Propositions

Propositions de loi

PLC n° 3890 - visant à consacrer l’égalité salariale hommes/femmes dans la Constitution

EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Si l’égalité entre les hommes et les femmes figure dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui affirme : « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme », force est de constater que ce droit n’est toujours pas devenu réalité et particulièrement en ce qui concerne l’égalité salariale. Dans la mesure où cette égalité n’est toujours pas réalisée, le Préambule n’ayant aucune valeur contraignante, il est impératif de se doter de moyens efficaces.
Cette proposition de révision de la Constitution demandant à ce que l’égalité salariale soit inscrite dans la Constitution répond à un impératif démocratique, qui exige le respect de la législation relative à la lutte contre les discriminations au travail, directes ou indirectes s’exprimant particulièrement dans les écarts de rémunération et ayant des conséquences dans la promotion. Elle répond aussi à une exigence sociale, afin que la vie familiale ne soit plus un obstacle à l’épanouissement professionnel des femmes mais aussi à un impératif économique dont l’ampleur n’est pas suffisamment prise en considération ; en effet, toutes les femmes, qui à travail et à responsabilité égaux, n’ont pas la même rémunération que les hommes, peuvent se trouver mises en difficulté en tant que mères célibataires et pénalisées au moment de leur retraite ; pour ces dernières, à la discrimination par le salaire, s’ajoute celle concernant la pension de retraite.
Quelques inégalités.
Les femmes dans le secteur privé ou semi privé.
Près de la moitié des femmes sont employées et représentent ainsi 76 % du nombre total d’employés, contre seulement 18 % du nombre total d’ouvriers.
Les deux tiers des postes de cadres du secteur privé sont occupés par des hommes, et moins de deux dirigeants sur dix sont des dirigeantes(1). Plus d’une femme sur dix (11 %) occupe un emploi temporaire (CDD, stages, emplois aidés) contre 8 % de l’ensemble des salariés.
Les femmes dans la fonction publique.
Elles occupent (hors militaires) près de 58 % des emplois de la fonction publique de l’État (60 % des emplois de catégorie A et 63 % des emplois de catégorie B(2)).
Les femmes gagnent 27 % de moins que les hommes(3), a contrario les hommes touchent 37 % de plus. L’écart est de 19 % pour des temps complets et 10 % à poste et expérience équivalents. Cette différence s’explique parce que les femmes sont cinq fois plus souvent en temps partiel que les hommes : leur revenu, tout temps de travail confondu, est logiquement inférieur à celui des hommes. De plus, le temps de travail des hommes est aussi accru par les heures supplémentaires qu’ils effectuent plus souvent que les femmes. Mais si les femmes travaillent à temps complet, elles perçoivent encore 19 % de moins (ce qui revient à dire que les hommes touchent 23 % de plus).
Selon l’INSEE, pour un salaire net annuel moyen de 18 730 euros :
– dans le secteur public et semi-public, les femmes gagnent globalement 20 % de moins que les hommes (23 315 euros) ;
– dans la fonction publique, l’écart est de 14 % ;
– chez les cadres, les femmes gagnent 23 % de moins que les hommes ;
– chez les ouvriers 17 % ;
– chez les employés 7 %(4).
À poste et expérience équivalents elles perdent 10 % du salaire masculin(5).
Si l’on tient compte des différences de poste (cadre, employé, ouvrier), d’expérience, de qualification (niveau de diplôme) et de secteur d’activité (éducation ou finance) environ 10 % de l’écart demeure inexpliqué. Cette différence de traitement se rapproche d’une mesure de discrimination pure pratiquée par les employeurs à l’encontre des femmes. Bien sûr, d’autres facteurs non mesurés ici peuvent entrer en jeu et expliquer partiellement ce phénomène, à l’instar de la situation familiale, du domaine du diplôme possédé ou des interruptions de carrière. Il n’en reste pas moins que la discrimination pure est sans doute de l’ordre de 6 ou 7 %.
L’ampleur de l’écart reste considérable.
Faudra-t-il encore attendre 50 ans pour atteindre une réelle parité ? Les femmes demeurent à l’écart des postes de responsabilité les mieux rémunérés, souvent employées pour les qualités qu’on leur attribue au prétexte qu’elles seraient « naturelles » (les relations sociales, la communication, etc...).
Il est temps que cette discrimination « pure » disparaisse car le droit à la non-discrimination constitue, avec le principe d’égalité, l’un des piliers fondamentaux non dérogeables des droits humains. Tous deux sont étroitement liés et essentiels à la jouissance des autres droits humains.
La non-discrimination dans les instruments internationaux.
