Propositions

Propositions de loi

PL n° 3228 - décidant un moratoire de cinq ans sur l’attribution de tout dividende

EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les travailleurs subissent de plein fouet la crise du capitalisme. Les chiffres du chômage sont les pires depuis 10 ans, en hausse de plus de 5 % en 2010. Il y a officiellement plus de 4 millions d’inscrits au Pôle emploi. On compte environ 8 millions de Français pauvres, soit 12 % de la population, parmi lesquels de très nombreux travailleurs. Un salarié sur dix est payé 1 055 euros par mois, soit 100 euros de plus que le seuil de pauvreté. La précarité explose.
Dans ce contexte social catastrophique, la société s’interroge sur les excès du système et sur ses contradictions.
En effet, malgré la crise, les entreprises du CAC 40 – et on pourrait citer les autres sociétés cotées à la Bourse de Paris – affichent des bénéfices insolents. En 2010, le CAC a reversé à ses actionnaires le chiffre astronomique de 39,6 milliards d’euros, soit 46,1 % des bénéfices réalisés, et en 2009, en dépit de bénéfices en baisse de 19 %, les dividendes ont été en hausse ostensible de 1,4 %, pour un montant de 36 milliards d’euros !
Les capitalistes sont de plus en plus rapaces. Entre 1997 et 2007, la part des bénéfices distribués est passée de 34,2 % à 44,5 %, en excluant l’intéressement. Enfin, selon la Commission européenne, entre 1983 et 2006, la part des dividendes dans le PIB (richesses produites) est passée de 3,2 % à 8,5 %.
Ces chiffres montrent que l’argent existe. Nos concitoyens sont en droit de s’offusquer et de se poser à la question : pour qui est la crise ?
La contradiction est éclatante entre, d’un côté, une souffrance sociale qui s’amplifie, et, de l’autre, l’opulence indécente du monde de la finance. En outre, le versement fou de ces dividendes ne profite qu’à une petite minorité, les habitués des assemblées générales d’actionnaires. Si onze millions de Français détiennent des valeurs mobilières, la concentration des capitaux dans les mains des gros « investisseurs » est telle qu’une infime couche sociale se gave littéralement.
Cette situation est insupportable. Pourquoi demander toujours aux mêmes, aux salariés, seuls créateurs des richesses produites, de se serrer la ceinture ? Pourquoi l’argent est-il de plus en plus accaparé par les propriétaires des capitaux, qui s’enrichissent en dormant ? Pourquoi ne pas mobiliser les richesses produites pour l’emploi, les salaires et les conditions de travail du plus grand nombre ?
Prenons l’exemple des profits du groupe Renault. Ils se sont élevés à 3 milliards en 2010. Cela signifie que, dans l’hypothèse d’un salaire annuel moyen de 28 275 €, malgré la crise, les bénéfices du groupe permettraient de financer la masse salariale annuelle de 106 000 personnes ! Un chiffre à comparer avec la casse de l’emploi actuelle à Renault : au cours de ces cinq dernières années, 11 700 emplois ont été supprimés en France et, en 2011, ce sont 3 000 départs en préretraite qui sont prévus ! Quel gâchis !
Les auteurs de la proposition de loi prêtent une grande attention à la rue, lorsqu’elle gronde « augmentez les salaires, pas les actionnaires ! ». Ils veulent apporter une solution à cette revendication juste.
Les salariés n’ont pas à payer une crise dont ils ne sont pas responsables ; ils n’ont pas à être les variables d’ajustement des exigences de rendements financiers des « marchés », lesquels résultent de choix humains, donc politiques. « L’humain d’abord » : tel est le principe qui guide les auteurs de la présente proposition de loi, qui vise à décréter d’urgence un moratoire sur le versement de tout dividende aux actionnaires.
Une mesure forte, qui permettrait de mettre un coup d’arrêt aux stratégies d’entreprise orientées vers le profit pour les actionnaires, qui ruinent notre économie. D’ailleurs, même certains penseurs libéraux estiment qu’il faut désormais une plus juste répartition des fruits du travail, considérant la tendance actuelle au surendettement des ménages ou encore au sous-investissement productif.
Dans l’esprit de l’article 37-1 de la Constitution, qui stipule que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental », il s’agirait d’interdire, à titre d’expérimentation, pour une durée limitée de cinq ans, aux associés des sociétés de se servir comme ils le font, s’adjugeant en toute liberté un « revenu minimum du capital » même en temps de crise. Ce gel des dividendes ferait l’objet d’une évaluation par les pouvoirs publics, afin de décider de sa prolongation.
Le montant des dividendes est devenu un baromètre de la casse sociale dans les entreprises : Sanofi-Aventis, 8 milliards d’euros de profits et 575 suppressions de postes en France ! Depuis 2006, les effectifs du groupe en France sont passés de 28 964 à 26 172, tandis que les dividendes par action n’ont cessé de croître !
Aussi, nous pouvons attendre de la fin du diktat des actionnaires une augmentation des marges de manœuvre des firmes, avec les conséquences suivantes : limitation de la spéculation boursière, arrêt de la casse de l’emploi et des politiques de rigueur salariale, redémarrage de l’investissement productif et de la recherche et développement, le tout sans aucune perte de compétitivité économique (pas d’augmentation globale des coûts) !
Enfin, il faut bien comprendre que ce redéploiement de centaines de milliards d’euros toucherait au porte-monnaie surtout les gros actionnaires puisque, comme nous le savons, les dividendes représentent une part infime des revenus des petits porteurs. C’est l’« euthanasie des rentiers » (1) qui est proposée, au plus grand bénéfice des travailleurs et de la société dans son ensemble.
Sous le bénéfice de ces considérations, il vous est demandé de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)

Maxime
Gremetz

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