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Questions au gouvernement

Principe de laïcité pour l’accueil des mineurs

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, je veux réaffirmer ce soir l’attachement indéfectible des députés du Front de gauche à la laïcité, principe essentiel de la République et principe fondateur de notre pacte social. Nous connaissons les menaces qui pèsent sur elle en raison des fractures du pacte social et républicain. Mais, à la lecture de la proposition de loi de nos collègues du groupe RRDP dans sa rédaction initiale, j’ai réagi sur deux idées qui sont pour moi importantes. D’abord – et j’aurai l’occasion d’y revenir –, la conception que nous pourrions avoir du lieu de travail que sont aussi les structures d’accueil des mineurs. Ces espaces relèvent-ils, comme tout établissement employant des salariés, de la citoyenneté ? Les principes fondateurs de la République – liberté, égalité, fraternité – doivent-ils ou non y être appliqués ?
Pour nous, les libertés individuelles ont toute leur place dans les lieux de travail. C’est ce qu’affirme le préambule de la constitution de 1946 : « Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». Ensuite, se pose la question de la conception de la laïcité défendue par notre République : une laïcité d’interdits, ou une laïcité partagée, parce que construite par l’éducation – l’école peut jouer un grand rôle – et le débat citoyen ? Je suis pour une laïcité qui soit, dans la ville comme sur le lieu de travail, un levier du vivre ensemble.
Votre proposition de loi fut, au Sénat, présentée comme s’inscrivant dans le prolongement de la loi du 15 mars 2004 qui prohibe, dans les écoles, collèges et lycées publics, le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Il s’agit ici d’étendre à des entreprises privées, des structures d’accueil de mineurs, des conditions d’application du principe de neutralité, en prenant comme critère principal l’existence ou non d’un financement public.
Ce texte vise à apporter une solution définitive à la complexe affaire juridico-judiciaire dite Baby Loup. La directrice de cette crèche associative avait procédé au licenciement d’une employée qui refusait d’ôter son voile, alors que le règlement intérieur préconisait le respect des principes de laïcité et de neutralité, qui s’appliquaient dans l’exercice de l’ensemble des activités en rapport avec les enfants. L’employée a contesté le licenciement en portant plainte pour discrimination. Au terme de la procédure judiciaire, le licenciement a finalement été confirmé par un arrêt du 25 juin 2014 rendu par la Cour de cassation. Cet arrêt, qui se fonde sur les obligations posées par le règlement intérieur de la crèche, ne constitue pas un arrêt de principe permettant de faire jurisprudence et de trancher la question de l’application de la neutralité dans les structures d’accueil de mineurs à statut privé.
Outre le fait que le vrai problème de Baby Loup – Mme la secrétaire d’État l’a évoqué – est aujourd’hui de trouver les moyens publics pour poursuivre son expérience unique et exceptionnelle d’accueil 24 heures sur 24 des enfants et parents, ce qui est notable dans cette affaire, c’est que la décision de justice s’appuie sur la place et l’interprétation du règlement intérieur : une disposition interne à l’entreprise qui a donc des points d’appui.
Le Gouvernement, à l’issue du comité interministériel du 6 mars, a d’ailleurs annoncé l’élaboration et la diffusion prochaine, en concertation avec les partenaires sociaux, d’un guide pratique sur la laïcité dans l’entreprise ; un ouvrage dont le ministère du travail lui-même indique qu’il devra « fournir des réponses précises et opérationnelles aux questions posées régulièrement par l’application du principe de laïcité dans l’entreprise ». Le guide de l’Observatoire de la laïcité sur la gestion du fait religieux dans l’entreprise privée précise que « l’employeur, peut, comme pour d’autres libertés individuelles, en restreindre l’exercice, par le biais du règlement intérieur ou du contrat de travail, si sa décision est justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché ».
Beaucoup a été dit dans cet avis. On le voit, employeurs et salariés peuvent, dans le respect du code du travail, trouver des solutions. L’exemple de l’entreprise Paprec en témoigne : elle s’est dotée d’une charte de la laïcité et de la diversité intégrée à son règlement intérieur. Elle a été approuvée par référendum par ses 4 000 salariés, originaires de cinquante deux pays et titulaires d’une trentaine de nationalités différentes.
M. Jean Glavany. Très bonne initiative !
Mme Marie-George Buffet. J’imagine en effet qu’elle pourrait être étendue à tout le pays : ce serait magnifique.
Cette charte « interdit le port de signes ou de tenues par lesquels les collaborateurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Aussi pourquoi, au lieu de légiférer comme nous le proposent nos collègues, ne pas s’inspirer de cette démarche de citoyenneté sur les lieux de travail ? Pourquoi ne pas prendre le parti de la réflexion et de la négociation communes, et tendre vers des accords collectifs partagés, et donc plus facilement applicables ?
