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Propositions de résolution

PR n° 981 tendant à la création d’une commission d’enquête sur la place et le rôle des fonds d’investissement dans l’économie, sur leurs méthodes d’acquisition d’entreprises par effet de levier appelé LBO ...

présentée par Mesdames et Messieurs les député-e-s,
Alain BOCQUET, François ASENSI, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE et Nicolas SANSU,
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de résolution prolonge les démarches engagées dès décembre 2006 pour la mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire sur la place et le rôle des fonds d’investissement dans l’économie.
Démarche reprise ensuite en décembre 2007, alors que déjà la crise des subprimes, éclatée au cœur de l’été 2007, gangrenait peu à peu tout le corps de l’économie réelle. Six ans plus tard, les problèmes posés ont pris une ampleur plus menaçante encore. Problèmes étroitement liés à la situation globale de l’économie et de l’emploi tant le dispositif des LBO par exemple, s’inscrit au cœur des stratégies de financiarisation de l’économie. Des LBO dont le mode de fonctionnement s’accompagne dans les entreprises concernées, du creusement des inégalités salariales, d’un faible niveau d’investissement et de destructions d’activités et d’emplois.
Autant d’éléments qui tendent à démontrer le peu de cas qui est fait, dans l’application de ces dispositifs, de la responsabilité sociale des intervenants : gérants de fonds d’investissement au premier chef.
C’est le constat que dresse par exemple le Collectif LBO, dans un courrier de juillet 2012 au président de la République, rappelant que des analyses montrent « une déformation préoccupante de la répartition de la valeur ajoutée dans ces sociétés, au profit d’actionnaires et au détriment des salariés et de l’investissement ».
En décembre 2006, il s’agissait notamment d’évaluer à la fois – et cela reste pleinement d’actualité – les méthodes d’acquisition d’entreprises par effet de levier (LBO), et les conséquences de ces pratiques sur l’emploi, les salaires, les conditions de travail et l’économie.
Il s’agissait également d’envisager les solutions alternatives, les évolutions du droit fiscal, susceptibles d’être mises en œuvre ; ce qui pose notamment le problème du régime fiscal des plus-values de cession appliqué à ces opérations.
Examiné le 17 janvier 2007 par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le rapport de présentation de la proposition avait souligné le rôle grandissant des fonds d’investissement dans l’économie, établi en particulier par les études de l’Association Française des Investisseurs en Capital (AFIC) devenue aujourd’hui Association Française des Investisseurs pour la Croissance. Il avait également précisé le mécanisme de fonctionnement des opérations de leveraged buy-out (LBO).
« Une opération dite de leveraged buy-out, pouvait-on lire, se traduit par le rachat d’une entreprise avec effet de levier, c’est-à-dire avec endettement bancaire. Cette opération permet aux investisseurs de conserver ou d’acquérir le contrôle d’une société visée tout en minimisant leurs apports en fonds propres, puisque l’acquisition est largement financée par un emprunt bancaire dont le coût est inférieur au taux de rentabilité attendu de la cible (…) Classiquement la technique de rachat d’entreprise avec effet de levier, est utilisée dans plusieurs situations, la plus courante étant celle de la transmission patrimoniale. Différents contextes sont également propices à ces opérations, notamment pour la cession de filiales rentables d’un groupe ou pour mettre un terme à l’instabilité de l’actionnariat d’une société par exemple.
Or, la procédure est aujourd’hui progressivement banalisée, puisque le rachat par LBO est de plus en plus effectué en dehors de toute stratégie propre à l’entreprise. Les fonds d’investissement tendent même à se grouper pour mener des opérations plus lourdes financièrement, voire pour conduire des offres publiques d’achat hostiles, visant à contrecarrer le refus de rachat par les sociétés concernées.
