmes victimes de violences qui ont demandé, pour se protéger ou assurer leur reconstruction, une situation de mise en disponibilité pourront bénéficier du maintien de leur poste, du maintien de leurs droits à la retraite et à l’avancement durant les six premiers mois.
L’article 63 prévoit que, comme pour les établissements privés, la validation des droits prévus aux articles 53 à 62 du présent chapitre se fera grâce à l’émission de l’ordonnance de protection (article 45 de la présente loi). Celle-ci attestera que la victime a entrepris des démarches afin de faire évoluer sa situation. Avant l’émission de l’ordonnance de protection un rapport du ministère public pourra exceptionnellement faire foi.
Chapitre VI
Droit des personnes prostituées et droit des personnes
en but à l’esclavage moderne
Le 13 avril 2011, la Mission d’information sur la prostitution en France présidée par la députée Danielle Bousquet et dont le rapporteur était le député Guy Geoffroy publiait son rapport intitulé « Prostitution : l’exigence de responsabilité. Pour en finir avec le plus vieux métier du monde. » Au terme de centaines d’auditions et pour la première fois d’une analyse de la prostitution en terme de violation des droits fondamentaux, la Mission d’information formulait des préconisations, au nombre desquelles la création d’un délit général de recours à la prostitution, sur le modèle d’infractions similaires déjà adoptées par la Suède, la Norvège et l’Islande.
L’ensemble de ce chapitre a pour but d’inscrire dans la loi l’analyse de la prostitution en terme de violence faite aux personnes prostituées, l’abrogation du délit de racolage ainsi que la création d’un délit pénal de recours à la prostitution, associées à la mise en place d’une réelle politique de prévention de ces violences. Il vise à changer le regard des générations futures sur l’accès marchandisé au corps d’autrui.
De plus, les articles du code pénal qui portent sur la traite des êtres humains ne prennent pas en compte la vulnérabilité économique, l’extrême dénuement.
C’est pour cette raison que l’article 64 modifie l’article 225-4-2, alinéa 2 du code pénal et l’article 65 modifie l’article 225-7, alinéa 2 du code pénal. Dans les deux cas les caractéristiques de la vulnérabilité sont complétées.
L’article 66 abroge l’article 225-10-1 du code pénal.
En effet cet article, voté en 2003 dans la loi sur la sécurité intérieure, a eu comme effet de susciter une répression accrue contre les personnes prostituées alors que celles-ci sont les premières victimes d’un système qui les dépasse largement. Cet article est contraire aux engagements abolitionnistes de la France, à la Convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, à la Résolution abolitionniste votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 6 décembre 2011.
L’article 67 modifie l’article 225-12-1 afin d’incriminer le recours à la prostitution en général, et non plus seulement le recours à la prostitution de mineur-e-s ou de personnes présentant une particulière vulnérabilité. Ces deux infractions sont conservées et deviennent des circonstances aggravantes du délit de recours à la prostitution, lequel est passible d’une peine de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Ce délit est applicable au recours à la prostitution effectuée à l’étranger par une personne française.
L’article 68 crée une nouvelle peine complémentaire visant à sanctionner le recours à la prostitution. Il est créé un stage de sensibilisation à la lutte contre la violence prostitutionnelle. Ce stage pourra être organisé par des associations agréées luttant contre la violence prostitutionnelle et apportant un accompagnement aux personnes prostituées. Il a pour vocation de sensibiliser le client aux parcours des personnes prostituées, de démontrer les conséquences de la prostitution sur les personnes prostituées, d’expliciter les liens existant entre prostitution, violences patriarcales et inégalités femmes/hommes. Il explicitera également le rôle du client et sa responsabilité dans la perpétuation du système prostitutionnel.
Cette nouvelle peine peut être prononcée dans le cadre d’une composition pénale. Elle pourra également l’être dans le cadre d’une ordonnance pénale, mais seulement en l’absence de circonstances aggravantes.
L’article 69 modifie l’article 316-1 du CESEDA. Il impose la délivrance d’une carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale » aux personnes étrangères qui informent sur les infractions de proxénétisme et de traite ainsi qu’aux membres de leurs famille lorsque leur plainte ou témoignage est susceptible d’entraîner des menaces graves pour leur sécurité. Les dispositions existant à ce jour lient la délivrance du titre de séjour au dépôt d’une plainte.
Il impose la délivrance d’une carte de résident en cas de condamnation, même non définitive, de la personne mise en cause.
Il impose également la délivrance d’une carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale » aux personnes étrangères pour qui il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles pourraient avoir été victimes de traite des êtres humains et de proxénétisme.
Il octroie un revenu de substitution aux personnes victimes d’exploitation sexuelle qui tentent de s’échapper du système prostitutionnel. Les personnes étrangères bénéficiant d’un titre de séjour pourront bénéficier du RSA, et non plus de l’allocation temporaire d’attente.
Le bénéfice de l’allocation temporaire d’attente est conservé pour les personnes qui ne souhaitent pas participer à une procédure pénale mais qui bénéficient d’une carte de séjour temporaire sur le fondement de l’alinéa 1er de cet article.
L’article 70 modifie l’article 316-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il met l’accent sur les modalités de protection, d’accueil et d’hébergement de la personne se voyant délivrer la carte mentionnée à l’article 69.
L’article 71 prévoit le droit à la réparation intégrale du préjudice des victimes de recours à la prostitution prévu à l’article 32 de la présente loi.
L’article 72 codifie dans le code de procédure pénale la possibilité pour les associations dont l’objet est la lutte contre les violences prostitutionnelles et l’action sociale en faveur des personnes prostituées de se constituer partie civile.
Il rend le huis clos de droit à la demande de la ou de l’une des victimes de traite, proxénétisme ou recours à la prostitution.
Ainsi la législation française sera en conformité avec les Conventions internationales, la Convention de 1949, ratifiée par la France en 1960 et le protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, signé à Palerme le 12 décembre 2000 et ratifié par la France. Dans aucun de ces textes la protection des victimes n’est liée au dépôt d’une plainte. La Convention de 1949 et le protocole de Palerme assument la protection des victimes en tant que telles. La sous-commission des droits de l’homme de l’ONU a inscrit dans sa résolution E/CN.4/SUB.2/RES/2001/14 du 15 août 2001 : « Prie les gouvernements de fournir aux victimes une protection et une assistance qui soient inspirées de considérations humanitaires et qui ne dépendent pas de la coopération des victimes aux poursuites engagées contre ceux qui les exploitent, conformément aux articles 6, 7 et 8 du protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. »
En matière institutionnelle
Pour pouvoir élaborer, impulser, coordonner et rendre systématiques les politiques publiques en matière de violences à l’encontre des femmes, il est nécessaire de se doter de structures au plus haut niveau qui témoignent d’une véritable volonté politique de faire avancer les choses.
C’est ainsi que sera créée une délégation contre les violences à l’encontre des femmes.
Celle-ci rendra effective une politique nationale en la matière. En effet, trop souvent encore, en matière juridique par exemple, l’application de telle ou telle mesure dépend de la bonne volonté ou de la sensibilité personnelle d’un magistrat. Ce qui permet de dire aux associations que « c’est la loterie ».
Cette délégation sera rattachée au ministère des droits des femmes, qui fera en sorte d’assurer son caractère réellement transversal. Il aura évidemment compétence pour travailler avec toutes les administrations concernées.
Elle rendra compte, tous les ans, par le biais d’un rapport déposé sur le bureau des assemblées parlementaires de l’évolution des violences à l’encontre des femmes. Ce rapport portera aussi sur l’ensemble du travail accompli et fera ressortir, au vu de l’expérience, les nécessités de réformes.
À côté de cette délégation sera créé un Observatoire de l’État sur la violence à l’encontre des femmes, rattaché au ministère des droits des femmes. C’est lui qui sera « l’épine dorsale » du dispositif institutionnel en matière de réflexion politique, d’analyse, d’élaboration, de propositions de mesures à mettre en œuvre. Il collaborera avec le Secrétariat d’État du gouvernement contre les violences à l’encontre des femmes et le conseillera. Il publiera des rapports et des études sexuées et proposera des solutions pour atteindre et assister les femmes les plus démunies.
Sa composition et son mode de fonctionnement seront fixés de façon réglementaire. Toutefois, il est nécessaire d’insister sur le fait que cet Observatoire sera une instance multipartite qui comprendra entre autres les organisations de femmes et féministes spécialisées sur les violences à l’encontre des femmes, qui ont été les pionnières en matière d’accueil et de soutien en direction des femmes et qui ont donc une expertise considérable à faire partager.
La présence des organisations syndicales qui sont confrontées quotidiennement aux violences à l’encontre des femmes ou à leurs conséquences sur le lieu de travail paraît aussi indispensable. Seront créées aussi des unités spécialisées au sein de la Police et de la Gendarmerie nationales dans la prévention de la violence à l’encontre des femmes et dans le contrôle de l’exécution des mesures judiciaires adoptées.
Les forces de police et de gendarmerie sont des pièces maîtresses du dispositif contre les violences à l’encontre des femmes. Ce sont bien souvent elles qui sont en « première ligne ». On sait d’ailleurs que les interventions de « Police secours » sont bien souvent motivées par des faits de violences conjugales. Or, on remarque encore des dysfonctionnements au sein des commissariats : plaintes refusées au profit de mains courantes par exemple. Il s’avère donc nécessaire, comme la présente loi le prévoit, de continuer la politique de formation de toutes les forces de police et de gendarmerie, mais aussi de spécialiser des unités en la matière. Celles-ci auront aussi pour tâche de contrôler les mesures judiciaires prévues dans l’ordonnance de protection telles que l’effectivité de l’évacuation du domicile conjugal ou l’interdiction de s’approcher de la victime.
Le rapport Henrion de 2001 le soulignait déjà : « Le constat décrit dans ce rapport souligne la nécessité d’engager une action coordonnée avec les différents ministères intéressés, notamment le Secrétariat d’État aux droits des femmes et à la formation professionnelle. »
Des programmes de collaboration seront mis en œuvre entre les différentes administrations concernées.
Pour ce faire, des protocoles d’action seront élaborés. Le rapport Henrion souligne aussi les réticences des médecins vis-à-vis des violences, conjugales surtout.
Citons-le à nouveau : « Dans toutes les études consultées, les médecins se plaignent de n’avoir reçu aucune formation. Ils ne savent comment aborder le problème et prendre de bonnes décisions. Ils redoutent d’aggraver la situation avec des réactions inadéquates. Paradoxalement, les étudiants ne vont pas aux cours organisés par leurs doyens. »
Pour remédier à ce type de situations, des protocoles seront élaborés dans le domaine sanitaire contenant des normes uniformes d’action, dans le domaine public comme dans le domaine privé. Ces protocoles feront référence à la possibilité, avec l’accord explicite et écrit de la victime, de se rapprocher des autorités judiciaires.
La situation des femmes les plus en détresse sera l’objet d’une attention particulière.
L’article 73 prévoit la création du Secrétariat d’État du gouvernement contre les violences à l’encontre des femmes et définit son rôle.
L’article 74 évoque le rapport annuel remis au gouvernement et au bureau des assemblées parlementaires.
L’article 75 prévoit la création de l’Observatoire de l’État sur la violence à l’encontre des femmes et définit son rôle, son mode de fonctionnement et sa composition.
L’article 76 crée les unités spécialisées de la police nationale et de la gendarmerie nationale et définit leur rôle.
L’article 77 prévoit les programmes de collaboration, les protocoles d’action généraux et sanitaires, et souligne l’attention particulière à accorder aux femmes les plus en détresse.
En matière pénale
Depuis le vote de la loi du 23 décembre 1980 sur le viol, à l’issue d’une très grande mobilisation des mouvements féministes, beaucoup d’autres lois ont été votées s’appliquant aux situations de violences à l’encontre des femmes, toujours grâce aux luttes des féministes.
Cependant, notre corpus pénal est loin d’être complet.
Par exemple, le fait de forcer une personne à se marier, que ce mariage vise une union civile officielle ou une cérémonie coutumière n’est toujours pas interdit.
De plus, les violences au sein du couple méritent d’être appréhendées dans leur globalité, et non plus de manière morcelée en : violences psychologiques/physiques/sexuelles (en niant les violences économiques) comme si les unes excluaient les autres, alors que la catégorisation et le morcellement sont précisément une tactique courante d’occultation des violences faites aux femmes, constituant un obstacle à leur éradication.
La rédaction de la loi, et notamment des infractions pénales, doit permettre une meilleure compréhension des violences faites aux femmes, et ainsi rendre ces articles applicables plus aisément par les acteurs judiciaires.
Alors même que des infractions similaires existent dans de nombreux pays, la France perpétue une « exception culturelle » dans le cadre législatif et judiciaire, empêchant la visibilité des violences faites aux femmes en terme d’infractions qui seules permettent de sanctionner les violations des droits fondamentaux, tels que le droit à l’intégrité physique et psychologique.
Ce chapitre se propose d’essayer de combler ces lacunes ou ces incomplétudes.
Il est nécessaire de disposer d’un outil juridique efficace afin de prévenir les mariages forcés. Ce sont la plupart du temps les filles que l’on veut contraindre au mariage. Les pressions qui s’exercent peuvent être d’ordre psychologique ou de l’ordre de la violence physique et venir de tout membre de la famille ou autre.
La loi du 9 juillet 2010 n’avait pris en compte que les violences physiques en en faisant des circonstances aggravantes des crimes et délits existant.
L’article 78 crée une nouvelle section dans le code pénal afin d’incriminer la contrainte au mariage, délit désormais puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende et de cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende lorsque la victime est mineure de quinze ans. Il reprend la définition qu’avait donnée la Mission d’Évaluation de l’Assemblée nationale. Les délits existants dans le code pénal de par la loi du 9 juillet 2010 lorsque des violences physiques sont perpétrées dans le cadre d’une contrainte au mariage sont intégrées dans cette section et les peines sont adaptées selon le degré d’ITT.
La loi française est applicable, y compris lorsque ces délits sont commis à l’étranger, non pas uniquement sur une victime de nationalité française mais également sur une victime de nationalité étrangère résidant habituellement en France. Il n’est pas nécessaire d’avoir une plainte de la victime ou une « dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis ».
L’article 79 crée un délit spécifique de violences au sein du couple dans le code pénal. Il vise à englober les violences psychologiques, les violences physiques, les violences économiques et les agressions sexuelles commises par un membre du couple ou un ex. Les viols conjugaux, constituant des crimes aggravés, restent passibles d’un procès en Cour d’assises.
Ce délit concerne bien évidemment les conjoints, PACSés mais également les concubins, les personnes vivant en union libre, y compris en l’absence de cohabitation.
En effet, les modèles de couples, de famille, les modes d’union, les modes de vie, évoluent, basés selon les époques sur des stratégies sociales, politiques morales ou sexuelles différentes. De plus en plus de personnes qui entretiennent des relations suivies affectives et/ou sexuelles ne font pas « officialiser » de quelque manière que ce soit leur relation et de surcroît bien souvent ne vivent pas sous le même toit. Ce mode d’organisation du couple n’est cependant pas une garantie contre les violences à l’encontre des femmes.
Ce délit concerne de la même manière, les « ex ».
La volonté destructrice d’un individu ne se manifeste pas uniquement dans les coups. Toutes les femmes victimes de violences conjugales le disent : des paroles offensantes, blessantes, distillées uniquement dans le but d’humilier et de dévaloriser peuvent être plus destructrices que les violences physiques.
Le fait de regrouper sous un même délit tout « type » de violences commises au sein d’un couple permettra de mieux sanctionner les phénomènes d’emprise que le législateur a vainement tenté d’appréhender par la création d’un délit de violences psychologique au sein du couple qui n’a fait l’objet, depuis la loi du 9 juillet 2010, d’aucune condamnation. Ce délit sera donc abrogé.
Pour la première fois, l’atteinte aux libertés individuelles est prise en compte, notamment la liberté d’aller et venir, alors même que les limitations des déplacements et l’enfermement au domicile sont des expressions courantes des stratégies des auteurs de violences conjugales.
Les articles 80 et 81 modifient différents articles du code pénal afin de prendre en compte des circonstances aggravantes des meurtres, tortures et acte de barbarie, violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, une mutilation ou une infirmité permanente. Ces circonstances aggravantes incluent donc désormais toute personne vivant en union libre y compris en l’absence de cohabitation.
Le petit ami par exemple ne peut être considéré comme un tiers.
L’article 82 abroge ces mêmes circonstances aggravantes en cas de violences ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours/égale à 8 jours ou n’ayant entraîné aucune ITT. Ces violences sont désormais incluses dans le délit spécifique de violences au sein du couple.
Il abroge aussi le délit de harcèlement moral au sein du couple, qui n’a reçu aucune application en plus de deux ans, et qui est inclus désormais dans le délit spécifique de violences au sein du couple.
L’article 83 dispose qu’en cas de délit de violence au sein du couple, le Tribunal de la violence à l’encontre des femmes peut, dans l’intérêt du mineur, suspendre l’autorité parentale, la tutelle, la curatelle, la garde ou l’accueil pendant une période maximale de cinq ans, quand sont survenus des faits relevant du délit spécifique de violences au sein du couple.
L’article 84 modifie l’article 222-22 du code pénal traitant des agressions sexuelles. Celui-ci a été modifié par la loi du 4 avril 2006 puis celle du 9 juillet 2010. Le paragraphe, ajouté par la loi du 4 avril 2006 puis modifié par celle du 9 juillet 2010, stipule : « Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. »
Il est ajouté après liens du mariage, « du concubinage ou du pacte civil de solidarité ou s’ils l’ont été antérieurement ou s’ils vivent ou ont vécu en union libre y compris en l’absence de cohabitation ».
L’article 85 modifie la définition du viol : il définit précisément ce qu’est la « pénétration sexuelle » énoncée dans la loi et précise aussi qu’un viol peut être le fait d’imposer à autrui certains actes : une fellation par exemple.
Il est nécessaire d’apporter ces précisions car, malgré le vote de la loi du 23 décembre 1980, les tribunaux ont encore tendance à correctionnaliser les viols, notamment dans les cas de pénétrations autres que vaginales, ou dans le cas de pénétrations vaginales autres que par un pénis.
L’article 86 abroge les circonstances aggravantes des agressions sexuelles autres que le viol commises dans le cadre du couple, celles-ci font désormais partie du délit de violences spécifiques au sein du couple.
Le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité abrogeait la loi sur le harcèlement sexuel qui datait de 1992. Depuis longtemps déjà, les féministes réclamaient un changement de loi, celle-ci comportant une définition relevant de la tautologie (harceler = « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ») et ne permettant donc que très difficilement de dénoncer ces faits en justice. En outre, elle n’était pas du tout conforme à la Directive européenne de 2002 que la France avait toujours refusé de transposer dans le droit national. Il a fallu attendre qu’un ancien Secrétaire d’État, lui-même condamné pour des faits de harcèlement sexuel, dépose une QPC pour que le Conseil constitutionnel s’aperçoive que « les éléments constitutifs de l’infraction (n’étaient pas) suffisamment définis ». Une nouvelle loi a donc été promulguée le 6 août 2012. Bien qu’élaborée en concertation avec les mouvements féministes, et notamment l’AVFT, leurs revendications et leurs propositions de rédaction ne furent pas totalement prises en compte. Cette loi demeure donc insuffisante.
La création de deux situations distinctes n’est pas conforme à la Directive européenne.
De par le 1er alinéa, un acte unique qui porte atteinte à la dignité ou créé une situation intimidante, hostile ou offensante, ne peut être réprimé.
Le 2ème alinéa impose que le but soit « d’obtenir un acte de nature sexuelle ». Or, comme le dit l’AVFT sur son site le 24 juillet 2012 :
« Par conséquent, un employeur qui conditionnerait une promotion ou une embauche à ce qu’une salariée “passe une soirée avec lui” contre son gré ou qu’elle regarde un film pornographique avec lui ou l’accompagne dans un bar à striptease ne tomberait pas sous le coup de la loi car il ne s’agirait pas à proprement parler d’un “acte de nature sexuelle”. Or il est évident que la “contrepartie” attendue par le harceleur ne prend quasiment jamais la forme, de but en blanc de : “je t’embauche si tu couches”. »
Ce 2ème alinéa viendra aussi trouver sa place toute naturelle dans la chaine des déqualifications qui est un mode plus qu’habituel de traitement des violences sexuelles en France : de viol, on passe à agression sexuelle, d’agression sexuelle à harcèlement sexuel et de harcèlement sexuel à harcèlement moral. Ce sont évidemment les victimes qui subissent les conséquences de cet état de fait puisque le préjudice réellement subi n’est que rarement reconnu.
Nous reprenons donc la 4ème proposition de loi de l’AVFT.
L’article 87 vise à modifier la définition du délit de harcèlement sexuel telle qu’adoptée par la loi du 6 août 2012.
L’article 88 modifie la responsabilité pénale de l’entreprise, personne morale, qui, par imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité, ne prend aucune mesure pour prévenir les violences sexuelles, ou le cas échéant pour les sanctionner, doit pouvoir être engagée. Cette responsabilité sera étendue au harcèlement sexuel, même poursuivi au titre de la tentative de commission de l’infraction.
L’article 89 abroge l’article 222-48 du code pénal. Celui-ci fait référence à l’article 131-30 du code pénal qui prévoit ce qui est appelé communément la « double peine ». Le condamné étranger purge sa peine d’emprisonnement, et après se voit interdire le territoire français. L’article 222-48 organise cette double peine pour les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne les plus graves.
L’article 90 propose de nouvelles modalités de prévention de la récidive, en sus du suivi sociojudiciaire et de son injonction de soins.
En effet, l’injonction de soins comprise dans le suivi sociojudiciaire est la seule mesure du type « traitement » prévue pour prévenir la récidive. Ce traitement est donc envisagé uniquement de façon thérapeutique, voire psychothérapeutique. Rien ne ressort sur le traitement « social » des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne. Les auteurs des violences sont souvent bien intégrés socialement. Ils sont de fait « Monsieur tout le monde ». Ceci nous interpelle douloureusement. Notre pays gagnerait à développer la recherche dans ce champ et à s’inspirer de l’expérience des pays étrangers.
L’article 91 abroge les articles 132-8 à 132-10 du code pénal. Ces articles portent sur ce que l’on appelle communément le « doublement de peine en cas de récidive ».
La prévention de la récidive concerne au premier chef les auteurs des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne. Il n’a jamais été prouvé que le doublement des peines encourues était de nature à empêcher une nouvelle commission des faits. Ce doublement de peines se situe plutôt dans une escalade répressive, il est dangereux pour l’État de droit, et peu favorable à la résolution de ce délicat et souvent douloureux problème qu’il faut traiter au premier chef par la prévention et la remise en cause du fonctionnement patriarcal de notre société.
L’article 92 modifie l’article 311-12 du code pénal.
La modification vise à élargir à tout document établissant un droit délivré par une administration publique les possibilités de poursuite pénale pour vol au préjudice de son conjoint. En effet la liste citée est très restrictive. Peuvent être aussi concernés des documents tels que le permis de conduire, la carte Vitale, des diplômes scolaires ou universitaires, la carte d’étudiant, etc.
Cet article ne s’applique pas non plus, de façon suspensive en attente d’une décision judiciaire, quand une plainte a été déposée. En effet, il n’y a aucune raison que, sous prétexte qu’aucune décision n’a été encore rendue à la suite d’une plainte, le mis en cause puisse continuer à s’emparer des documents administratifs de son épouse.
Le vol de ces documents entre époux est désormais sanctionné par le délit de violences spécifiques au sein du couple prévu à l’article 222-33-2-2 du code pénal.
En matière civile
La loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 a instauré ce qui est communément appelé la « garde alternée ».
Celle-ci constitue une avancée dans la mesure où elle veut faire partager aux pères et aux mères la garde et l’éducation des enfants. On sort ainsi de l’assignation des rôles sociaux sexués.
Cependant, malgré les demandes réitérées des groupes féministes, notamment ceux qui organisent l’accueil et le soutien des femmes victimes de violences conjugales et ceux qui organisent la solidarité des femmes victimes de viols, y compris incestueux, le législateur n’a pas pris en compte le fait que cette mesure de garde alternée ne pouvait être applicable en cas de violences au sein de la famille sauf à provoquer des drames d’une grande gravité.
L’article 93 de la présente loi prévoit que, et ce de façon conservatoire, si une procédure pénale est engagée contre l’un des deux parents par l’autre, le juge de la violence à l’encontre des femmes fixe automatiquement la résidence de l’enfant chez le parent plaignant. La décision pourra évidemment être modifiée par le juge ou le tribunal selon le jugement rendu.
L’article 94 vise à autoriser le juge à accorder l’attribution préférentielle d’un immeuble en indivision entre concubins. Cette possibilité n’est pour le moment offerte qu’aux conjoints et PACSés.
Actuellement, lorsque des concubins sont propriétaires indivis de leur domicile, la vente du bien ne peut se faire qu’avec l’accord des deux et en cas de conflit, l’accord des deux est nécessaire pour que l’un puisse racheter la part de l’autre. Dans le cadre des violences conjugales, cela représente un réel obstacle à la séparation puisque le concubin victime de violences ne peut racheter la part de l’autre concubin qu’avec l’accord de celui-ci, qui est alors en position de maintenir son emprise en exigeant un prix prohibitif, retardant la vente ou en empêchant son concubin de récupérer le logement, qui peut être le domicile familial.
Le concubin victime de violence pourra désormais être autorisé par la juge à racheter la part indivise de son concubin, y compris en l’absence d’accord de celui-ci.
Normes de procédure pénale
Les femmes victimes de violences hésitent à porter plainte, c’est une donnée connue que l’Enveff et les études ultérieures ont largement démontrée. Quand elles le font néanmoins, la procédure pénale est tout le temps vécue comme un processus interminable, inquisiteur, intrusif, surtraumatisant. On a parlé à ce sujet de « parcours du combattant ».
Il est de la responsabilité de la justice de tenir compte du nombre important de non-lieux et de classements sans suite peu ou mal motivés et dont les victimes ne comprennent pas les raisons. Il est normal d’instruire à charge et à décharge. Mais quelques mesures simples de procédure pénale peuvent faire en sorte que la victime ne risque pas de sortir de son expérience de la justice encore plus détruite qu’elle ne l’était auparavant.
L’article 95 demande au juge de la violence à l’encontre des femmes de veiller à ne pas multiplier les actes de procédure qui approfondissent le traumatisme des plaignantes.
Il n’est bien sûr pas question ici d’empêcher les juges d’instruire. Mais certains d’entre eux semblent animés de présupposés défavorables et machistes systématiques.
Ils éprouvent de grandes difficultés à accorder du crédit aux paroles des femmes victimes. Pour se forger leur conviction ils multiplient les actes de procédure, ce qui ne semble pas nécessaire.
De même, évoquer le passé sexuel de la plaignante n’a souvent rien à faire avec la procédure, de viol notamment.
Ce n’est pas parce que la victime est une prostituée ou qu’elle a eu de multiples amants qu’elle ne peut pas être violée. Sa crédibilité ne doit pas en être affectée.
La moralité de la victime ne pourra donc plus lui être opposée.
L’article 104 prévoit aussi l’accompagnement de la plaignante tout au long de la procédure par une personne de son choix, professionnelle, qu’elle soit, ou non, membre d’une association.
L’article 96 permet à la plaignante qui en fait la demande de bénéficier de l’enregistrement sonore ou audiovisuel de ses dépositions, et ce, à n’importe quel stade de l’enquête. Ceci devrait lui éviter de devoir sans cesse évoquer des faits très destructeurs.
L’article 97 modifie l’article 40-2 du code de procédure pénale. Il permet au plaignant qui en manifeste la demande d’avoir un entretien avec le procureur de la République pour que celui-ci motive sa décision de classement sans suite.
L’article 98 modifie l’article 177 du code de procédure pénale. Il permet au plaignant qui en manifeste la demande d’avoir un entretien avec le juge pour que celui-ci motive sa décision de non-lieu.
Le tribunal de la violence à l’encontre des femmes
Le titre VII de la présente loi vise à instaurer une structure judiciaire originale : le tribunal de la violence à l’encontre des femmes. Celui-ci a des compétences pénales et civiles. Plus de trente ans après le vote de la loi de 1980 sur le viol qui a « inauguré » l’évolution législative en matière de violences à l’encontre des femmes, force est de constater qu’un faisceau d’arguments milite en la faveur de ce type de tribunaux.
Tout d’abord le caractère massif du phénomène. Il est évident que l’on ne trouve que ce que l’on cherche.
Mais le législateur en votant la loi de 1980 et les lois qui ont suivi, notamment celles de 1992 qui établit des circonstances aggravantes lorsque les violences ont été perpétrées par le conjoint, ne pouvait se douter de l’encombrement des tribunaux qui allait se produire par la suite… Et encore, il est maintenant scientifiquement établi par l’Enveff que le « potentiel » de dépôt de plaintes est considérablement plus important que la réalité qui s’offre à nous. Mais à lui seul cet argument ne justifierait pas la création de ces tribunaux.
Ensuite, la complexité des affaires. S’est-on un jour interrogé pour savoir pourquoi les victimes ne portaient pas plus plainte ? Parce qu’elles ont honte et culpabilisent et vont mal. Certes. Mais aussi parce qu’elles ne veulent pas tout « déballer » devant la justice. C’est malheureux à dire, mais ce qui devrait être leur recours légitime leur fait peur. Il faut beaucoup de doigté, d’empathie, de psychologie pour instruire et juger une affaire de violences à l’encontre des femmes. Il faut une bonne formation et une bonne expérience. La présente loi dispose une formation obligatoire pour tous les magistrats mais ceux qui seront juges de la violence à l’encontre des femmes se signaleront par une compétence particulière.
Un argument de poids est la nécessaire articulation entre justice pénale et justice civile. Ne nous y trompons pas : il est maintenant établi, et ce dans tous les pays occidentaux, que la majorité des violences sont perpétrées au sein du foyer. Le lieu le plus dangereux pour les femmes, comme pour les enfants d’ailleurs, ce n’est pas la rue, l’entreprise ou l’école, mais la famille. Et la famille est le lieu des décisions civiles par excellence. Illustrons notre propos par un exemple qui n’est malheureusement pas fictif, mais que l’on rencontre très souvent. Nous savons que les enfants sont dans 68 % des cas témoins des violences conjugales que subit leur mère. Parfois même, les hommes violents se tournent contre les enfants. Parfois même il y a des cas de violences sexuelles sur les enfants.
La femme va entreprendre une procédure de divorce et porter plainte au pénal, dans le meilleur des cas. Pendant que le juge pénal instruit la plainte, le juge aux affaires familiales va statuer sur le mode de garde des enfants : celui-ci peut être une garde alternée, mais c’est peu probable si les deux parents ne le demandent pas, ou un droit de visite. L’étanchéité réelle entre le juge pénal et le juge civil, même s’ils sont censés communiquer, fera que cette mesure ne pourra que très difficilement être mise en cause. Et c’est ainsi que l’on retrouve des mères poursuivies pour « non-représentation d’enfants » car elles n’ont pas voulu, par peur que leurs enfants en subissent des conséquences désastreuses, satisfaire aux obligations du droit de visite.
Le Tribunal de la violence à l’encontre des femmes traiterait des deux aspects conjointement et permettrait donc de pallier ces inconvénients.
Il n’est pas question de marginaliser les affaires de violences faites aux femmes, mais d’essayer de les traiter mieux. Proposer comme seule solution davantage de formation obligatoire, initiale et continue, paraît très insuffisant. Proposer de légiférer pour obliger le juge pénal et le juge civil à communiquer dans les affaires de violences faites aux femmes paraît illusoire. Ils sont déjà censés communiquer ! Non, ces Tribunaux de la violence à l’encontre des femmes semblent audacieux parce qu’ils bousculent l’ordre judiciaire établi mais ils constituent bien la réponse adéquate nouvelle à un problème qui dure depuis des millénaires.
Article 99. Le Tribunal de la violence à l’encontre des femmes est instauré dans le ressort de chaque tribunal de grande instance. Il a des compétences pénales et civiles.
Le nouvel article L. 271-1 du code de l’organisation judiciaire précise sa composition : un juge de la violence à l’encontre des femmes, président, et deux assesseurs.
Ceux-ci sont nommés pour quatre ans par le Garde des sceaux et sont signalés par l’intérêt qu’ils portent aux questions de l’égalité femmes hommes et par leurs compétences en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
Les tribunaux de la violence à l’encontre des femmes sont compétents pour traiter des délits relatifs aux atteintes volontaires à l’intégrité morale, physique et sexuelle des femmes avec violence, menace, contrainte, surprise et intimidation. Ils sont compétents en matière civile pour les affaires familiales quand des faits de violences à l’encontre des femmes ont été évoqués ou qu’une ordonnance de protection a été délivrée.
Article L. 271-2. Il y a au moins un juge de la violence à l’encontre des femmes au siège de chaque tribunal. En matière pénale, il possède les mêmes pouvoirs que le juge d’instruction. Il délivre l’ordonnance de protection.
Il est compétent en matière pénale pour traiter des délits relatifs aux atteintes volontaires à l’intégrité morale, physique et sexuelle des femmes avec violence, menace, contrainte, surprise et intimidation. En matière civile, il est compétent pour la mise en l’état des affaires civiles relevant du tribunal de la violence à l’encontre des femmes par application de l’article 108 2e alinéa.
Il peut transmettre l’affaire au juge compétent s’il considère qu’elle n’est pas de son ressort.
L’article précise dans quelles conditions il peut informer.
Article L. 271-3. La cour d’assises de la violence à l’encontre des femmes est composée d’un président, de deux assesseurs, et complétée par le jury criminel.
L’article prévoit la désignation du président et des deux assesseurs. Il précise aussi la désignation du ministère public.
Il est créé au sein de chaque cour d’appel une Chambre de la violence à l’encontre des femmes.
Les voies de recours sont celles prévues par les dispositions du code de procédure pénale et du code de procédure civile.
Le recours en cassation n’a pas d’effet suspensif, sauf si une condamnation pénale est intervenue.
L’action civile peut être portée devant le juge de la violence à l’encontre des femmes, devant le tribunal de la violence à l’encontre des femmes et devant la cour d’assises de la violence à l’encontre des femmes.
Il est précisé que lors d’une audience de Cour d’assises du Tribunal de la violence à l’encontre des femmes les magistrats veilleront à la bonne tenue des débats et prendront toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité des victimes et la sérénité de leur audition.
Article L. 271-4. Il est instauré au sein de chaque parquet une section spécialisée sur la violence à l’encontre des femmes. Il en est de même au sein des parquets généraux.
La médiation est interdite en toutes circonstances, la composition pénale est interdite en toutes circonstances.
En effet, les violences à l’encontre des femmes, même si elles sont perpétrées au sein du couple sont des délits et des crimes qui doivent être jugés en tant que tels et non « médiés » ou marchandés.
Article 100. Une formation spécifique est instaurée pour tous les personnels de justice, les forces de police et de gendarmerie, les médecins légistes.
Mesures judiciaires de protection et de sûreté des victimes : l’ordonnance de protection
Le titre VIII de la présente loi vise à instaurer des mesures judiciaires et de sûreté des victimes intitulées : l’ordonnance de protection. Ces mesures sont conçues comme une procédure d’urgence afin d’éviter que ne se produisent des drames alors même que parfois les forces de police avaient été dûment informées.
Grâce au recensement national des morts violentes survenues au sein du couple en 2003 et 2004 réalisé à la demande du Ministère délégué à la cohésion sociale et à la parité dans le cadre d’un partenariat avec le ministère de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, et à la collaboration des services de police et de gendarmerie, ont pu être recensés les cas de morts violentes pour lesquels l’auteur identifié est un membre du couple. Citons les résultats les plus marquants de cette enquête :
« Sur l’ensemble des deux années 2003 et 2004 en France métropolitaine, en moyenne, une femme meurt tous les quatre jours des suites de violences au sein du couple. Contre seulement un homme tous les seize jours.
Les violences subies par les femmes sont un facteur déterminant de leur décès comme de leur acte homicide :

  • une femme victime sur deux subissait déjà des violences contre seulement un homme sur cinq ;
  • une femme auteur sur deux subissait des violences contre seulement un homme sur quinze.
    Sur 1 789 morts violentes pour lesquelles l’auteur a été identifié, 228 ont eu lieu dans le cadre d’un couple – soit un cas sur huit – dont dix-sept cas d’euthanasie.
    Un décès sur dix résulte de coups portés sans intention de donner la mort. La violence conjugale préexistait dans deux sur trois de ces cas.
    La séparation est clairement une période à risque puisqu’elle intervient dans 31 % des affaires.
    Les actes homicides commis par des “ex” sont un phénomène essentiellement masculin, souvent rural, et toujours avec la volonté de donner la mort. »
    Les phénomènes sont donc bien connus. Il est grand temps de promouvoir un ensemble de mesures intégrées permettant de protéger efficacement les femmes victimes de violences.
    Ces mesures concernent toutes les femmes victimes de violences et non seulement celles victimes de violences conjugales : l’interdiction de s’approcher de la plaignante peut concerner n’importe quelle femme.
    Certaines mesures présentes dans l’ordonnance de protection existent déjà dans le code pénal ou dans le code de procédure pénale. Mais cette proposition de loi crée un système unique et complet, cohérent, qui complète ce que la loi a déjà mis en place. Ces mesures existantes sont très positives mais fragmentées. Nous avons besoin aujourd’hui d’un geste politique fort qui regroupe toutes les mesures qui sont nécessaires pour protéger les femmes et qui en crée de nouvelles quand l’urgence s’en fait sentir. Il est contreproductif de dire que les mesures existent déjà si c’est pour justifier l’immobilisme et l’inaction.
    La loi du 9 juillet 2010 a intégré dans le code civil un mécanisme de protection calqué sur la précédente procédure en référé d’éviction du conjoint violent.
    Toutefois, outre son application très disparate sur le territoire.
    La limitation de ce mécanisme aux victimes de violences conjugales et menacées de mariage forcé, la compétence octroyée au Juge aux Affaires Familiales et la soumission de ce mécanisme aux règles de procédure civile sont autant d’obstacles à la protection des femmes victimes de violence. Les choix fait par le législateur de 2010 sont critiquables et cela a eu des conséquences dans l’application, ou plutôt dans l’absence d’application de la loi. Ces défaillances ont été relevées dans le rapport de la mission d’information sur l’application de la loi du 9 juillet 2010 déposé par les députés Bousquet et Geoffroy le 17 janvier 2012. Trop peu d’ordonnances délivrées, dans des délais trop longs, un contenu difficilement mis en œuvre, sont autant de lacunes qui doivent désormais être comblées.
    L’ordonnance de protection doit pouvoir être obtenue par les femmes victimes de violence en dehors du cercle conjugal strict, aucune limite à un type particulier de violence n’est justifiable.
    L’article 101 instaure une ordonnance de protection efficace et rapide.
    L’ordonnance de protection est rendue par le juge de la violence à l’encontre des femmes selon une procédure d’urgence s’il y a une situation de risque ou de danger objectif. La saisine peut être d’office, à la demande de la victime, des personnes résidant habituellement avec elles ou qui sont à leur garde, du ministère public ou des services d’aide aux victimes ou des services sociaux.
    Ces derniers doivent avoir l’accord explicite et écrit de la personne concernée pour saisir le juge ou le ministère public.
    L’ordonnance de protection peut être sollicitée devant la justice, la police, la gendarmerie ou tout service d’aide et de soutien. Les services sociaux apportent aide et soutien pour la formulation et l’acheminement de l’ordonnance de protection.
    Dans les 24 heures suivant réception de la demande d’ordonnance, le juge convoque la plaignante et le mis en cause, assisté le cas échéant d’un avocat, pour une audition. Cette audition a lieu séparément si le juge l’estime nécessaire. À l’issue de l’audition, le juge donne suite ou pas à la demande d’ordonnance de protection et précise, le cas échéant, le contenu et l’utilisation des mesures qu’il décide.
    Par l’ordonnance de protection, la victime dispose d’un statut intégral de protection. L’ordonnance de protection pourra être invoquée devant toute autorité et administration publique.
    L’ordonnance est notifiée par le juge aux parties et aux administrations compétentes pour l’adoption des mesures. Il est établi en ce sens par voie réglementaire un système intégré de coordination administrative garantissant la circulation des communications.
    Selon l’ordonnance, la victime sera informée de façon permanente de la situation de procédure de celui qui est mis en cause, en particulier de sa situation pénitentiaire, ce qui implique de rendre compte de l’ordonnance de protection à l’administration pénitentiaire.
    Lors d’une procédure pénale, s’il apparaît une situation de mise en danger pour la femme, le juge ou le tribunal saisi a compétence pour délivrer l’ordonnance de protection.
    Les mesures de l’ordonnance de protection concernent :
  • La protection de l’intimité des victimes, de leurs données personnelles, de leurs descendants et de toute autre personne sous leur garde.
  • La possibilité de déroulement des audiences à huis clos.
  • L’évacuation du mis en cause du domicile familial.
  • L’échange à titre exceptionnel de l’usage du logement familial si la victime en est copropriétaire contre l’usage d’un autre logement durant une période et dans des conditions déterminées.
  • L’interdiction pour le mis en cause de s’approcher de la personne protégée. Cette mesure d’éloignement est décidée indépendamment de savoir qui a quitté les lieux au préalable.
  • L’interdiction pour le mis en cause de communiquer avec la ou les personnes protégées.
    Ces mesures peuvent être appliquées séparément ou simultanément.
    Le juge peut aussi, à ce stade de la procédure suspendre l’autorité parentale, la garde des mineurs et le droit de visite.
    Il peut suspendre aussi le droit à la détention, au port et à l’usage d’armes, avec l’obligation de les déposer dans les conditions établies par la réglementation en vigueur.
    Les mesures de protection contenues dans l’ordonnance de protection seront en vigueur durant soixante jours.
    Elles peuvent être renouvelées pour une période identique. Au-delà, elles ne seront prolongées qu’en cas de dépôt de plainte de la victime.
    Elles peuvent être maintenues au-delà du jugement définitif et durant la gestion des éventuels recours correspondants.
    Dans ce cas, le maintien de ces mesures devra être inscrit dans le jugement.
    Ces mesures donnent une réelle visibilité à la protection qui est accordée aux femmes et dans ce sens elles sont très novatrices.
    Les articles 102 et 103 contiennent diverses dispositions liées à l’application de la loi et compensent les charges pouvant résulter pour l’État, les collectivités territoriales et les organismes sociaux de l’application de certaines dispositions de la présente proposition de loi.
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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)
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