Propositions

Propositions de loi

PL n° 3280 - tendant à lever les discriminations reposant sur le sexe, le genre et l’orientation sexuelle en matière de filiation

EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
De nombreux débats agitent le pays depuis plusieurs années. Doit-on autoriser l’adoption pour les couples de même sexe ? Doit-on autoriser les couples de femmes à être assistés médicalement pour faire un enfant ? Doit-on accepter que des personnes de même sexe partagent l’autorité parentale ? Autant de questions présentées sous un angle technique teinté de morale qui sont autant de questions politiques que le peuple ne doit pas laisser à de soi-disant experts et dont il doit, au contraire, s’emparer.
C’est tout le sens de la récente décision du Conseil constitutionnel relative à la conformité des articles 75 et 144 du code civil aux droits et libertés que la Constitution garantit. (DC n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011, Mme Corinne C. et autres). Délibérant sur le droit pour deux personnes de même sexe de se marier, le Conseil relève que la situation des couples de même sexe et des couples de sexes différents justifie aux yeux du législateur un traitement différent, et « qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ». Dans sa décision relative à la conformité de l’article 365 du code civil à la Constitution (DC n°2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B.), le Conseil avait suivi un raisonnement analogue et invité le législateur à s’emparer de la question du partage de l’autorité parentale.
Ces décisions font suite à une jurisprudence très riche. De nombreuses décisions prises en première instance ou en appel par des juges administratifs et civils sont fondées sur des lectures ouvertes de la loi et de son insertion dans l’édifice constitutionnel. Mais les juridictions suprêmes demeurent inflexibles. Ainsi, le Conseil d’État dans son arrêt du 9 octobre 1996 Fretté a clairement affirmé que, si aucune discrimination fondée sur l’orientation sexuelle d’une personne demandant un agrément pour l’adoption ne doit être tolérée, les conditions de vie des personnes homosexuelles sont tendanciellement contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant à adopter (1). De même, la Cour de cassation interdit en principe tant l’adoption simple que le partage de l’autorité parentale quand les partenaires sont de même sexe.
La question politique posée par cette jurisprudence, et à laquelle le Conseil constitutionnel invite le législateur à répondre, est celle des familles homoparentales : les pouvoirs publics doivent-ils soutenir les personnes homosexuelles qui souhaitent fonder une famille ? Certains aujourd’hui considèrent que non. Pour elles et eux, il faut : « un père, une mère, pas un de plus, pas un de moins ». Dans une perspective différentialiste, l’éducation de « l’Enfant » serait basée sur la nécessaire complémentarité biologique et sociale de « l’Homme » et de « la Femme ».
Pourtant, pour l’éminent anthropologue Maurice Godelier, « un homme et une femme ne suffisent pas à faire un enfant ». Non seulement les enfants sont très largement socialisés hors de leurs familles, où ils trouvent différentes figures sociales masculines et féminines, mais aussi la famille a grandement évolué. Avec l’émancipation des femmes, la famille patriarcale dominée par la figure du père autoritaire s’est estompée au profit d’une famille plus restreinte, où les femmes et les enfants trouvent davantage leur place. L’acceptation de l’homosexualité, dans ce contexte, a conduit à la formation de familles homoparentales et à la revendication par les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles de pouvoir former des familles comme les autres, avec les mêmes droits et les mêmes responsabilités.
Le droit français discrimine les personnes homosexuelles dans la formation et le développement de leur famille
Une famille homoparentale est, comme toute famille, composée de personnes ayant des enfants ou désireuses d’en avoir. Mais, à la différence des autres familles, les familles homoparentales ne sont pas reconnues par la loi. Au motif qu’il n’est pas composé d’un homme et d’une femme, un couple de personnes de même sexe est discriminé tant en ce qui concerne les règles d’alliance qu’en ce qui concerne les règles de filiation. Or l’alliance et la filiation sont les deux caractéristiques d’une famille au plan juridique.