Le montage classique consiste à constituer une société holding qui s’endette pour racheter la cible : le holding paiera en effet les intérêts de sa dette et remboursera celle-ci grâce aux dividendes réguliers ou exceptionnels provenant de la société rachetée. Autrement dit, c’est la société cible qui rembourse la dette d’acquisition. (…) L’objectif est de revendre plus tard la société avec une forte plus-value, à d’autres fonds ou à des industriels. »
Le rapport débattu en janvier 2007 pointait également les dispositifs fiscaux bénéficiant aux auteurs de ces opérations ; notamment les articles 223 A et suivants du code général des impôts et le régime d’intégration fiscale qui permet au holding de se constituer seul redevable de l’impôt sur les sociétés du groupe et de faire jouer la déductibilité des frais financiers de la dette d’acquisition, du bénéfice imposable de la cible. Cette question figure plus que jamais aujourd’hui au cœur du débat national sur la réforme nécessaire de la fiscalité. Et directement de la fiscalité des entreprises dont nul ne conteste plus qu’elle pénalise les PME et favorise les groupes multinationaux et leurs dispositifs d’optimisation.
Voilà pour le cadre dont le président UMP de la Commission des finances avait alors souligné le caractère préoccupant. « Il est évident, déclarait-il en ouverture de la discussion parlementaire de janvier 2007, que la recherche d’une rentabilité immédiate peut avoir des incidences sur l’emploi et sur la politique industrielle dans certains bassins. Il est également indéniable que le droit gagnerait à être précisé. Par ailleurs, il faut insister sur le caractère parfois invérifiable de certaines des informations qui circulent sur les opérations de LBO. Ainsi, les informations avancées par l’AFIC, selon lesquelles les entreprises qui ont été reprises à la suite d’opérations de LBO ont créé plus d’emplois que la moyenne des entreprises françaises, et que la qualité de la gestion a permis d’améliorer leur situation, notamment en termes d’emplois, doivent être vérifiées. Enfin, une comparaison avec les pays européens apparaît indispensable ».
D’autant plus indispensable à présent que les témoignages ne manquent pas non plus, de la détermination de fonds d’investissement étrangers à mettre à profit ou susciter les difficultés des entreprises pour s’en emparer, ainsi qu’en témoigne par exemple, ce commentaire de la revue Challenges du 31 octobre 2012 : « Certains financiers anglo-saxons se font fort de tirer profit de la faiblesse d’entreprises françaises ». Commentaire qui en référence aux entreprises en LBO, souligne le rôle des fonds de retournement « urgentistes du financement qui viennent redonner de l’oxygène aux entreprises au bord de l’asphyxie, généralement au prix d’une chirurgie lourde ».
La Commission des finances de janvier 2007 avait ainsi retenu à l’unanimité une double orientation : celle d’abord de procéder à l’audition d’acteurs et de spécialistes de ces questions : AFIC, Collectif LBO et CDC Investissement. Celle ensuite, de « prendre l’engagement que, dès le début de la prochaine législature, un travail d’information interne (soit) entrepris. Si un consensus se dégageait d’ores et déjà à ce propos, il lierait la prochaine Commission, quelle que soit sa composition. Une mission d’information serait alors constituée ».
Ce double engagement trouva à l’époque beaucoup plus qu’un écho au sein du monde politique. « La multiplication ces derniers mois, des opérations de rachats d’entreprises avec effet de levier, ou LBO (…) est porteuse de réelles menaces pour notre cohésion économique et sociale » déclarait par exemple le Parti socialiste « favorable à la création d’une commission d’enquête sur la place et le rôle des fonds d’investissement dans notre économie ».
Le futur président de la République allait d’ailleurs y revenir à plusieurs reprises notamment en avril 2012 à l’occasion d’une rencontre avec les ex-salariés de l’entreprise de chariots-élévateurs Still-Saxby de Montataire dans l’Oise.