Car si la laïcité est menacée, un des dangers qui la menace n’est-il pas qu’elle soit trop souvent vécue comme imposée, et non construite en commun ? Vous le savez, monsieur Tourret, votre proposition de loi a soulevé beaucoup de questions. L’Observatoire de la laïcité a exprimé – j’ai trouvé à cet égard la remarque relative à « l’Observatoire de la foi » quelque peu déplacée – sa réserve à l’égard de votre initiative. Dans son avis du 9 mars dernier, il a rappelé son opposition à toute nouvelle législation relative à l’extension au secteur privé de l’obligation de neutralité. Dans cet avis, il considère que « le droit actuel, bien que méconnu, permet déjà d’encadrer le fait religieux, y compris les tenues vestimentaires, et d’interdire tout prosélytisme au sein d’une entreprise privée ».
L’arrêt crèche Baby Loup de la Cour de de cassation du 25 juin 2014 l’a confirmé, aller au-delà et imposer une neutralité générale et absolue pourrait être contre-productif et contrevenir aux principes constitutionnels d’égalité et de liberté de conscience garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Cela pourrait également conduire à s’opposer au principe de laïcité qui garantit cette liberté.
Saisis de cette même question, la Commission nationale consultative des droits de l’homme et le Conseil économique, social et environnemental ont adopté deux avis allant dans le même sens, c’est-à-dire s’opposant à toute nouvelle législation de ce type. Des associations ont exprimé leurs craintes de voir ce débat raviver des rejets.
Oui, cette proposition de loi suscite beaucoup d’interrogations quant à son opportunité, alors même que le code du travail prévoit déjà, je l’ai montré, la possibilité pour un employeur, via le contrat de travail ou le règlement intérieur, de traiter la question de la liberté religieuse. Les interrogations sur la raison d’être de cette proposition de loi s’appuient non seulement sur l’évolution de son contenu, mais aussi sur les conditions de sa discussion. De modifications en modifications, elle a perdu de sa substance, au point que se pose aujourd’hui la question de sa raison d’être.
Chers collègues, la laïcité ne peut être vécue comme une somme d’interdits. En prenant connaissance des amendements déposés par les députés siégeant à la droite de l’hémicycle, je constate que certains cherchent à utiliser cette valeur formidable pour diviser, interdire et rejeter une partie de nos concitoyens.
Repartons du remarquable travail de la commission Stasi, devant laquelle j’avais été, à l’époque, auditionnée. J’avais souligné que la laïcité vaux mieux que l’accumulation de lois partielles. Elle est un des principes qui garantissent à notre peuple sa cohésion dans la pluralité. Elle découle directement de l’affirmation de droits universels, qui ne sont pas liés à l’appartenance à tel ou tel groupe social pas plus qu’à la profession de telle ou telle opinion. Ces droits supposent la liberté d’opinion et de pensée, la liberté religieuse et, plus que la tolérance, la reconnaissance. La laïcité est donc la garantie d’une société de paix, bâtie par des hommes et des femmes différents qui veulent vivre ensemble.
Vaincre le repli et l’intégrisme suppose une politique beaucoup plus audacieuse en faveur de la laïcité, par exemple pour défendre les droits des femmes face à tous les intégrismes qui s’y opposent. On a encore pu le constater l’an dernier avec les campagnes contre les ABCD de l’égalité, ou, au sein de notre hémicycle, lorsque nous avons réaffirmé le droit à l’IVG. Une politique plus audacieuse pourrait, par exemple, donner à chaque jeune les moyens de son autonomie et faire vivre l’égalité dans tous les domaines et sur tout le territoire, en allant vers une VIème République soucieuse de la parole citoyenne.
Dans un même mouvement, il faut affirmer que l’autorité publique, qui procéde de la souveraineté du peuple, ne peut être soumise à aucune tutelle. La laïcité fait donc de la République un espace accueillant toutes les représentations du monde, dès lors qu’elles ne contestent pas son principe, ses valeurs, ses lois, et les droits de tous ses enfants.
C’est pourquoi nous craignons l’image qui en est donnée à travers ces lois partielles qui s’ajoutent les unes aux autres. Idéal positif et mobilisateur, la laïcité n’est pas une grammaire statique. Elle a besoin qu’on lui donne du souffle, de s’expérimenter et d’être vécue en conscience. Elle a besoin non de la peur et des phobies, mais de l’expression des différences dans le respect d’autrui et de la société.
Le renouveau de la laïcité doit nécessairement s’accompagner de celui de la citoyenneté, de la politique et de la recherche de sens. La mixité de notre société, l’unité de notre peuple et l’universalité de l’humanité exigent en effet de rechercher ce qui nous fait semblables. Il faut la liberté, l’égalité et la fraternité.
Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche, en l’état actuel de ce texte, s’abstiendront.

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