Interventions

Budget de l’État

MRP Nvelle lect. PLF pour 2012

M. le président. J’ai reçu de M. Roland Muzeau et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jérôme Chartier. Quelle surprise !
M. Jean-Pierre Brard. Il est vrai que nous approchons de Noël, et en vous écoutant avec beaucoup d’attention, madame la ministre, je me disais que ce n’était pas Alice au pays des merveilles, mais Valérie au pays des merveilles. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Je vous recommande d’écouter, sur Radio Classique, Ève Ruggieriracontant Pierre et le Loup. Elle y croit tellement que l’on finit par voir le loup, ainsi que Pierre. Alors que vous, vous y croyez si peu, que l’on voit bien que vous êtes dans un exercice obligé. J’ai de la compassion pour vous, madame la ministre,…
Mme Valérie Pécresse, ministre. Gardez-la !
M. Jean-Pierre Brard. …et presque un esprit de solidarité pour l’effort que vous faites, qui témoigne d’un bel engagement au bénéfice d’une cause qui ne le vaut pas.
Alan Greenspan était un ardent défenseur d’une économie financiarisée. Il disait : « Nos modèles économiques n’ont jamais été vraiment assez bons pour appréhender un processus guidé en grande partie par un comportement irrationnel. » Nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner en nouvelle lecture le cinquième projet de loi de finances déposé depuis le début de l’année par le Gouvernement. Je crois que c’est un record absolu. Cinq tentatives pour parvenir à établir un budget « cohérent » : c’est à se demander si les docteurs du Gouvernement ne se sont pas trompés de diagnostic, ou plutôt s’ils n’ont pas prescrit de mauvais remèdes. Je vous propose de revenir à la saignée, que du reste vous pratiquez fort bien. Au rythme où vous saignez tout le monde, y compris les collectivités locales, l’anémie n’est pas loi.
En réalité, la réponse ne fait aucun doute, il s’agit bien d’un mauvais médicament. Le Gouvernement a inoculé au peuple de France le germe de l’austérité, dont on observe les ravages partout en Europe, du Royaume-Uni à la Grèce et de l’Italie à l’Irlande.
Cette nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2012, grandement modifié par les sénateurs, pourrait offrir un vrai débat démocratique sur la fiscalité de notre pays. Il n’en sera rien, même si le rapporteur général a entendu certaines propositions émanant du Sénat. L’UMP a préparé une mitraille d’amendements destinés à revenir au projet de loi initialement déposé et voulu par le Gouvernement.
Pourtant, les sénateurs – et le rapporteur général l’a reconnu – ont accompli un travail très important sur ce texte. Ils ont fait la démonstration, qu’il est possible d’obtenir pour le budget de l’État 30 milliards d’euros de recettes supplémentaires, sans engendrer les souffrances pour notre peuple qu’entraîne votre politique d’austérité, pendant que se repaissent les banquiers, les spéculateurs et les privilégiés, qui gagnent des milliards d’euros et ont l’outrecuidance, comme Mme Bettencourt, de ne pas participer au financement de l’État, en dissimulant tout ou partie de leur fortune en Suisse, ou au Panama, comme le facilite davantage encore la convention fiscale que le Gouvernement a fait adopter hier dans cet hémicycle.
Les sénateurs communistes et apparentés ont pris une place primordiale dans cette élaboration d’une autre politique fiscale, puisque leurs amendements ont permis d’adopter le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, une taxation des rémunérations des traders, la mise en cause des prélèvements libératoires et une diminution de moitié du crédit d’impôt sur les dividendes, une niche fiscale de l’impôt sur le revenu. Ces premières mesures permettent à elles seules d’obtenir, pour le budget de l’État, une dizaine de milliards d’euros, sans que la France du travail ne soit mise à contribution.
Alors bien sûr, vous parlez de « hausses d’impôt ». Oui, ce sont des hausses d’impôt, mais en prenant l’argent là où il est, au lieu de le prendre dans les poches des familles moyennes et modestes.
Il serait dommage, madame la ministre, que vous ne sachiez vous inspirer des mesures préconisées par le Sénat. Les quelques mesures qui viennent d’être énoncées sont des mesures parmi d’autres, qu’il faut mettre en place et développer si l’on veut réellement combattre le déficit et l’endettement de notre pays.
L’UMP est directement responsable, par sa gestion du pays depuis dix ans, de la moitié de la dette française, c’est-à-dire de 900 milliards d’euros sur 1 800. Vous êtes directement responsables, avec les anciens ministres du budget de ces dix dernières années, de cette dette.
Comme je vous le rappelle lors de chaque projet de loi de finances, le Conseil des prélèvements obligatoires chiffre à 172 milliards d’euros le montant des niches fiscales et sociales dans notre pays. Il y a de la marge pour redresser l’équilibre de nos finances publiques.
