Interventions

Budget de l’État

Budget : rapport préalable au débat d’orientation budgétaire pour 2008

 
Monsieur le président, je regrette que M. Goulard, effrayé par la perspective de mon propos, prenne déjà la fuite ! (Sourires.)
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, une remarque préalable : vous ne pouvez pas exiger des petites frappes et des malfrats qu’ils respectent la loi si vous-mêmes la violez. Il est vrai que ce ne sont pas les mêmes qui sont violées… Vous, vous violez la première d’entre elle, notre loi fondamentale : la Constitution. Vous l’avez déjà fait à plusieurs reprises tout à l’heure : tant que la Constitution n’est pas modifiée, vous ne pouvez pas attribuer au Président de la République un autre rôle que celui qui lui est dévolu par la Constitution elle-même à l’article 5. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Quoiqu’en dise d’ailleurs le principal intéressé, dont on voit se profiler, de plus en plus, les tendances bonapartistes, même si on est passé de la Corse aux Vosges, cela ne change rien quant au fond ! C’est tout à fait insupportable parce que vous y perdez de l’autorité.
Monsieur le ministre, avant d’en venir au cœur de mon propos, je tiens d’abord à vous remercier pour avoir fait marche arrière sur la pratique de la novlangue, pour avoir enfin abandonné l’expression « zéro volume », qui ne veut rien dire du tout ; sauf pour les jargonneux. Vous vous êtes corrigé. À tout péché miséricorde !
Monsieur le ministre, vous avez dit, à propos du service public, qu’économie n’est pas synonyme de détérioration, que ralentir la dépense ne voulait pas dire que le service public serait moins bon. Il faudra que vous nous expliquiez comment cela marche à l’école ou à l’hôpital public. Tous ceux parmi nous qui sont maires et qui président un conseil d’administration le savent, y compris à Paris dans les hôpitaux de l’APHP : aujourd’hui, même pour des pathologies graves, il faut attendre des semaines et parfois des mois pour obtenir un rendez-vous ! Vous pourriez me faire remarquer que cela raccourcit les circuits puisqu’à un certain moment il n’y a plus besoin d’aller à l’hôpital : il suffit d’aller directement aux pompes funèbres ! Vous êtes en train de plomber la santé publique.
Vous avez parlé des difficultés de la Sécu, mais c’est vous qui les créez en élargissant sans cesse le trou, en supprimant des cotisations sociales pour beurrer la tartine de ceux qui sont déjà des privilégiés ! Il y aurait une bonne formule : vous parlez de démocratie, le Président de la République en tête ; il a le droit d’en parler, mais ce serait plus convaincant s’il pratiquait… De ce point de vue, il a des marges de progressions. Pour la sécurité sociale, rien ne vaudrait la démocratie. Après tout, qui finance la sécurité sociale ? Ce sont les salariés pour l’essentiel. Revenons au système ancien, qui était démocratique : qu’elle soit gérée par les représentants des salariés. Vous savez que cela a été supprimé il y a déjà un certain temps.
Monsieur le ministre, vous avez tout à l’heure évoqué la fraude. Voilà une volonté qui sonne doux à nos oreilles, sauf que, là encore, entre ce que vous dites et ce que vous faites, il y a un pas. Que faites-vous contre ceux qui escroquent les finances publiques alors qu’ils sont assujettis à l’ISF ?
Que faites-vous contre les exilés fiscaux ? Que faites-vous pour combattre les escroqueries à la TVA intracommunautaire ? Vous avez parlé de morale publique, mais prêchez par l’exemple, monsieur le ministre ! Ce n’est pas en réduisant le nombre de fonctionnaires de votre ministère que vous y parviendrez. Je ne parlerai pas des paradis fiscaux quoiqu’il y aurait beaucoup à dire – puisque vous ne voulez faire de peine ni aux Luxembourgeois, ni aux Néerlandais, ni aux Britanniques –, mais je vais donner une information à mes collègues : on prétend renforcer la lutte contre la fraude, mais connaissent-ils une des dernières décisions du Gouvernement ? On empêche les douanes d’acheter des vedettes rapides pour renouveler leur flotte... Est-ce ainsi que nous allons progresser dans la lutte contre la fraude ? Non, tout ça, c’est du discours, de la poudre aux yeux. La réalité est autre.
Quant au train de vie de l’État, qui a été largement évoqué, on voudrait bien que l’exemple vienne d’en haut. Or vous savez comme moi que, sitôt élu, Nicolas Sarkozy a doublé le nombre des agents qui forment le personnel de maison de l’Élysée !