Ce droit à la non-discrimination, consacré dans des instruments internationaux, repose sur le postulat général de l’égale dignité de tous les êtres humains, affirmé dans la charte des Nations Unies(6) et la Déclaration universelle des droits de l’Homme(7). Elle couvre aussi bien les droits civils et politiques que les droits économiques, sociaux et culturels.
Mais certaines dispositions de la DUDH interdisent la discrimination dans des domaines spécifiques tels que le travail, « tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal(8) ». Par ailleurs, la DUDH rappelle en plus que « (…) Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination(9) ».
Avec la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre des femmes(10), l’Organisation des Nations-Unies a défini, plus précisément, la discrimination sexuelle comme « toute distinction, exclusion ou restriction faite sur la base du sexe qui empêche les femmes de jouir de leurs droits et libertés fondamentaux, à égalité avec les hommes ».
La Convention 111 de l’Organisation internationale du Travail(11) interdit « toute discrimination, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale ou l’origine sociale qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité des chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession(12) ».
L’OIT, dans la Convention 100, vise « l’égalité de rémunération entre la main d’œuvre masculine et la main d’œuvre féminine pour un travail de valeur égale »(13).
Le Traité de Rome de 1957 consacre le principe de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes(14). En 1997, le Traité d’Amsterdam renforce cette déclaration, en incluant la promotion de l’égalité professionnelle(15). La Charte des droits fondamentaux mentionne également ce principe.
La Charte sociale européenne(16) exprime fortement le principe de non-discrimination concernant le droit à l’égalité des chances et de traitement en matière d’emploi et de profession sans distinction fondée sur le sexe(17).
Plusieurs directives sont parallèlement venues lui donner une portée pratique en matière de rémunérations :
– directive 75/117/CEE, sur l’’accès à l’emploi et à la formation professionnelle ;
– directive du 9 février 1976, sur le régime de sécurité sociale ;
– directive 79/7/CEE, sur la sécurité des travailleuses enceintes ;
– directive 92-85-CEE sur la charge de la preuve dans les cas de discrimination sexuelle ;
– directive 97/80/CEE du 15 décembre 1997.
Une nouvelle directive européenne est parue le 23 septembre 2002, sur la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail.
L’égalité salariale dans la législation française.
En plus de ces instruments internationaux ou régionaux, il y un nombre important de lois adoptées depuis 1972. Si elles ont permis des évolutions, il n’en demeure pas moins que l’égalité salariale n’est pas encore réalisée.
Pour mémoire,
– 1972, une loi instaure le principe d’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ; première d’une série de lois jamais vraiment appliquées sur le sujet ;
– 1975, loi interdisant toute discrimination dans la fonction publique ;
– 1977, suppression de l’allocation de salaire unique ;
– 1983, loi sur l’égalité salariale entre hommes et femmes, très peu appliquée. Cette loi(18) porte sur la modification du code du travail et du code pénal en ce qui concerne l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et réaffirme en droit français l’égalité professionnelle. Elle est née de la transposition de la directive communautaire n° 76/207 du 9 février 1976 relative à l’égalité d’accès à l’emploi, à la formation, à la promotion professionnelle et en matière de conditions du travail et oblige les entreprises à publier chaque année un rapport comparant les situations entre les hommes et les femmes et à proposer des « plans d’égalité ». Mais cette obligation n’est assortie d’aucune sanction ;
– 1984, le congé parental est ouvert à chacun des parents, au choix ;
– 2001, cette loi renforçant la loi de 1983 sur l’égalité entre les femmes et les hommes actualise la loi précédente en définissant quatre axes de mise en œuvre : le travail de nuit, le harcèlement sexuel, la représentation dans les élections professionnelles et l’obligation pour les entreprises de négocier tous les trois ans sur des mesures tendant à remédier aux inégalités constatées dans le monde du travail entre les hommes et les femmes ;
– 2005, nouvelle loi sur l’égalité professionnelle, sans critère contraignant ni sanction, en cas de non-respect des objectifs ;
– 2010, loi relative aux « violences exercées sur les femmes », au sein des couples, ayant des incidences sur les enfants, qui crée le délit de violences conjugales à caractère psychologique ;