Madame la ministre, votre gouvernement a érigé en feuille de route gouvernementale le principe énoncé par le docteur Knock, le personnage de la pièce de théâtre de Jules Romains : « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent » Les Français peuvent être bien portants, mais c’est vous qui les rendez malades.
C’est ce que vous faites en instrumentalisant la question de la dette pour mener votre politique d’austérité antisociale, mais également lorsque vous parez de toutes les vertus le modèle allemand.
Je ne résiste pas au plaisir de vous lire la première phrase d’un article d’Arnaud Lechevalier publié dans le 300e numéro d’Alternatives Économiques : « Croissance faible, inégalités et précarité qui explosent, investissement en panne, démographie catastrophique…, l’évolution récente de l’Allemagne ne ressemble pas à une success story à copier d’urgence. »
Cela, vous le taisez lorsque vous faites référence à l’Allemagne. C’est un mauvais modèle, mais on sait que la droite, historiquement, a fait référence à l’Allemagne,…
M. Olivier Carré. C’est un peu gros !
M. Jean-Pierre Brard. … et je n’évoquerai pas de tristes périodes de notre histoire. Mais vous ne pouvez contester, monsieur Carré, que dans cette période, la droite faisait référence à l’Allemagne.
La gauche, monsieur Carré, fait référence à l’Allemagne, c’est vrai, mais quand il s’agit de la révolution de 1848, des spartakistes ou des Allemands qui ont résisté au nazisme. Là, nous faisons référence à l’Allemagne, tout comme nous travaillons aujourd’hui en coopération avec nos amis et camarades de Die Linke avec lesquels, le 1er décembre dernier, nous avons présenté en commun, le matin à l’Assemblée nationale, le soir au Bundestag, un projet de résolution européenne. Car nous, nous avons une vision pour le futur de l’Europe et nous pouvons pour cela nous appuyer sur les meilleures traditions du peuple allemand. Vous, vous choisissez toujours les mauvaises.
On apprend, dans l’article que j’évoquais, que l’Allemagne est – écoutez bien – le pays d’Europe qui a créé le moins d’emplois en vingt ans, que 2,5 millions de personnes y travaillent pour un salaire de moins de 5 euros de l’heure contre 9 euros en France, malgré la faiblesse du SMIC. En Allemagne, un emploi sur trois est un emploi précaire et c’est le pays d’Europe, à l’exception de la Roumanie et de la Bulgarie, où la hausse des inégalités de revenus a été la plus forte. Que ce soit votre idéal, cela ne m’étonne pas. Mais que, pour moi, cela puisse être un exemple, c’est tout simplement impossible !
Laurence Parisot, patronne du MEDEF, que vous aimez bien, déclarait le 13 septembre dernier qu’elle voulait « préparer des convergences » qui ne soient « pas seulement budgétaires et fiscales, mais aussi sociales ». Vous êtes pris les doigts dans le pot de confiture ! Car Mme Parisot, qui est un peu votre idole, dit tout haut ce que vous voulez faire. Je vois, sur vos bancs, les sourires entendus de M. Carré ou de M. Schosteck. On se comprend à demi-mot. Et nos deux collègues ont l’intelligence de ne rien dire, tant il est vrai que dans cette situation, mieux vaut se taire que de parler.
La vérité est que le modèle allemand a la fragilité d’une porcelaine. Je ne sais si elle est de Limoges ou de Meissen, mais cela ne tient pas. Plutôt que d’un modèle, il faudrait parler d’un mirage destiné à faire pression sur les salaires et les salariés français, d’un patient travail de culpabilisation de la France du travail, destiné à rogner sur ses acquis sociaux, pour, au final, servir les intérêts des actionnaires, des banquiers, des spéculateurs et du patronat.
Lorsque j’entends Mme Parisot vous féliciter, je pense à August Bebel, célèbre révolutionnaire allemand, qui disait : « Quand la bourgeoisie me félicite, je me demande quelle bêtise j’ai pu commettre. » Les félicitations de Mme Parisot suffisent à nous mettre en garde.
On comprend mieux pourquoi le MEDEF regarde avec les yeux de Chimène le modèle allemand. De ce point de vue, chacun de nos collègues de l’UMP a le regard de Rodrigue pour Mme Merkel. Et vous, madame la ministre, je vois que vous avez les yeux de Chimène pour Rodrigue, dans cette affaire.
M. le président. Ne perdez pas le fil de votre discours, monsieur Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Je m’en tiens à mon propos, monsieur le président, mais je regarde nos collègues et ce que je vois dans leurs yeux vaut tous les discours !
Je peux vous dire, au nom des députés du Front de gauche, que nous sommes fiers du modèle social français que nous avons mis en place en 1945, conformément au programme du Conseil national de la Résistance, et nous tenons à l’améliorer.
