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Pour une nationalisation temporaire et stratégique de l’entreprise Atos - 1884

Proposition de loi pour une nationalisation temporaire et stratégique de l’entreprise Atos

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Sébastien JUMEL,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Technip, Alstom, Ascoval, Arcelor, Pechiney, Alcatel. Tous ces noms, autrefois associés à de grandes réussites industrielles françaises, résonnent désormais comme les échos d’autant de renoncements économiques, d’abandons de souveraineté. Des renoncements et des abandons dans lesquels l’État n’a pas joué son rôle de stratège, alors que ces entreprises subissaient souvent les résultats de politiques de gestion désastreuse et avaient besoin d’être soutenues. Et même parfois, des situations où il a joué contre l’indépendance nationale, à l’instar de la vente d’Alstom qui a tant coûté à notre pays.

La société Atos pourrait malheureusement inscrire son nom à cette longue liste : fragilisée depuis plusieurs années par une déroute de sa direction qui a privilégié une stratégie de croissance externe en multipliant les achats d’entreprises ou d’actifs - acquisitions des services informatiques de l’industriel allemand Siemens en 2010 ; rachat des activités informatiques de Xeroxen 2014 ; rachat de la société Syntel en 2018 – elle fait face à présent à une déstabilisation économique sans précédent. En l’espace de cinq ans, l’action Atos a perdu plus de 90 % de sa valeur en bourse. Une telle dévalorisation a conduit l’entreprise à préparer son propre sabordage avec l’organisation d’une opération de division de l’activité de la société en deux nouvelles entités, annoncé officiellement le 15 juin 2022.

Cette scission emporterait d’une part, la future société indépendante « Tech Foundations » (Atos) qui conserverait les activités historiques de l’entreprise, à savoir ses activités d’infogérance, la gestion des systèmes informatiques des entreprises ; et d’autre part, Eviden qui emporterait les activités de transformation digitale du groupe (intégration des systèmes informatiques via le cloud, décarbonation, intelligence artificielle), celles de la division « Big Data et Sécurité » (BDS) qui regroupe la cybersécurité, la gestion de serveurs haute performance ainsi que le calcul intensif. Ce plan de scission a été doublé depuis, après des échecs en négociation avec Airbus notamment, par une annonce le 1er août 2023 de la vente de la société Tech Foudations à l’entreprise de l’homme d’affaire tchèque Daniel Kretinsky, EPEI, ainsi que sa montée au capital à hauteur de 7,5 % dans la société Eviden. Une annonce qui a aggravé la crise au sein de l’entreprise Atos.

La revente à la découpe d’actifs aussi stratégiques que les savoir‑faire en matière de cybersécurité, de maîtrise du cloud ou de développement des supercalculateurs, utiles au fonctionnement de nos installations nucléaires et de notre défense nationale est une hypothèse qui placerait la France dans une situation de risque accrue de perte de souveraineté. Comment imaginer perdre aujourd’hui la maîtrise de nos supercalculateurs alors même qu’en 2014, comme l’ont rappelé dans une tribune le 2 aout dernier des élus Les Républicains, un « accord de coopération avait été mis en place entre le groupe informatique français Bull, repris en 2014 par Atos, et les instances en charge de notre défense pour éviter le risque d’embargo américain et mettre la France dans une position de dépendance vis‑à‑vis de son allié » ? D’autres secteurs clefs de notre indépendance seraient impactés par cette opération, comme les logiciels de nos administrations ou ceux de la CNAM par exemple. Est également en jeu l’avenir de certains investissements stratégiques de notre pays, notamment dans l’avenir de la recherche quantique, pilier du développement de l’intelligence informatique.

Alors que la Première Ministre assurait le 26 septembre dernier, que l’opération de rachat ne viendrait pas contrecarrait le champ d’application du décret Montebourg, affirmant qu’elle « n’aurait aucune incidence en termes de contrôle ou de droit de blocage sur les activités sensibles », l’État ne peut se tenir à distance d’un tel dossier en s’abritant derrière une position d’attente. La souveraineté nationale ne peut demeurer dans un périmètre défensif.

Considérant les défaillances des grandes entreprises et du marché à garantir à eux seuls la protection de nos intérêts, le rôle de l’État doit être beaucoup plus offensif, en utilisant l’ensemble de ses outils disponibles pour protéger la position de la France.

Des acteurs institutionnels publics sont dès à présent en capacité de conduire un sauvetage stratégique de l’entreprise, comme la Banque Publique d’Investissement dont le rôle est d’œuvrer activement au soutien de nos entreprises stratégiques. Le programme « France 2030 » est aussi un véhicule utile dont l’État pourrait se saisir pour transformer concrètement son ambition en matière numérique. Renoncer à protéger Atos d’un rachat par des investisseurs étrangers reviendrait à renoncer aux promesses présidentielles, qui avait fait de « France 2030 » le programme permettant la maîtrise « des technologies numériques, notamment dans les secteurs de la cybersécurité, du quantique, du cloud et de l’intelligence artificielle, et par un investissement dans les talents et les compétences, notamment pour moderniser l’appareil de production et créer des écoles formant à l’intelligence artificielle ».