– 2011, loi du 2011-103 (27 janvier 2011) relative à la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle qui prévoit l’instauration d’un quota de 40 % au sein des conseils d’administration à compter de janvier 2017.
Il y a aussi de nombreux rapports qui avancent des pistes pour réduire l’inégalité salariale entre les hommes et les femmes, dont ceux de :
– Marie-Jo Zimmermann, au nom de la délégation aux droits des femmes du 5 juillet 2011 (n° 3621) sur l’application des lois sur l’égalité professionnelle au sein des entreprises ;
– Brigitte Grésy, inspectrice générale des Affaires sociales, intitulé « rapport préparatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », juillet 2009.
Fondements juridiques.
Ces fondements juridiques sont au nombre de trois et permettent d’inscrire l’égalité salariale homme/femmes dans la Constitution :
1. L’égalité entre les hommes et les femmes reconnue par le Conseil constitutionnel sur le fondement du 3e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui proclame comme un principe particulièrement nécessaire à notre temps celui de l’égalité des sexes. Ainsi aux termes du Préambule, « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».
2. La lutte contre les discriminations sur le fondement plus général du principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel dans les nombreuses décisions qu’il rend sur ce fondement, s’efforce de censurer toute forme de discrimination instituée par la loi. Il a par exemple jugé que « l’attribution d’avantages sociaux liés à l’éducation des enfants ne saurait dépendre, en principe, du sexe des parents », ce qui constituerait une forme de discrimination (décision 2003-483 DC).
3. L’expérience des précédentes révisions constitutionnelles en matière d’égalité homme/femme : pour faire obstacle à la jurisprudence du Conseil constitutionnel prohibant toute forme de discrimination positive, la Constitution a été réformée en juillet 1999, afin d’y introduire l’exigence de parité. Il en est allé de même pour l’accès des femmes aux responsabilités professionnelles et sociales, avec la révision de 2008 ce qui a rendu possible l’adoption de la loi n° 2011-103. Dans le cas présent, dans la mesure où il se rattache à la lutte contre les discriminations qui constitue d’ores et déjà un objectif constitutionnel, l’inscription du principe d’égalité salariale dans la Constitution aurait une portée surtout symbolique.
Constat.
Il y a bien la politique dite « incitative sur l’égalité professionnelle » mais les échéances d’application de la loi ont été repoussées de 2010 à 2012. Les contraintes et les sanctions financières sont ridicules et de toute façon, les inspecteurs du travail formés sur cette question sont en nombre largement insuffisant pour contrôler les entreprises de toutes tailles qui n’appliquent pas la loi.
Une pénalité fixée à 1 % de la masse salariale de l’entreprise devrait entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2012. Qu’en sera-t-il exactement ?
Force, hélas, est de constater que l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est loin d’être acquise : salaires, statuts, conditions de travail, partage des tâches et des responsabilités, stéréotypes.
Il suffit de lire le Guide des salaires(19), pour constater que la crise éonomico-financière ne permet pas que les écarts de salaires se réduisent entre les hommes et les femmes, ajoutons que dans les entreprises privées françaises, ils sont restés importants en 2011 dans la plupart des fonctions.
C’est pour cela que cette proposition de révision de la Constitution a tout son sens de façon à changer le paysage social français en profondeur.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique
Le second alinéa de l’article 1er de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elle garantit l’égalité salariale entre les hommes et les femmes ».
1 () Source INSEE.
2 () Source INSEE.
3 () www.travail-solidarité.gouv.fr/img/pdf/2008.10-44.5.pdf.
4 () Source INSEE.
5 () Observatoire des inégalités.
6 () Art. 1.3 chapitre I de la Charte des Nations Unies.
7 () Art. 2.1, idem.
8 () Art. 23.2, DUDH.
9 () Art. 7, DUDH.
10 () Entrée en vigueur le 3 septembre 1981.
11 () 25 juin 1958.
12 () Art. 1.a.
13 () Art. 1.b, 29 juin 1959.
14 () Article 141.
15 () Article 2.
16 () Adoptée en 1961 au sein du Conseil de l’Europe, révisée en 1996. La nouvelle Charte dénommée « Charte révisée » est entrée en vigueur en 1999, voir http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/ html/163.htm.
17 () Article 20.
18 () n° 83-635 du 13 juillet 1983.
19 () Édité par Reed Business Information, 432 pages, paru le 5 septembre 2011, consultable sur www.guide-des-salaires.com.

Imprimer cet article

André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

Alain
Bocquet

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