« C’est toujours le même processus : un groupe financier vient, reprend pour une somme modique les capitaux d’une entreprise, et se rémunère en se faisant rembourser ses emprunts par les bénéfices de l’entreprise (…) Le législateur aura à revenir sur le LBO, de façon à le réserver exclusivement aux salariés et aux cadres d’une entreprise, et pas à des financiers qui viennent prendre la substance d’une entreprise et la vendre après. »
Dans cette perspective d’un travail législatif qui aurait besoin d’être élargi à la question des compétences des instances représentatives du personnel au sein des entreprises, la nécessité d’établir avec la création d’une Commission d’enquête, un point de situation sur la place et le rôle des fonds d’investissement s’impose d’autant que les engagements de janvier 2007 n’ont pas été tenus. Les auditions décidées n’ont été que partiellement réalisées et la mission d’information n’a pas été concrétisée sous la précédente présidence de la République.
Or l’économie française et européenne a subi des bouleversements majeurs en 6 ans, au fur et à mesure de sa financiarisation et de l’extension de la crise bancaire et boursière à l’ensemble des secteurs. D’où l’urgence de revenir sur ces questions et d’une enquête de terrain.
D’où également l’utilité et l’importance que la Commission d’enquête qui serait créée s’attache à la définition de solutions alternatives contribuant à la maîtrise du capital investissement avec : la mise en place d’un pôle financier public ; la création d’un observatoire économique indépendant, doté de moyens humains et budgétaires pour suivre la pénétration des dispositifs de LBO dans l’économie et en mesurer objectivement les effets progressifs sur les entreprises ; l’encadrement réglementaire et la transparence des pratiques des fonds d’investissement ; l’information et l’intervention des salariés et de leurs représentants dans la gestion ; la réforme de la fiscalité des entreprises puisque les dispositifs de LBO produisent des pertes de recettes fiscales pour l’État.
Ainsi, il serait utile de revenir plus efficacement que ne le fait la loi de finances 2013, sur les dispositifs de déductibilité (*) des intérêts des emprunts contractés par un fonds ou une société pour acquérir une entreprise. « Or souligne par exemple, la Tribune du 18 avril 2012, la déductibilité – du résultat imposable – des intérêts de la dette d’acquisition constitue un des piliers de la rentabilité des fonds de LBO. Destinée à décourager les investissements purement financiers et à faire la chasse aux niches fiscales, cette mesure rapporterait quatre milliards d’euros à l’État ».
Un ultime argument plaide en faveur de l’adoption de cette proposition de Commission d’enquête. C’est celui des risques bancaires que fait peser sur l’économie dès 2013 et 2014, le « mur de la dette » constitué par l’accumulation des procédures de LBO engagées au début et au cours des années 2000. Ce sont par exemple quelques 1 500 entreprises françaises qui étaient rachetées par ce biais en 2008. Un chiffre, déjà important, à mettre aussi en perspective avec celui du nombre des entreprises françaises qui sont cédées tous les ans : près de 2 000 selon l’AFIC.
Au début de l’été 2012, l’agence économique Moody’s, reprise et commentée par l’ensemble de la presse, laissait envisager que beaucoup d’entreprises rachetées par LBO pourraient faire défaut d’ici 2015.
Citant cette étude de fin mai 2012 en exemple, l’Expansion du 1er juin 2012 écrit : « sur 254 entreprises rachetées par LBO, un quart pourrait faire défaut d’ici 2015, quand les emprunts faits pour les acquérir arriveront à échéance et qu’il faudra les renouveler. Ces dettes, d’un montant global de 133 milliards d’euros, concernent au premier chef des entreprises britanniques (54 milliards d’euros) suivies par des allemandes et des françaises ». Un quart et peut-être bien davantage si les possibilités de refinancement devaient faire durablement défaut.