Quant à l’effet annoncé des mesures du « paquet fiscal », discuté la semaine dernière par notre assemblée, il sera, à en croire le rapport préparatoire au débat d’orientation budgétaire, quasi miraculeux : « Les dispositions contenues dans le projet de loi permettent d’augmenter le pouvoir d’achat des ménages et des salariés tout en diminuant le coût du travail pour les entreprises ». Mais l’expérience de cinq années de votre gestion, depuis 2002, nous a montré que ce type de mesure est inefficace pour relancer la consommation et la croissance car l’essentiel des cadeaux fiscaux ou des réductions de cotisations sociales va dans la poche des contribuables les plus fortunés, ou de patrons qui en profitent pour thésauriser ou effectuer des placements financiers. Une véritable politique de relèvement du pouvoir d’achat doit être orientée, massivement, vers les ménages moyens et modestes qui ont de nombreux besoins non satisfaits, et utilisent donc le surplus de pouvoir d’achat qui leur est accordé pour répondre à ces besoins. Quand un RMIste, un smicard, un fonctionnaire moyen, un employé d’une entreprise privée voit son salaire augmenter, que fait-il ? Il ne va pas acheter des actions, encore moins spéculer à la Bourse. Il va éventuellement faire les soldes pour habiller ses enfants avant les vacances, ou bien garder un peu d’argent pour faire face aux frais de la rentrée scolaire… C’est à ce demander, messieurs les membres du Gouvernement, dans quel monde vous vivez !
Les motivations réelles de votre « paquet fiscal » ne sont pas à chercher bien loin : Mme Lagarde les a annoncées très explicitement. Selon Les Échos du 10 juillet, lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, elle a expliqué vouloir – je la cite parce que cela vaut vraiment le coup – « désinhiber la France, réhabiliter le succès et son corollaire, l’argent ». Oui, monsieur Karoutchi, je vous vois sourire, parce que vous qui êtes un homme du champ politique, vous savez bien qu’on peut penser cela, mais pas le dire aussi ouvertement ! Vous savez à quel point cela peut avoir des effets détestables ! Je regrette seulement qu’elle ne l’ait pas dit entre les deux tours des élections législatives, si possible à une heure de grande audience, sur TF1 par exemple… Dans le même registre, on a déjà pu constater que le Président de la République prêche par l’exemple, entre Fouquet’s et yacht de luxe. Et Mme Lagarde d’ajouter devant les investisseurs de Paris Europlace, à l’intention de ses amis fortunés, mais au patriotisme très chancelant : « Vous qui partez chercher au loin les clefs du paradis fiscal, je vous dis : revenez, ce n’est plus le purgatoire ici ! Enrichissez-vous ! ». On ne se lasse pas de la reciter, à voir comment elle a appris son Guizot par cœur !
De ce point de vue, les choses sont déjà en très bonne voie, comme le confirme une étude de l’économiste Camille Lombais de l’École d’économie de Paris : « Notre travail révèle un fort accroissement des inégalités de revenus depuis huit ans, du fait d’une augmentation très forte des revenus des foyers les plus riches depuis 1988, tandis que les revenus moyens et médians croissent très modestement. Les 0,01 % des foyers les plus riches ont vu leur revenu croître de 42,6 % sur la période, contre 4,6 % pour les 90 % des foyers les moins riches ». Voilà, mes chers collègues de droite – « chers » parce que vos politiques coûtent cher aux contribuables et rapportent beaucoup à ceux dont vous allégez les impôts, c’est-à-dire les plus riches !
Camille Lombais explique cet accroissement des inégalités par une jolie formule : « La forte dynamique des revenus du patrimoine explique une partie des divergences de destin entre les niveaux de revenus ». Avouez que c’est bien tourné… Je suis sûr que Guy Geoffroy va apprécier !
Le rapport précise vos projets concernant les services publics auxquels, rappelons-le, les Français sont extrêmement attachés. Or, ces projets sont des plus inquiétants ! L’axe stratégique est dessiné page 20 : « Le service public doit se recentrer sur ses missions pour plus d’efficacité afin de mieux accompagner l’initiative privée et favoriser la croissance. Cette meilleure utilisation de l’argent public permettra de dégager les marges de manœuvre nécessaires pour financer les dépenses indispensables à une croissance durablement plus forte, comme les crédits pour la recherche et l’université ».
Les hôpitaux sont, déjà, fortement incités à coopérer, pour leurs investissements, avec le privé. Mais je n’ai jamais vu le groupe Bouygues faire œuvre de philanthropie ! S’il finance des investissements, même dans un hôpital, il en attendra un retour en espèces sonnantes et trébuchantes. Payées par qui ? Par la sécurité sociale, bien entendu…