Je tiens à dire à tout censeur, tout inquisiteur qui serait tenté par l’idée de clore tout débat sur la politique allemande avant même qu’il n’ait commencé, que le procès en germanophobie qui a été ouvert relève de la malhonnêteté intellectuelle de celui qui se trouve à court d’arguments face à la vérité, même si je ne fais pas miens certains propos qui ont été tenus. Nous n’avons pas les mêmes amis en Allemagne, ni hier, ni aujourd’hui.
L’idée d’une politique d’austérité plus dure et plus rude que jamais se diffuse de la droite au centre de cet hémicycle. Ainsi, les salariés seraient les seuls à devoir supporter les conséquences de ce casino mondial à la spéculation effrénée, et à payer le prix d’une politique fiscale injuste, comme je l’ai démontré au début de cette intervention. Les salariés et les retraités ne portent aucune responsabilité dans cette folie spéculative, et pourtant ce sont eux seuls qui créent les richesses, et non ceux qui se goinfrent de dividendes, bonus et autres stock-options.
Lorsque certains partis politiques prônent une augmentation du temps de travail hebdomadaire à 37 heures payées 35, ils choisissent d’aggraver la crise. Plus de travail réparti sur moins de salariés, cela veut dire plus de chômeurs. La protestation, le sentiment d’injustice et de révolte grandissent aussi bien dans la fonction publique que dans les entreprises du privé.
Les salariés voient leur pouvoir d’achat diminuer et leurs difficultés augmenter à cause de vous. C’est le fait, par exemple, de l’augmentation de la TVA sur le lait ou sur le pain. Qui consomme le plus de pain ? Qui consomme le plus de riz ? Qui consomme le plus de semoule ? Ce n’est pas Mamie Bettencourt, qui, elle, a un régime comportant suffisamment de légumes et de fruits pour préserver sa santé. Ce sont les gens qui n’ont pas de sous. Ce sont eux que vous passez à l’essoreuse.
Qui vient d’augmenter le prix du gaz en prétendant qu’il s’agit du « respect de la loi » ? Rappelez-moi qui est l’actionnaire principal de Suez-Gaz de France ? C’est l’État ! L’État avait donc le pouvoir de ne pas augmenter le prix du gaz, mais il n’a pas pris de décision en ce sens. Au contraire, nous avons assisté à une mise en scène à la télévision laissant craindre une augmentation de 10 % afin que la hausse de 4,4 % finalement retenue provoque une forme de soulagement.
Jaurès disait que la Révolution avait laissé les Français rois dans la cité et serfs dans l’entreprise. La grande ambition de la droite est de laisser les salariés dans cet état de subordination. La droite n’est plus monarchiste, mais elle veut rétablir la corvée des gueux, des manants, des petits et des sans-grades dans le royaume de l’entreprise.
Je l’accorde à M. de Courson, les politiques dures et antisociales d’une droite jouant contre les intérêts du salariat ne sont pas l’apanage du Nouveau Centre, elles font partie du programme de toute la droite, du Front National au Modem, en passant par l’UMP.
Depuis hier et son déplacement dans l’usine de skis Rossignol de Sallanches, Nicolas Sarkozy se présente comme le champion du « produire français ». Il a déclaré : « Je préfère qu’on achète une voiture de marque étrangère produite en France plutôt qu’une voiture de marque française produite à l’étranger et vendue en France. »
M. François de Rugy. Quelle alternative !
M. Jean-Pierre Brard. Savez-vous ce qui se passe en réalité ? Quel est le principal actionnaire de Renault ? C’est l’État, qui y est représenté par deux administrateurs. Et depuis que M. Sarkozy est au pouvoir et que Carlos Ghosn dirige Renault, jamais on n’a autant sous-traité à l’étranger. Aujourd’hui, les deux tiers des voitures Renault achetées en France sont produites à l’étranger.
M. le président. Je suppose que c’est là votre conclusion, mon cher collègue ?
M. Jean-Pierre Brard. Ma conclusion est très simple : le Président de la République est un menteur. Et mentir, lorsque l’on est Président de la République est indigne du peuple français. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. François de Rugy. Beau résumé de la situation, malheureusement !
M. Antoine Herth. On a connu conclusion plus élégante !
M. Jean-Pierre Brard. Attendez pour ce qui est de l’élégance ! Vous parlez beaucoup du triple A des agences de notation, dont vous rêvez. Cela me fait penser aux andouilles de ma Normandie natale, dont la qualité est mesurée à Vire en nombre de A. Et figurez-vous que trois A, c’est la meilleure note pour les andouilles.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ne serait-ce pas plutôt cinq A ?
M. Jean-Pierre Brard. Non, madame la ministre, vous confondez avec les andouillettes. Ce n’est pas du tout la même chose. Je vois que vous n’êtes pas normande.
Mentir, quand on est Président de la République, c’est indigne du peuple français !

Imprimer cet article

Jean-Pierre
Brard

Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

Sur le même sujet

Finances

A la Une

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques