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Propositions de loi

PL n° 2914 - en faveur d’une fiscalité juste et efficace

EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La crise qui a secoué l’économie mondiale en 2008 a été le révélateur des impasses où nous conduisent depuis trente ans la politique du « tout marché », le règne de la dérégulation et de la « concurrence libre et non faussée » comme les programmes d’ajustements structurels dictés par les institutions européennes et internationales, qui n’ont fait que se plier à ces dogmes et ont ainsi constitué une source grandissante d’instabilité économique et d’aggravation des inégalités sociales.
En dépit des déclarations tonitruantes de certains chefs d’État, la dictature des marchés financiers n’a pas été ébranlée. La conviction demeure de leur efficience et de la nécessité de les « rassurer », comme l’illustrent les politiques d’austérité budgétaire engagées un peu partout en Europe et notamment en France.
Plus que jamais, le Gouvernement prône la réduction drastique des dépenses publiques, la remise en cause d’acquis sociaux essentiels, comme le droit à la retraite à 60 ans, la privatisation des services publics, la flexibilité du marché du travail, l’accentuation de la concurrence et la libéralisation des marchés de capitaux.
Cette fuite en avant dans la soumission au dogme de la libre circulation des capitaux et aux exigences des marchés financiers fait peser de graves menaces sur la croissance et l’emploi, la pérennité de notre système de protection sociale, le fonctionnement des services publics et l’équilibre des comptes publics et sociaux.
L’ampleur des déficits, qui résulte autant de choix politiques que de facteurs liés à la crise, est instrumentalisée afin de servir de prétexte à de nouvelles restrictions budgétaires : gel des salaires de la fonction publique ; gel des dotations aux collectivités locales, qui assurent 75 % de l’investissement public ; réduction massive des emplois dans la fonction publique, au risque d’une nouvelle détérioration du fonctionnement des services publics ; diminution massive des emplois aidés, malgré une situation de l’emploi fortement dégradée ; réduction des crédits d’intervention alloués à des secteurs aussi essentiels que les infrastructures et le logement...
Des mesures qui risquent de pénaliser la croissance et s’inscrivent dans la continuité des politiques conduites depuis 2002, lesquelles ont précisément conduit à la situation budgétaire où nous sommes.
Comme le rappelait, en effet, la Cour des comptes, au printemps dernier, la crise économique et financière n’a pas été le principal facteur de dégradation des comptes publics et sociaux. Elle n’explique en réalité qu’un tiers du déficit actuel, lequel atteindra à la fin 2010 plus de 130 milliards d’euros, soit 7,8 % de la richesse nationale. Selon la haute juridiction financière, ce déficit ne résulte en réalité qu’à hauteur de 1,5 % de la conjoncture et de 1 % des mesures du plan de relance. Les 5 % restants constituant un déficit structurel, accumulé avant la crise avec la multiplication des cadeaux fiscaux et des exonérations en tout genre. Le fait est également que la dette de la France, qui devrait atteindre 1 800 milliards d’euros en 2013, a doublé en dix ans de gouvernement de droite.
Les choix opérés en matière fiscale sont pour l’essentiel responsables de ce désastre. Depuis 2002 et plus encore depuis 2007, la multiplication des mesures en faveur des entreprises et des titulaires des plus hauts revenus s’est traduite par plusieurs centaines de milliards d’euros de nouvelles dépenses fiscales, demeurées pour la plupart sans effets tangibles sur la croissance et l’emploi.
Dans un récent rapport, le Conseil des prélèvements obligatoires a dressé le bilan des nombreux dispositifs dérogatoires qui bénéficient aux entreprises, particulièrement les plus grandes d’entre elles.
Il ressort que sur les quelques 506 dépenses fiscales globalement recensées, 293 intéressent les entreprises et que 107 d’entre elles ont été créées entre 2002 et 2010, soit près de 12 nouvelles dépenses fiscales par an.
Ces 293 « niches » applicables aux entreprises ont représenté un manque à gagner pour les finances publiques de 35,3 milliards d’euros en 2010 (soit 47 % du total du coût de l’ensemble des niches, qui représente 74,8 milliards d’euros), en augmentation de 8,7 milliards d’euros depuis 2005.
S’ajoutent à ces dépenses fiscales répertoriées comme telles, les nombreux dispositifs dérogatoires qui ont été déclassés en 2006. Leur poids est, selon ce même rapport, plus de deux fois supérieur à celui des niches proprement dites et s’élève à 71,3 milliards d’euros en 2010 (contre 19,5 milliards d’euros en 2005).
La hausse spectaculaire du coût de ces modalités de calcul de l’impôt a essentiellement pour origine trois dispositifs qui bénéficient aux grandes entreprises : le régime des sociétés mères/filles (35 milliards d’euros), le régime d’intégration fiscale des groupes (19,5 milliards) et la taxation au taux réduit des plus values à long terme provenant de cessions de titre de participation (évaluée à 6 milliards d’euros en 2009).
Les techniques d’optimisation fiscale, légales ou frauduleuses, utilisées par les grands groupes afin de réduire le montant de leur imposition, par exemple par le jeu des prix de transferts qui leur permettent d’expatrier vers la maison-mère ayant leur siège dans des paradis fiscaux les bénéfices réalisés en France par leurs filiales et leurs unités, sont une autre des pratiques coûteuses sur lesquelles le gouvernement ferme les yeux. Elles amputent pourtant les recettes publiques de plus de 20 milliards d’euros !
De fait, on ne peut aujourd’hui que constater que le taux d’imposition réel de sociétés est très éloigné du taux théorique de 33,3 %. S’il est proche de 30 % pour les PME de moins de 10 salariés, il tombe à 20 % pour les entreprises de plus de 500 salariés, à 13 % pour les entreprises de plus de 2 000 salariés et enfin à 8 % pour les entreprises du CAC 40. De fortes inégalités qu’il est d’autant plus nécessaire de corriger que nombre des dispositifs dérogatoires en question n’ont jamais apporté la preuve de leur efficacité économique, sociale et environnementale.
Concernant l’imposition des particuliers, les dérives ont là aussi été nombreuses. L’impôt sur le revenu a ainsi connu plusieurs réformes depuis 2002 qui ont toutes contribué à en réduire le rendement et la progressivité. L’impôt de solidarité sur la fortune a été réduit à la portion congrue notamment par le jeu de niches à l’efficacité discutable, telle l’exonération de 50 % en faveur des actionnaires signataires d’un engagement collectif de conservation ou le dispositif de défiscalisation ISF-PME introduit à l’occasion de la loi TEPA.
Comme l’a souligné la Cour des comptes à plusieurs reprises, les baisses des taux du barème intervenues entre 2002 et 2007 ont bénéficié très majoritairement aux 10 % des ménages les plus riches : 10 % des contribuables ont bénéficié de 79 % des réductions de la baisse de 5 % intervenue en 2002, 4,5% des contribuables ont bénéficié de la baisse de 1 % intervenue en 2003 et 2,9 % ont bénéficié de 45 % de la baisse de 3 % intervenue en 2004. La refonte du barème de 2007, qui représente un coût de 4 milliards d’euros, aura de son côté bénéficié majoritairement aux contribuables aisés : 70 % du coût de la mesure a bénéficié à 20 % des contribuables imposables.
À ces injustices s’ajoutent les effets du bouclier fiscal, ceux de l’utilisation des niches fiscales par les titulaires des plus hauts revenus et ceux de la faible taxation des revenus du capital. Un constat s’impose là encore : le taux effectif d’imposition des plus hauts revenus est très loin du taux marginal de l’impôt sur le revenu, fixé actuellement à 41 %. Il est de 25 % pour les 1 000 plus hauts revenus et tombe à moins de 20 % pour les dix plus hauts revenus.
La multiplication ces dernières années des dispositifs dérogatoires visant à protéger les contribuables les plus fortunés et les grandes entreprises les plus créatrices de valeur ajoutée pour leurs actionnaires s’inscrit dans une stratégie dictée par les enjeux de la concurrence fiscale que se livrent les États membres de l’Union européenne.
Une concurrence dont l’OFCE soulignait à juste titre, dans son rapport sur l’état de l’UE publié de 2002, qu’elle « se traduit par une surenchère de la baisse des taux de prélèvements, par une dégradation des services collectifs rendus par les administrations publiques et par un transfert de charge fiscale sur les bases moins mobiles, c’est à dire notamment les salariés, les chômeurs, les retraités... »
Si nous avons la conviction qu’il est plus que jamais nécessaire d’œuvrer en faveur de la coordination des stratégies fiscales des États membres, de la lutte contre les paradis fiscaux et le « dumping » social, nous jugeons également prioritaire l’objectif de réduire les inégalités fiscales et sociales afin de permettre à l’État de retrouver des marges de manœuvre, de réduire les déficits publics et sociaux et d’exercer pleinement le rôle qui doit être le sien en termes de financement de l’action publique et de correction des inégalités économiques et sociales. L’autre priorité est d’orienter l’argent vers l’investissement productif, l’emploi et les salaires plutôt que vers la rémunération du capital, dont une grande partie est responsable de la spéculation.
*
Nous proposons en conséquence, dans un article 1er, de supprimer le « bouclier fiscal », emblème de la politique fiscale conduite depuis 2007. Ce mécanisme de plafonnement de l’imposition des plus hautes tranches a représenté en 2010 un coût pour les finances publiques de 679 millions d’euros, soit 220 millions d’euros de plus qu’en 2008, et a permis aux 1 169 ménages les plus aisés de recevoir un versement du Trésor public de 362 000 euros en moyenne. Les principes élémentaires de justice fiscale commandent de mettre fin à ce dispositif.