Ancien président de l’AFIC, Jean-Louis de Bernardy, peut déclarer que « s’il y a une bombe LBO, les victimes doivent être les banques et les fonds, et surtout pas les entreprises et les employés. Le LBO est un jeu entre adultes consentants, les fonds et les banques savent les risques qu’elles prennent ». Il n’empêche que les crises récentes des subprimes et du système bancaire ont bel et bien laissé sur le carreau des entreprises, des salariés, des bassins d’emploi alors que le système bancaire soutenu par la création monétaire et attributaire de milliards de fonds publics, se porte bien et continue comme avant. La crise ne cesse de faire, tous les jours, des victimes dont témoignent l’expansion du chômage mois après mois et l’entrée en récession des économies européennes qui ne sortiront pas indemnes, au contraire, des politiques d’austérité qui leur sont appliquées à défaut de s’attaquer à l’origine du mal : la financiarisation de l’économie.
Dans le numéro 187 du Bulletin de la Banque de France, on peut lire en annexe de l’étude intitulée « Les caractéristiques des montages LBO en France : de fortes spécificités pour les cibles de petite ou moyenne taille » la mise en alerte suivante : « Dans la mesure où ces montages reposent essentiellement sur l’endettement, tout retournement de conjoncture ou même une simple baisse de la rentabilité de la société rachetée peut remettre en cause la capacité de remboursement de l’ensemble constitué de la société holding et de la société d’exploitation, jusqu’à mener au dépôt de bilan. De tels montages sont donc, par nature, vulnérables. Dans tous les cas, l’importance du service de la dette risque de limiter pendant plusieurs années les possibilités d’investissement de l’entreprise, réduisant sa capacité à faire face aux adaptations et à développer son potentiel de production ». Or ce sont là des enjeux majeurs du redressement productif, du développement de la recherche et de l’innovation, et de la réindustrialisation de l’économie nationale.
Repris par l’Usine Nouvelle, le cabinet américain Dealogic estime que les LBO constitués jusqu’en 2008 « vont devoir rembourser 550 milliards de dollars (près de 425 milliards d’euros) en Europe d’ici à 2016, dont 86 milliards de dollars pour la France ». Tandis qu’un autre cabinet, Bain & Co, cité par la Tribune estime « qu’à l’échelle mondiale, pas moins de 40 % des entreprises rachetées par des fonds de capital-investissement entre 2004 et 2008, valent aujourd’hui moins que le prix payé à l’époque ».
Ces constats se complètent dans une période où paradoxalement, des investisseurs financiers comme la banque Merill Lynch annoncent le retour des LBO, dont témoigne l’opération sur le fabricant de PC américain Dell. Cette perspective est très préoccupante après une année difficile aux plans mondial et européen (à 66 milliards de dollars, - 30 %), mesurée par exemple par Thomson Reuters ou le cabinet Preqin qui estime cependant que « le “trésor de guerre” des fonds de LBO européens et américains dépasse 317 milliards de dollars » (Le Monde du 6 février 2013).
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments et constats, il est proposé d’adopter la présente résolution tendant à la création d’une Commission d’enquête parlementaire sur la place et le rôle des fonds d’investissement dans l’économie, sur leurs méthodes d’acquisition d’entreprises par effet de levier appelé LBO, sur les conséquences de ces pratiques pour l’emploi et les salaires, ainsi que sur les solutions alternatives qu’il conviendrait de mettre en œuvre à partir de la constitution d’un pôle financier public.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’investiguer sur la place et le rôle des fonds d’investissement dans l’économie, sur leurs méthodes d’acquisition d’entreprises par effet de levier appelé LBO, sur les conséquences de telles pratiques pour l’emploi, les salaires et les conditions de travail ainsi que sur les solutions alternatives qui pourraient être mises en œuvre à partir de la constitution d’un pôle financier public.
* () La suppression de la déductibilité des intérêts de la dette d’acquisition envisagée par le président de la République n’aura pas lieu. « Finalement, écrit La Tribune du 8 janvier 2013, la déductibilité des intérêts d’emprunt ne disparaîtra pas, mais sera plafonnée à 85 % des charges financières nettes en 2012 et 2013, et à 75 % à partir de 2014 ».

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Alain
Bocquet

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