En ce qui concerne l’alliance, les couples de même sexe ont longtemps dû vivre dans la clandestinité. Avec la dépénalisation de l’homosexualité, ces couples ont découvert des conditions de vie plus proches de celles des autres couples, à la différence près de ceux-ci que seul le concubinage leur était autorisé quand les autres couples pouvaient se marier. Le pacte civil de solidarité (PACS) a aidé des couples ne désirant pas se marier, sans distinction, à pouvoir sécuriser leur situation patrimoniale et à consolider symboliquement leur union. Mais d’une part le PACS n’offre toujours pas un corpus de droits suffisant et, d’autre part, le mariage est toujours interdit aux couples de même sexe.
En ce qui concerne la filiation, la situation est plus inégalitaire encore. Lorsque l’un des membres d’une famille homoparentale a un enfant, son ou ses partenaires ne peuvent jouer pleinement leur rôle de parent parce que la loi et les règlements l’interdisent. Difficile pour le ou les parents sociaux d’aller chercher l’enfant à l’école ou à la crèche, de le veiller à l’hôpital, d’assurer sa garde en cas de décès du parent biologique, alors même qu’ils en prennent soin quotidiennement. Qu’il s’agisse de l’enfant du conjoint ou d’un enfant abandonné, l’adoption est interdite aux couples de même sexe, de même que l’assistance médicale à la procréation est refusée aux couples de femmes.
Notre droit est en cela très contradictoire. Il est interdit à deux femmes ou à deux hommes d’adopter conjointement, mais il leur est possible de le faire individuellement. Il est vrai qu’indépendamment de conditions matérielles d’existence souvent moins favorables, les enfants élevés dans des familles monoparentales ne le sont pas moins bien que ceux qui le sont dans des familles comportant plusieurs parents. Les raisons qui poussent le législateur à considérer que l’orientation sexuelle des parents pourrait les conduire à élever leurs enfants dans de moins bonnes conditions que les autres parents semblent pour le moins douteuses.
L’intérêt supérieur des enfants est bafoué en raison des discriminations subies par leurs parents du fait de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre
La question déterminante qui est posée, en matière d’adoption comme en matière d’assistance médicale à la procréation, est celle de l’intérêt des enfants, intérêt « supérieur » aux termes de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le respect de cet intérêt, qui est la finalité de l’exercice de l’autorité parentale selon l’article 371-1 du code civil, correspond à la prise en compte de ses besoins fondamentaux, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi qu’au respect de ses droits et à la garantie de sa protection.
Rien dans cette définition ne permet de supposer que les personnes homosexuelles seraient par nature moins capables d’exercer convenablement leur autorité parentale. D’ailleurs, les enquêtes réalisées sur le sujet montrent clairement que les enfants élevés dans des familles homoparentales le sont tout aussi bien que ceux élevés dans des familles hétéroparentales. Enfin, comme pour les enfants de divorcés il y a 30 ans, les discriminations pesant sur les parents homosexuels dans l’éducation de leurs enfants sont pour ces derniers sources de souffrances. Comment, au nom de leur intérêt pourtant affirmé comme supérieur, la loi peut-elle les leur imposer ?
L’intérêt de l’enfant, c’est que ceux qui l’aiment et prennent soin de lui puissent le faire sans entrave. Les embûches que notre droit sème sur le parcours des personnes homosexuelles doivent donc être levées. Cela suppose de revoir en profondeur notre droit civil. Alors même que le PACS a été mis en place il y a de cela plus de dix ans, celui-ci – et tout le droit qui en découle – repose sur le mariage et sur l’idée que celui-ci serait en toutes circonstances la plus stable des unions. Le nombre croissant de divorces et de naissances hors mariage tendrait à briser ce mythe. De même, alors qu’aucune discrimination fondée sur le sexe n’est plus censée avoir droit de cité, notre droit est entièrement sexué. Il prescrit aux citoyens et aux citoyennes, aux hommes et aux femmes, des identités de genre figées.
Le législateur doit lutter contre ces discriminations et établir l’égalité dans la construction de la famille
Tous les personnes, sans distinction de sexe, de genre ou liée à l’orientation sexuelle, doivent avoir le droit de fonder une famille, d’élever leurs enfants dans de bonnes conditions. Tel est l’objectif du présent texte relatif aux règles de filiation et d’autorité parentale, qui complète la proposition de loi n°2290 tendant à ouvrir le mariage à tous les couples sans distinction de sexe ou de genre.
Le premier titre de cette proposition de loi lève les discriminations qui actuellement empêchent les couples de même sexe de devenir parents par filiation. Il vise à autoriser tous les couples sans discrimination à adopter et les couples de femmes à recourir à la procréation médicalement assistée.
Les articles 1 à 7 portent sur les procédures d’adoption prévues dans le code civil. Afin de lever les obstacles à l’adoption touchant les couples de même sexe, ces articles suppriment les mentions faites au sexe des personnes composant le couple et complètent les références faites au mariage, de références faites au PACS et au concubinage. Ils ne créent donc pas de droits spécifiques pour les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et trans, mais permettent à ces derniers d’adopter en respectant les mêmes règles et procédures exigeantes que les couples composés d’un homme et d’une femme.
Les articles 8 et 9 portent sur l’assistance médicale à la procréation. Dans le même esprit que les articles précédents, ils lèvent les obstacles à la PMA liés à la composition du couple. Ils ne remettent pas en cause les principes éthiques affirmés dans le code et auxquels les auteur-e-s de cette proposition de loi souscrivent pleinement, de non mise à disposition et de non-marchandisation du corps ainsi que d’anonymat des dons de gamètes.
Le second titre lève les discriminations qui actuellement, dans les couples de même sexe, empêchent les deux parents d’accomplir correctement leurs devoirs envers leurs enfants. Il s’intéresse à la composition des noms de famille, aux questions relatives à l’autorité parentale et aux droits sociaux accordés aux parents pour s’occuper de leurs enfants.
Les articles 10 à 12 fixent les règles de composition du nom des enfants en cas de PMA ou d’adoption, plénière ou simple. Le nom est en effet un attribut essentiel caractérisant la filiation de deux personnes. Permettre à tous les couples d’adopter implique, comme dans le reste du code civil, de lever les difficultés juridiques posées par les mentions faites au mariage et au sexe des membres du couple. Tel est l’objet de ces articles.
Les articles 13 à 20 concernent les discriminations que les parents sociaux doivent affronter pour accomplir les devoirs leur incombant dans l’éducation de leurs enfants. Dans le cas de la PMA ou de l’adoption plénière, aux articles 13 et 14, ces discriminations peuvent être levées en affirmant la filiation entre les enfants et leurs parents, la filiation ayant des conséquences sur l’autorité parentale, les règles successorales, les obligations alimentaires et le consentement au mariage des enfants. Dans le cas de l’adoption simple, les règles de filiation sont plus complexes : les articles 15 à 18 visent à lever les discriminations fondées sur le sexe ou le statut matrimonial concernant l’autorité parentale, les obligations alimentaires et le régime successoral. Les articles 19 et 20, enfin, opèrent une mise en cohérence de ces principes pour l’ensemble des règles liées à l’autorité parentale et à son partage dans le code civil.
Les articles 21 à 24 concernent les discriminations que les membres des familles homoparentales subissent dès lors qu’ils demandent à pouvoir bénéficier de certains droits sociaux nécessaires à l’éducation de leurs enfants dans les mêmes conditions que les autres familles. Les articles 21 et 22 proposent d’étendre l’actuel « congé de paternité », permettant au père d’aider sa conjointe à s’occuper de l’enfant, à la conjointe d’une salariée qui peut en bénéficier et de transformer en conséquence le nom de ce congé en « congé de coparentalité ». L’article 23 vise à permettre à tous les couples sans discrimination de bénéficier du congé d’adoption. L’article 23 cherche à lever les difficultés que les associations de parents gays et lesbiens connaissent pour adhérer à l’UNAF ou à toute autre structure à venir représentative des familles et donc pour être officiellement représentées.
Le troisième titre vise à rendre l’égalité des droits portée par ce texte effective. Il s’intéresse ainsi tout à ce qui, dans la société, pourrait être un frein à l’exercice par les couples homosexuels de leurs droits et devoirs de parents, et notamment aux discriminations fondées sur le sexe, le genre et l’orientation sexuelle.
L’article 25 propose que tous les personnels susceptibles d’être au contact de familles homoparentales soient sensibilisés aux discriminations rencontrées par ces familles et par leurs enfants et soient informés de l’égalité des droits entre ces familles et les autres familles. L’article 26 demande que soit effectué un diagnostic des discriminations institutionnelles fondées sur le sexe, le genre ou l’orientation sexuelle et que celles-ci soient levées. L’article 27 propose que les élèves soient sensibilisés aux discriminations fondées sur le sexe, le genre et l’orientation sexuelle afin qu’ils ne reproduisent pas les schémas de discriminations existants. L’article 28 vise, dans les médias et les publications de jeunesse, à contribuer à lutter contre l’homophobie, la lesbophobie ou la transphobie.
Cette proposition de loi envisage donc la question de la famille de manière globale. Il s’agit non seulement d’aller vers une pleine égalité des droits, mais aussi de rendre cette égalité réelle. Ce dernier point est essentiel, car les familles homoparentales ne pourront vivre normalement que lorsqu’elles seront socialement acceptées. L’égalité devant l’adoption ne sera effective que lorsque, dans les pays étrangers, l’homosexualité ne sera plus un critère de rejet des demandes d’adoption.
Des dizaines de milliers de familles sont fondées par des personnes homosexuelles. Des dizaines de milliers de personnes, hommes, femmes, enfants, voient leurs droits les plus fondamentaux bafoués parce que la loi tolère et légitime les discriminations fondées sur le sexe, le genre et l’orientation sexuelle. Face à l’urgence, cette proposition de loi se donne pour objectif de supprimer ces dernières en matière de filiation.
Le droit de la famille doit être réformé pour répondre aux besoins des enfants, de leurs parents et de tous les hommes et les femmes
Cette proposition de loi invite aussi à un débat plus profond sur la façon dont, dans notre pays, nous concevons la famille. Le développement du concubinage et de modes d’union alternatifs au mariage, l’augmentation du nombre de divorces et de familles dites « recomposées », le développement de familles comportant plusieurs parents, parfois de même sexe, nous interrogent sur les droits qui doivent être accordés aux parents biologiques et aux parents sociaux d’une part, et aux différents parents sociaux qui ont élevé ou élèvent un ou plusieurs enfants d’autre part.
En fin de compte, alors que notre droit civil de la famille est tourné vers le couple, comment prendre en compte le développement de familles pluriparentales ou coparentales ? Jusqu’à quel point doit-on jauger la stabilité d’un couple en concubinage pour autoriser une adoption ou l’aide médicale à la procréation, et ne doit-on pas plutôt s’appuyer sur un acte d’engagement parental ? Et doit-on s’en tenir au couple pour définir les règles afférant tant au partage de l’autorité parentale qu’aux obligations alimentaires, aux successions, à la filiation ou, de manière générale, à toutes les voies conduisant à des rapports de parenté et/ou de parentalité ? Les régimes de l’adoption plénière comme de l’adoption simple répondent-ils de manière pertinente aux besoins tant des enfants que de leurs parents, biologiques ou sociaux ?
Autant de questions de fond, très concrètes, qui dépassent largement celles ayant trait aux familles homoparentales même si les réponses qui leur seront apportées auront des conséquences déterminantes notamment pour ces dernières dans un premier temps.
Dans le cadre du grand débat qui s’ouvre sur ces sujets, cette proposition de loi apporte trois principes non hiérarchisés susceptibles d’orienter les solutions élaborées. La primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, impliquant pour lui le droit d’être élevé par ses parents dans de bonnes conditions et de pouvoir jouir d’une vie familiale normale. La garantie de l’égalité de tous et toutes devant les lois de la République, indépendamment de leur sexe, de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. Le respect de l’intégrité physique et psychique de chaque personne, adulte ou enfant, prise individuellement comme dans ses relations avec ses cosociétaires, dans une société où les lois de l’économie marchande ne s’immiscent pas dans la construction de la famille.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

Daniel
Paul

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

Jean-Claude
Sandrier

Député de Cher (2ème circonscription)
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