Faute de pouvoir conduire jusqu’au bout un débat parlementaire à l’Assemblée nationale sur ce sujet, alors même que la commission des finances a adopté un amendement visant à octroyer les fonds supplémentaires à l’État pour préserver les actifs stratégiques d’Atos, nous considérons que le Parlement doit se saisir de cette question. En visant une nationalisation temporaire de la société Atos, la présente proposition de loi a pour objet de protéger l’entreprise et garantir une transition vers un projet industriel qui garantisse à la fois à notre pays la souveraineté sur les actifs stratégiques et la préservation des 110 000 emplois que compte le groupe. Cette mesure si elle représente un coût pour les finances publiques – la valorisation actuelle du groupe est estimée aux alentours de 550 millions d’euros – ne doit pas éluder le coût plus fort que constituerait un démembrement du groupe pour l’intérêt général.

En ce sens, l’article 1er prononce la nationalisation de la société Atos France afin de garantir une propriété publique temporaire de l’entreprise, la protégeant d’une vente accélérée qui se révélerait défavorable aux intérêts de notre pays. Une nationalisation temporaire est de nature à garantir également à l’État le moyen de construire avec des repreneurs Français un projet industriel cohérent.

L’article 2 prévoit la mise en place d’un dispositif visant à assurer aux actionnaires des sociétés visées par la loi de nationalisation un droit à la compensation du préjudice subi par eux, conformément aux dispositions de jurisprudence constitutionnelle sur les lois de nationalisation. En l’espèce, l’article instaure une commission ad hoc, telle que mise en place par la loi de nationalisation du 11 février 1982, composée de différents membres, dont la mission sera de définir la valeur des actions dans le cadre de la mise en œuvre de la présente proposition de loi.

L’article 3 définit les modalités de gouvernance provisoire qui régissent la gestion de la société « Atos France » jusqu’à l’application de la nationalisation. Lorsque la nationalisation sera effective, la société est régie par la loi de 1983 relative à la démocratisation du secteur public.

L’article 4 vient préciser de quelles manières les contrats de travail et la gestion des personnels est organisée durant toute la durée de la nationalisation. Il propose un renvoie par décret qui devra garantir une gestion juste et équilibrée des personnels jusqu’à la fin de la nationalisation temporaire.

Enfin, l’article 5 vise à exiger qu’au‑delà d’un délai d’un après la publication de la loi, et de ce fait de la nationalisation, un projet de transition industrielle de l’entreprise nationalisée soit présenté devant le Parlement. Ce projet aura pour objectifs de présenter les modalités de fin de nationalisation de la société mais également devra fournir un plan sérieux de reprise de l’activité industrielle. Cet article est ainsi le gage que la nationalisation d’Atos est une action temporaire et stratégique.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La société « Atos France » est nationalisée.

Article 2

Une commission administrative nationale d’évaluation composée du premier président de la Cour des comptes, du gouverneur de la Banque de France, du président de la section des finances du Conseil d’État, du président de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation et d’un membre du Conseil économique, social et environnemental désigné par le président de cette assemblée est chargée de fixer la valeur d’échange à cette date des actions de la société « Atos France ».

Article 3

Jusqu’à la réunion du nouveau conseil d’administration, pour un délai ne pouvant excéder six mois, conformément à l’article 5 de la loi relative à la démocratisation du secteur public, un administrateur général est nommé dans chaque société nationalisée par décret en conseil des ministres. Il assure l’administration et la direction générale de la société et dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Les présidents des conseils d’administration, les administrateurs, les directeurs généraux, les membres du directoire ou du conseil de surveillance restent en fonction jusqu’à la nomination, dans les plus brefs délais, de l’administrateur général.

Les organes représentatifs des salariés restent en fonction et exercent la plénitude de leurs droits jusqu’à leur renouvellement.

Les commissaires aux comptes demeurent en fonction jusqu’à la réunion de l’assemblée générale qui suivra la publication de la présente loi.

Article 4

Les contrats de travail des personnels en activité affectés dans un emploi au sein de la société « Atos France » sont transférés à l’État. La gestion administrative de ces personnels est définie par décret en Conseil d’État.

Article 5

Douze mois au plus tard après la promulgation de la présente loi, un comité stratégique, composé du ministre en charge de l’économie et des finances, des représentants du conseil d’administration de la société « Atos France », des représentants des organisations syndicales de salariés de la société, présente un rapport de transition industrielle pour la société et ses filiales.

Ce projet fait l’objet d’un débat au Parlement.

Article 6

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)
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