L’article 2 propose de procéder à une refonte complète du barème de l’impôt sur le revenu et de revenir, dans le souci de garantir une plus grande progressivité de l’impôt, à un barème comportant au moins neuf tranches. Il va sans dire qu’une telle réforme devrait s’accompagner d’une révision des taux du barème plus favorable aux contribuables aux revenus moyens. Ajustement qu’il ne nous est pas possible de réaliser dans le cadre contraint d’une proposition de loi. L’article propose, en revanche, de relever le taux historiquement bas de l’imposition de la plus haute tranche et de porter ce taux marginal à 54,8 %.
L’article 3 vise quant à lui à rétablir le taux facial de l’impôt sur les sociétés, actuellement fixé à 33,3 % et se propose conjointement d’introduire un mécanisme de modulation de l’imposition selon que les entreprises privilégient la distribution des dividendes ou l’investissement productif, l’emploi, la formation professionnelle et les salaires. L’article supprime en outre le régime très favorable d’imposition du montant net des plus values à long terme comme le régime d’exonération introduit en 2004 sur les plus-values de cession des titres de participation qui représente à lui seul une perte de recettes pour l’État de 6 milliards d’euros par an.
Nous proposons à l’article 4 la création d’une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés au taux de 15 % en direction des établissements bancaires.
L’article 5 vise pour sa part à assujettir les revenus financiers des entreprises et des sociétés non financières à une contribution d’assurance vieillesse à un taux égal à la somme des taux de cotisation d’assurance à la charge des employeurs du secteur privé (9,9 %). Cette nouvelle contribution, qui apportera un surcroît de recettes de l’ordre de 30 milliards d’euros aux comptes sociaux, poursuit un double objectif : un financement rapide des régimes obligatoires de retraite, et une incitation forte pour les entreprises à privilégier le facteur travail.
L’article 6 propose de revenir sur la réduction générale de cotisations patronales dite Fillon jusqu’à 1,6 SMIC et la suppression des exonérations au titre des heures supplémentaires votées dans le cadre de la loi TEPA, en août 2007. Deux mesures qui représentent annuellement un coût de l’ordre de 25 milliards d’euros.
L’article 7 revient sur l’une des mesures les plus contestables de la réforme de la fiscalité du patrimoine intervenue en 2007, à savoir le triplement de l’abattement sur les droits de mutation en ligne directe qui n’intéresse en réalité qu’une poignée de contribuables très aisés. Nous ne proposons de maintenir cet abattement de plus de 150 000 euros que pour les seuls héritiers, légataires ou donataires, incapables de travailler dans des conditions normales en raison d’une infirmité physique ou mentale.
Dans l’article 8, nous proposons de limiter l’échelle des rémunérations à l’intérieur des entreprises de façon à ce qu’aucun des cadres dirigeants ni opérateurs de marchés ne puisse percevoir une rémunération d’un montant supérieur à vingt fois le montant de la rémunération minimale applicable dans l’entreprise considérée.
Dans le même esprit, l’article 9 propose de supprimer l’instrument financier que constituent les stock-options et, à défaut d’un accord spécifique conclu dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire prévue aux articles L. 2242-1 et suivants du code du travail, de taxer au taux de 95 % les avantages de toute nature dont le montant excède le montant annuel du SMIC.
L’article 10 vise à demander au Gouvernement un rapport sur les techniques d’optimisation fiscale des grands groupes qui, par le jeu des prix de transferts, expatrient vers la maison-mère ayant leur siège dans des paradis fiscaux les bénéfices réalises en France par leurs filiales et leurs unités. Une pratique qui représente un coût estimé pour les finances publiques de plus de 20 milliards d’euros.
L’article 11 propose au Gouvernement la mise en œuvre d’un Pôle bancaire public national du crédit visant l’allocation de crédits à taux bonifiés aux entreprises dès lors que ceux-ci intéressent l’investissement productif et l’emploi.
L’article 12 propose enfin l’établissement d’un rapport sur la concurrence fiscale à laquelle se livrent les États membres de l’Union européenne, ses effets sur la baisse des taux de prélèvement, la dégradation des services collectifs rendus par les administrations publiques et les transferts de charges sur les salariés, chômeurs et retraités. Ceci afin de formuler des propositions d’harmonisation fiscale.

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Alain
Bocquet

François
Asensi

Jean-Claude
Sandrier

Député de Cher (2ème circonscription)
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