Les objectifs sont donc clairement énoncés : « accompagner l’initiative privée et favoriser la croissance ». Jusqu’à présent les objectifs du service public, dans une perspective républicaine, étaient de répondre aux besoins des citoyens en fournissant à tous un service de qualité, financièrement et géographiquement accessible à chacun, sans discrimination. Le service public est, et doit rester, au service des citoyens et non de l’initiative privée, car il est un puissant facteur de cohésion sociale.
Vous invoquez sans cesse la défense de l’attractivité de la France. Mais cette attractivité est fondamentalement liée à la qualité des services publics de l’éducation, de la santé, des transports, de la culture – pour n’en citer que quelques-uns – et non au moins-disant fiscal et social, votre credo.
Du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, vous avez fait un dogme. Cette mesure rétrograde, personne n’avait osé la mettre à exécution, même si elle fait les beaux soirs des théoriciens libéraux depuis des années. Le document d’orientation budgétaire indique, au passage, que le rythme d’accroissement des effectifs dans la fonction publique territoriale est supérieur à celui enregistré dans la fonction publique de l’État. Cela résulte simplement des transferts de compétences opérés dans la dernière période.
Mais cela résulte surtout du fait que les collectivités territoriales sont au contact direct des citoyens sur le terrain, qu’elles doivent répondre à leurs besoins et faire face à des situations concrètes et urgentes, appelant des réponses immédiates et efficaces, comme, par exemple, en novembre 2005.
À l’époque, souvenez-vous, le Gouvernement a perdu les pédales face aux violences dans les banlieues. Heureusement que les maires étaient là, sur le terrain, qu’ils soient de gauche ou de droite ! Cela dit, nous n’avons pas entendu parler de violences urbaines à Neuilly-sur-Seine, pas plus qu’à Courbevoie, Rueil-Malmaison ou Puteaux.
La réduction des effectifs sera donc, pour les services publics et les administrations de l’État, de l’ordre de 35 000 emplois par an. Pour 2008, par exemple, 17 000 suppressions de postes, devraient intervenir dans l’éducation nationale.
Pendant la campagne électorale, le candidat Nicolas Sarkozy a crié haro sur les douaniers, ce qui est très incohérent quand on prétend lutter contre la fraude !
Je pensais au travail à réaliser pour combattre la fraude que j’évoquais tout à l’heure, en particulier aux frontières de l’Union européenne.
En matière de dépenses de santé, le rapport invoque « une maîtrise renforcée des dépenses d’assurance maladie. » Concrètement, il s’agit, pour les assurés, de l’instauration d’une réduction annuelle des remboursements sur les soins et les médicaments annoncée page 64, sous le vocable enjôleur de « franchise pour financer les dépenses nouvelles ». En année pleine, l’addition représentera 1,225 milliard d’euros, essentiellement à la charge des assurés.
Outre une mise en cause des effectifs de la fonction publique territoriale déjà évoquée, nous constatons une volonté d’aller vers une standardisation de la gestion des collectivités locales. Je vous cite : « La diffusion de coûts standards, appliquée au champ local, devrait ainsi permettre d’identifier et de diffuser les bonnes pratiques et de constituer, par politique publique, des “boîtes à outils” permettant de rendre le meilleur service au meilleur coût, en fonction des spécificités locales. » Mais, pour rendre le meilleur service au meilleur coût, nous ne vous avons pas attendus, monsieur le ministre !
Pour faire bonne mesure, le paragraphe suivant du rapport annonce : « Un site Internet unique et enrichi par rapport aux sites ministériels existants pourrait ainsi être développé afin de mettre à disposition des élus locaux et du public une série d’informations sur les données économiques et financières des collectivités territoriales ainsi que sur certains ratios financiers pertinents. » Voilà une mesure vraiment révolutionnaire ! dirait notre rapporteur général qui, ce matin, appelait Saint-Just à participer à nos travaux… Nous savons ce que vous prévoyez : non seulement des cadeaux pour les privilégiés, mais surtout la TVA « antisociale ». Oh vous faites patte de velours parce que vous avez été échaudés entre les deux tours des élections législatives ! Mais récemment, vous avez resservi les plats.
Les Français ne sont pas les bourgeois de Calais, monsieur le ministre ! Vos orientations nous offrent la corde. Mais nous allons la délier et délier l’énergie de notre peuple, en jouant notre rôle dans cette enceinte, pour que les Français s’unissent et s’opposent à votre politique d’injustice faite uniquement pour les privilégiés, ce dont nos compatriotes ne tarderont pas à se rendre compte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
 

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Jean-Pierre
Brard

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